Juncker insiste sur "l'Europe sociale" dans son discours sur l'état de l'Union

Par Romaric Godin  |   |  1297  mots
Jean-Claude Juncker a refusé que « la génération Y soit la première en 70 ans à être plus pauvre que leurs parents » et appelé à ce que « l'UE puisse aussi contribuer à aider à créer plus d'opportunités pour les jeunes ».
Le président de la Commission européenne a tenu le premier discours sur l'état de l'union depuis le vote britannique contre l'UE. Il a beaucoup insisté sur le besoin d'une Europe sociale et a annoncé un plan sur douze mois pour relancer l'Europe. Mais sa tâche sera rude.

Moins de trois mois après le vote britannique de rejet de l'Union européenne et à deux jours du sommet de Bratislava qui doit en théorie donner une nouvelle impulsion à l'Europe, Jean-Claude Juncker a prononcé ce 14 septembre son « discours sur l'état de l'Union ». Un discours de 50 minutes où il a souhaité sortir des « discours » pour passer au « concret ». Car l'Europe fait face à une  « crise existentielle ». « Nous devons nous mettre au travail », a-t-il affirmé avant de promettre un « agenda positif d'actions européennes concrètes pour les douze prochains mois ». Douze mois qu'il prétend être une période cruciale pour « rendre l'Europe meilleure ». Cette action s'articule autour de quatre priorités : « l'Europe qui protège », l'Europe qui « préserve notre mode de vie », l'Europe qui « renforce le pouvoir des citoyens » et l'Europe qui « défend ».

Défense des valeurs

Globalement, le président de la Commission a défendu ce qu'il appelle les « valeurs européennes » : liberté de mouvement des travailleurs, lutte contre le racisme et la discrimination, rejet de la peine de mort, libre échange en matière commercial, protection des données personnelles. Il a cherché à promouvoir « plus d'union et plus d'Europe », comme il l'a répété, reprenant une partie de son discours de 2015. C'est notamment le cas sur la défense et la lutte contre le terrorisme où il a défendu davantage de cohésion. Il a aussi demandé plus d'engagement des parlements nationaux et une présence plus forte des commissaires dans ces parlements afin de rendre les politiques européennes plus proches.

L'insistance sur l'Europe sociale

Mais un des éléments les plus marquants de ce discours aura été l'insistance sur la nécessité d'une Europe plus sociale, prenant davantage en compte les souffrances de la population la plus fragile. « L'Europe n'est pas l'ouest sauvage, mais une économie sociale de marché », a-t-il proclamé avant de s'engager à lutter contre le dumping social. La règle doit être « le même salaire pour le même travail dans le même lieu », a-t-il indiqué avant d'insister : « Le marché intérieur ne doit pas être un lieu où les travailleurs de l'est de l'Europe peuvent être exploités ou soumis aux plus faibles standards sociaux ». Mieux même, Jean-Claude Juncker a indiqué que l'Europe doit « protéger nos travailleurs et nos industries ».

Ce vœu s'est accompagné d'une insistance sur le rejet de la concurrence fiscale déloyale. « Une entreprise doit payer ses bénéfices dans le pays où elle fait des profits », a-t-il indiqué, profitant de l'affaire Apple. Il a rappelé que les 13 milliards d'euros que la firme californienne doit rendre à l'Irlande « pourraient avoir été consacrés aux familles, hôpitaux, entreprises et écoles irlandaises ». « C'est la partie sociale de la loi sur la concurrence et c'est ce pourquoi l'Europe se bat », a-t-il conclu dans un ton décidément très social. Enfin, Jean-Claude Juncker a refusé que « la génération Y soit la première en 70 ans à être plus pauvre que leurs parents » et appelé à ce que « l'UE puisse aussi contribuer à aider à créer plus d'opportunités pour les jeunes ». Cet intérêt pour les enjeux sociaux est sans doute bienvenu dans la mesure où ce sont les populations des classes les plus fragiles qui, au Royaume-Uni, ont fait basculer le vote contre l'UE.

Manque de concret

Malgré ses vœux, le président de la Commission a cependant manqué de réponses concrètes. Jean-Claude Juncker veut certes une « Europe plus sociale », mais il défend surtout l'existant : la régulation par la concurrence assurée par la Commission. Les nouveaux projets manquent cruellement. Sur l'emploi des jeunes, rien de plus que la « poursuite des efforts » de la « garantie jeunesse » dont l'efficacité reste très incertaine est annoncé. Certes, l'ancien Premier ministre luxembourgeois a annoncé vouloir doubler le temps et la capacité du fonds d'investissement européen. Mais on sait qu'un des problèmes centraux de ce plan est son fonctionnement et la nature des projets financés bien plus que sa durée et ses moyens. Du reste, même triplé, ce plan demeure loin des besoins d'une économie européenne qui accumule les sous-investissements depuis 2010.

Jean-Claude Juncker sera cependant rapidement soumis à une épreuve de vérité. Avec l'adoption (partielle), ce même 14 septembre, du rapport de l'eurodéputé socialiste français Guillaume Balas contre le "dumping social" dans l'UE, la Commission est désormais contrainte de montrer si elle est déterminée à agir ou non en prenant en compte les conclusions de ce texte destiné à protéger les droits et les salaires des travailleurs dans l'ensemble de l'union.

L'impossible politique économique

Du reste, l'ambition économique du chef de l'exécutif européen est extrêmement réduite. Sur le « pacte de stabilité et de croissance », il a tenté de maintenir le difficile équilibre entre le nord et le sud du continent. Refusant tout « pacte de flexibilité », il a cependant revendiqué une application « non dogmatique » des règles budgétaires. De ce fait, la marge de manœuvre de Bruxelles dans une Europe qui ne parvient pas à se mettre d'accord sur sa politique économique est réduite. Là encore, elle conduit à un simple statu quo qui ne peut régler l'urgence d'une croissance sensiblement inférieure à sa tendance historique. Elle est, en réalité, réduite parce que l'UE elle-même s'est ôtée dans sa pratique, notamment dans la gestion de la crise de la dette, d'instruments aujourd'hui nécessaires. Comment avancer vers l'Europe sociale lorsque la priorité est donnée à la consolidation budgétaire par la baisse des dépenses publiques plutôt qu'à la croissance ou au rééquilibrage par la réduction des excédents ? Jean-Claude Juncker ne peut poser cette question et son « Europe sociale » est donc naturellement réduite à l'état d'une application de l'existant et de la défense du statu quo. Aussi ne peut-on pas attendre beaucoup de son plan sur ce terrain.

La question de sa personnalité se pose également : président de l'Eurogroupe pendant la crise de la dette et Premier ministre d'un pays qui a organisé l'évasion fiscale des Etats membres, comment peut-il incarner un tournant social à l'Europe ? Sans doute uniquement par des faits qui devront dépasser une décision de 13 milliards d'euros sur Apple. Et c'est bien cet aspect concret, largement absent de ce discours, qui permettra de réconcilier l'Europe avec cette partie désenchantée de la population.

Défense de la Commission

Ce discours n'aura donc pas permis d'avancer concrètement sur les contours de la réforme nécessaire de l'UE. Le président a cherché avant tout à positionner la Commission dans le processus actuel comme une instance à la fois active et proche des préoccupations des citoyens. Il a ainsi répondu aux critiques dont il est l'objet en assurant que « chaque jour », il parlait avec des citoyens. Sans doute faudra-t-il attendre le détail du plan de la Commission, mais on est en droit de s'interroger sur les marges de manœuvre de Bruxelles. Car, derrière ces bonnes volontés, la réalité est cruelle. L'Europe est profondément divisée sur son avenir : l'économie, la question migratoire, la lutte contre le terrorisme, l'approfondissement de l'union sont autant de sujets qui écartèlent les Etats membres entre eux et paralyse une union sur la défensive depuis le Brexit, malgré les proclamations - encore faite ce mercredi par Jean-Claude Juncker - que « l'Europe dépassera cette épreuve ». Le sommet de Bratislava semble déjà joué : il alliera les habituelles assurances de bonne volonté avec une absence de décisions de grande ampleur dans les faits. Jean-Claude Juncker va donc devoir prouver qu'il est capable de faire avancer concrètement l'Europe.