L'Europe de l'Est piégée dans un modèle à bas coûts salariaux

Par Florence Autret  |   |  588  mots
Convergence des salaires entre la Hongrie, la République tchèque, la Pologne et l'Allemagne entre 1993 et 2015 (salaire annuel nominal moyen en euros et en pourcentage du salaire allemand). Source : Confédération Européenne des Syndicats
Un étude économique dénonce la modération salariale qui sévit en Europe centrale depuis la crise. Les salaires y sont repassés sous les 30% du salaire moyen allemand pendant que la productivité ne cessait d'augmenter.

Le constat est sans appel : la crise a mis un terme à deux décennies de rattrapage salarial en Europe centrale et orientale. Les piètres performances des salariés hongrois, polonais ou tchèques n'y seraient pour rien. Selon les chiffres établis par l'économiste Bela Galgoczi, la productivité du travail aurait continué à y augmenter, au point de raviver la concurrence sociale avec l'Ouest et d'enfermer le centre de l'Europe, malgré lui, dans un modèle à bas coût.

Son étude intitulée "Pourquoi l'Europe centrale et orientale a besoin d'une augmentation de salaire" publiée par la Confédération européenne des syndicats pointe du doigt les erreurs de politique économique commises après la crise qui ont abouti à relancer une concurrence sociale qui était pourtant en train de se réduire progressivement.

Salaire moyen dans les PECO en comparaison du salaire moyen allemand

"Entre le milieu des années 1990 et 2008, la convergence des salaires a été spectaculaire mais à partir de la crise, la convergence soit s'est arrêtée soit à substantiellement ralenti", explique l'économiste hongrois.

Des recommandations politiques erronées

Jusqu'à 2008, le rattrapage salarial a été soutenu par l'intensité des investissements directs dans ces pays et par l'émigration, deux facteurs qui ont contribué à raréfier la main-d'oeuvre et à faire monter les salaires. Cette dynamique aurait pris fin avec la crise. Mais elle aurait été aggravée, selon l'économiste, par l'intervention européenne.

"Les politiques de gestion de la crise européenne ont directement interféré dans les mécanismes de fixation des salaires dans un certain nombre de pays (Lettonie, Hongrie et Roumanie, placés sous assistance financière, ndlr) mais les effets de la modération salariale se sont étendus à toute la région", écrit-il.

La Commission européenne aurait identifié à tort les fortes augmentations des salaires des années pré-crise comme des problèmes centraux et plaidé - quand ce n'est pas imposé - une modération salariale sans établir de lien valable avec les facteurs de compétitivité de ces pays.

"La plupart des pays d'Europe centrale et orientale n'ont pas de problème fondamental de compétitivité prix", écrit l'auteur, rappelant que la part des salaires dans le PIB est de 7% inférieure dans les pays d'Europe centrale et orientale que ce qu'elle est à l'Ouest.

Une importante "réserve de productivité" qui ne profite pas aux salaires

En Pologne et en République tchèque, qui n'ont pas pas connu de problème particulier de déficit ou d'endettement public, la "réserve de productivité", autrement dit l'écart salarial qui pourrait être comblé sans nuire à la compétitivité, varie entre 20 et 40%. La productivité y est en effet très supérieure, dans l'industrie manufacturière, à ce qu'elle est en Allemagne. Or, en Pologne, seule la moitié des gains de productivité ont été réinvestis dans les salaires entre 2008 et 2015.

"Les salaires ne sont pas seulement plus bas qu'en Europe de l'Ouest mais... tendent aussi à être plus bas que le potentiel économique de ces pays permettrait", estime l'économiste.

L'Europe centrale et orientale n'avait pourtant pas vocation à suivre une stratégie de dumping social qui "maintient la région dans un rôle de subordination et de dépendance dans la division internationale du travail", écrit Bela Galgoczi. Elle devrait au contraire se remettre sur une trajectoire de rattrapage salarial avec l'Ouest, un horizon vers lequel avançaient les décideurs politiques en Hongrie, en République tchèque ou en Pologne jusqu'au milieu des années 2000.