L'assouplissement quantitatif de la BCE est-il efficace ?

Par Romaric Godin  |   |  1806  mots
La BCE va-t-elle élargir le QE ?
Alors que les marchés commencent à demander plus de "QE" et que Mario Draghi joue la montre, il est temps de tirer un premier bilan de ces mesures. Le QE s'est révélé indispensable, mais clairement insuffisant.

Depuis quelques semaines, la pression est de plus en plus forte sur la BCE pour qu'elle élargisse et renforce sa politique d'assouplissement quantitatif (QE) lancé le 1er mars dernier. La rechute du taux d'inflation plaide, pour beaucoup d'économistes, pour ce choix. Mais, Mario Draghi, le patron de la BCE, joue une partie serrée face à une opposition interne menée par la Bundesbank qui, elle, estime que l'échec du QE est la preuve de son inefficacité et qu'il ne faut donc pas persister dans ce qui ne fonctionne pas. Du coup, comme l'a souligné ce week-end Mario Draghi et Benoît Coeuré, la BCE appelle à la patience et proclame qu'il « est trop tôt » pour faire un bilan du QE. Une façon d'utiliser la stratégie habituelle du patron de la BCE qui consiste à laisser la situation se détériorer pour rendre inévitable l'action. Ainsi peut-il se permettre de dépasser l'opposition de la « Buba. » Il n'en reste pas moins que le bilan du QE sera un élément clé de la communication de la BCE dans l'avenir. Aussi faut-il bien s'essayer à le dessiner.

Quels sont les buts du QE ?

Pour bien le juger, il convient de rappeler quel est le but du QE. En rachetant les titres souverains de la zone euro, la BCE visait à une redynamisation du crédit, à un renforcement de la croissance et, in fine, à une remontée des anticipations d'inflation. Le mécanisme était simple : le rachat de titres faisant baisser les taux longs, il réduit le coût du crédit à long terme pour l'économie réelle et incite les investisseurs à investir dans des produits à plus forts rendements, donc plus risqués. Le QE doit, donc, en théorie, favoriser la reprise de l'investissement, le point faible de la reprise européenne. Sans compter un troisième effet : l'effet de change. Les rachats d'actifs publics conduisent à injecter de l'euro sur les marchés, ce qui réduit la valeur de cette monnaie et permet d'améliorer la compétitivité des entreprises de la zone euro, donc leur capacité d'investissement.

Un premier élément du bilan du QE est donc la croissance. De ce point de vue, la croissance de la zone euro a connu un léger effet QE. Après la sortie de récession au deuxième trimestre 2013, la croissance de l'Union économique et monétaire (UEM) s'était située entre 0,1 % et 0,3 %. Au cours des deux premiers trimestres de l'année 2014, la croissance de la zone euro a été à chaque fois de 0,4 %. L'effet est donc limité, à première vue. Mais la réalité est peut-être plus complexe.

Ce que le QE a fait

La politique monétaire de la BCE n'a pas été neutre. Dès le printemps 2014, le QE a été anticipé par la plupart des investisseurs et ceci a eu des effets très tangibles qui ont eu un impact positif sur la croissance. D'abord, l'euro a beaucoup baissé, ce qui a soutenu les exportations des pays de la zone, en Allemagne, mais aussi en Italie ou en Espagne. Entre mai 2014 et mars 2015, l'euro est ainsi passé de 1,33 dollar à 1,05 dollar, soit un recul de 21 %. Sans le QE, cette dépréciation n'aurait pas eu lieu. On doit se souvenir que les annonces passées de la BCE n'avaient pas réussi à faire chuter l'euro. Deuxième élément : la chute de l'offre de crédit s'est stabilisée en zone euro, là aussi en grande partie grâce au QE. Tout ceci a joué un rôle notable dans le soutien à l'activité.

Ce que le QE n'a pas fait

Pour autant, il serait erroné d'attribuer la reprise européenne au QE. Si, dans certains pays, notamment dans les pays périphériques, la reprise du crédit a un impact important, un des principaux moteurs de la croissance européenne demeure la baisse des prix des matières premières, qui favorise notamment la consommation des ménages en libérant du pouvoir d'achat. Or, la BCE n'y est, ici, pour rien, bien au contraire, puisque sa politique vise à relancer l'inflation. L'investissement, sauf dans quelques pays, demeure sans ressort. En part de la richesse, selon la zone euro, l'investissement des sociétés non-financières est passé de 24,3 % de la valeur ajoutée nette fin 2013 à 24,1 % au deuxième trimestre 2015. Parallèlement, le taux d'épargne de ces mêmes sociétés est passé de 2,9 % à 4,9 % au cours de la même période. De ce point de vue, donc, le QE n'a pas rempli son objectif de favoriser l'investissement en offrant plus de visibilité à long terme aux agents économiques de la zone euro. Autrement dit, sans le QE, la croissance européenne serait sans doute plus faible, mais le QE n'a pas réussi à réellement renforcer la reprise.

Essoufflement de l'effet QE

C'est pourquoi la période actuelle est délicate pour la BCE. En effet, les effets du QE le taux de change commence à s'essouffler : il faut plus de 1,13 dollar pour un euro, soit 8 % de plus qu'en mars et l'effet est encore plus clair face à certaines monnaies émergentes. Au même moment, l'accélération du ralentissement des émergents réduit les opportunités pour les exportations. On voit ainsi les exportations allemandes et les commandes à l'industrie en Allemagne reculer nettement. Les mois qui vont venir vont permettre de dire si le QE ajouté à la baisse des matières premières est un élément suffisant pour maintenir la reprise. Il faut sans doute s'attendre à un ralentissement, preuve que le QE ne peut apparaître que comme un coussin de sécurité empêchant le retour en récession, sans pour autant être réellement un « stimulus » pour la croissance européenne.

L'inflation reste faible

Deuxième élément de bilan : l'inflation. Officiellement, rappelons-le, la BCE n'a qu'un seul objectif : le retour de l'inflation en zone euro à son niveau « cible », proche, mais inférieur des 2 % par an. De ce point de vue, le QE est absolument un échec. Le taux d'inflation de la zone euro est repassé dans le rouge en septembre 2015 à -0,1 %. Depuis juin 2014, ce taux n'est jamais repassé au-dessus de 0,5 %. Certes, la baisse du prix de l'énergie explique largement ce recul, mais si l'inflation sous-jacente, taux qui exclut l'énergie, le tabac et l'alimentation, a mieux réagi au QE, elle reste bloquée autour de 1 %. Certes, la BCE ne peut pas grand-chose contre la baisse des prix de l'énergie, mais le QE n'a pas, en dehors même de ce phénomène, un effet remarquable à la hausse sur l'inflation.

Un QE pourtant indispensable

Pour autant, il convient de ne pas oublier que les mesures de la BCE n'ont pas été « neutres. » Sans le QE, il eût sans doute été difficile d'empêcher la zone euro d'entrer dans une spirale déflationniste. Le QE assure un niveau de demande et des anticipations d'inflation minimales qui empêchent les agents économiques d'attendre les baisses futures de prix avant de consommer ou d'investir. « Sans le QE, les agents économiques auraient dû se désendetter rapidement pour éviter le renchérissement de leur dette dans le futur et cela aurait conduit à une spirale déflationniste », ajoute Gilles Moëc, économiste chez Bank Of America - Merrill Lynch. Bref, c'est là aussi un « coussin de sécurité », mais ce n'est pas la recette miracle pour retrouver des niveaux décents d'inflation.

Les salaires nominaux ne repartent pas

En réalité, le QE ne permet pas, notamment, d'agir sur le niveau des salaires, seul levier qui conduirait réellement à une hausse des anticipations d'inflation. Et là encore, la BCE est au pied du mur, car l'étanchéité entre le prix de l'énergie et les anticipations d'inflation n'est sans doute pas aussi rigide que certains le croient. Le pouvoir de négociation des salariés est nécessairement réduit par un taux d'inflation inférieur à 1 % depuis octobre 2013 et à 0,5 % depuis juin 2014. Autrement dit, sans reprise réelle de l'inflation, les salaires nominaux ne repartiront pas et l'inflation pas davantage. Ceci est rendu encore plus difficile par la politique de « réformes structurelles » sur le marché du travail qui a été menée un peu partout en zone euro et qui ont des effets déflationnistes sur les salaires, surtout lorsque le chômage reste élevé.« C'est un élément qui va peser durablement sur l'inflation », souligne Gilles Moëc. Le seul contre-exemple est l'Allemagne, où le salaire réel a progressé de 2,8 % au deuxième trimestre, mais ce pays, qui est dans une logique de rattrapage de 10 ans de modération salariale, ne connaît pas non plus de poussée inflationniste.

Absence de soutien public

Car les salaires seuls ne suffisent pas toujours si les perspectives d'activité restent fragiles. Or, de ce point de vue, la zone euro est particulièrement fragile. Un des éléments clé ici est la politique européenne. Incapable de réellement mener une politique de relance réelle, la Commission européenne maintient une pression en faveur de la baisse des déficits, comme on le voit actuellement dans le cas espagnol (où Bruxelles a demandé à Madrid de revoir sa copie budgétaire). Parallèlement, les pays en excédent comme l'Allemagne refusent d'investir massivement dans leurs économies et dans celle de la zone euro. Or, comme les perspectives mondiales sont ternes, l'économie de la zone euro manque de moteur. Et les anticipations d'inflation n'ont aucune raison de progresser. C'est le troisième pilier du programme de Jackson Hole d'août 2014 de Mario Draghi, celui de la relance, qui manque toujours. Et qui empêche le QE d'être efficace. Car sans ce « déclencheur », l'investissement est condamné à rester atone, quelles que soient les conditions financières.

Bilan mitigé

Bref, le bilan du QE est mi-chèvre, mi-chou. Indispensable pour éviter une récession et une déflation, son efficacité s'émousse et il a prouvé qu'il n'était pas capable de relancer la croissance. Et ceci prouve, comme l'a toujours affirmé Mario Draghi, que la politique monétaire ne peut pas tout. Malheureusement, la logique politique de la zone euro empêche de mener une politique économique complémentaire. La BCE va donc encore une fois, devoir répondre seule au défi, et devra donc élargir le QE dans le temps et, peut-être, dans le volume. Mais là encore, l'efficacité risque d'être limitée. Or, le danger est réel : sans remontée de l'inflation, il n'y aura pas de croissance solide, ni de vrai désendettement pour les Etats et les ménages. Pire même, on s'expose, sans inflation, à être de nouveau soumis à une logique déflationniste pour mener le désendettement futur. Et donc à une nouvelle récession.