"Le gouvernement grec se bat pour la dignité de la Grèce"

Par Romaric Godin  |   |  1166  mots
Nikos Xydakis, ministre grec de la Culture
Nikos Xydakis, ministre grec de la Culture, présente les buts de son gouvernement dans les négociations avec les créanciers.

Vous avez condamné dans votre discours à l'Unesco le « nettoyage culturel » de l'Etat islamique en Irak et en Syrie. Que peut faire la Grèce dans ce domaine ?

Mon intervention à l'Unesco prenait place dans le cadre des troisièmes rencontres sur la convention de 1970 contre le trafic illicite de biens culturels. Cette convention, une des plus importantes de l'Unesco, a été relancée voici deux ans par la Grèce et elle est plus que jamais d'actualité. On sait que ce trafic est un moyen de financement de l'Etat islamique et que c'est aussi un moyen de blanchir de l'argent sale. Dans ce domaine, la Grèce peut jouer un rôle essentiel au niveau diplomatique international et elle a le soutien d'un grand nombre de pays en Europe, en Amérique latine et dans le monde arabe.

Vous vous êtes également rendu à Cannes...

Oui, pour l'hommage à Costa Gavras et la diffusion de la version restaurée de « Z. » Ce fut un moment émouvant pour nous et pour lui-même, particulièrement parce que ce film qui a marqué l'histoire du cinéma européen est encore très actuel.

En quel sens ? Pensez-vous que ce qui y est décrit, la tentative avortée d'établir un espoir issu de la gauche démocratique en Grèce, peut se reproduire ?

Non. La situation des années 1960 en Grèce est très différente de celle d'aujourd'hui. Il y avait alors un Etat dans l'Etat qui a conduit à la dictature des Colonels. La dictature était déjà installée au Portugal et en Espagne à cette époque et l'on était en pleine guerre froide, avec des Etats-Unis alors très interventionnistes en Europe. En revanche, ce qui est toujours actuel aujourd'hui dans ce film, c'est son évocation de la lutte pour la démocratie. Comme l'a souligné Costa Gavras, ce qui est radical aujourd'hui, c'est la démocratie. C'est ce pour quoi lutte le nouveau gouvernement grec, démocratiquement élu : le droit de respirer et de donner un avenir à ses enfants. C'est l'ambition de toutes les démocraties en Europe.

Le gouvernement grec combat-il aujourd'hui pour la démocratie ?

Nous nous battons pour cette devise qui est au fronton des écoles françaises, « Liberté, Egalité, Fraternité. » De nombreux Européens sont morts pour cette devise et pour les valeurs des révolutions française, étatsunienne ou grecque. Aucun n'est mort pour « l'austérité. » L'austérité n'est pas un fondement de la démocratie européenne et de l'Union européenne. En réalité, ce pourquoi se bat le gouvernement grec, c'est sa dignité.

Jusqu'où le gouvernement dont vous êtes membres est prêt à aller dans ce combat ?

Depuis l'accord du 20 février, le gouvernement grec a proposé des concessions considérables pour parvenir à un honnête compromis. Il a négocié dans une situation d'asphyxie économique et financière, tout en versant pas moins de huit milliards d'euros à ses créanciers, sans avoir le moindre accès à un quelconque refinancement. C'est un cas unique au monde, comme la rapidité et l'ampleur de la consolidation engagée depuis 2010 est un cas unique au monde. Il est désormais normal que la Grèce bénéficie de l'assouplissement quantitatif de la BCE et du plan Juncker.

Etes-vous prêt à poursuivre une politique d'austérité ?

Nous ne pouvons pas accepter des mesures supplémentaires qui auraient un effet récessif. Notre but fondamental, c'est la croissance et la création d'emplois.

Les créanciers affirment que c'est aussi leur but et que c'est pour cette raison qu'ils demandent une réforme du marché du travail...

La Grèce ne demande rien d'autres que de respecter l'acquis communautaire et de ne pas devenir un pays digne du Bangladesh. Favoriser les licenciements collectifs lorsque l'on a 25 % de chômage ne crée pas d'emplois. Le pouvoir d'achat du citoyen grec a reculé de 50 %. Nous avons déjà mené une dévaluation interne et nous avons pu constater que cela a échoué. Le FMI - qui réclame pourtant ces réformes - l'a reconnu lui-même dans plusieurs rapports.

Voyez-vous un risque de déstabilisation de la Grèce ?

Dans un contexte régional en pleine ébullition, au Moyen-Orient, en Ukraine, à présent dans l'ancienne république yougoslave de Macédoine, la Grèce est le seul pays stable de la région. Elle fait partie des grandes alliances militaires et politiques. Je pense que nous allons demeurer un facteur de stabilité régional, indépendamment de l'issue des discussions avec les créanciers. Toutes les personnes modérées savent bien que la stabilité de la Grèce renforce la position de l'ensemble de l'Union européenne. Il est important que l'UE agisse face aux crises régionales, et pas seulement en tant que zone économique et de compétitivité.

Peut-on imaginer une sortie de la Grèce de la zone euro ?

Ni le peuple grec, ni le gouvernement grec n'ont jamais mis cette option sur la table.

Comment juger l'attitude de la France dans le cadre de ces négociations ?

La France est un allié extrêmement important pour la Grèce. Nos deux pays ont de réelles affinités culturelles et politiques. Nous avons un grand potentiel d'amitié.

Un dernier mot sur votre domaine de compétence : vous avez annoncé récemment que vous abandonniez l'idée de mener une procédure judiciaire contre le Royaume-Uni dans l'affaire des marbres du Parthénon exposés au British Museum. L'affaire est donc close ?

Non. Toutes les autres voies restent ouvertes et nous n'excluons aucune éventualité.

Un ancien journaliste devenu ministre
Nikos Xydakis est né au Pirée en 1958. Diplômé en histoire de l'art de l'université d'Athènes, il entre au quotidien conservateur Kathimerini comme critique d'art en 1992, puis il devient rédacteur en chef en 2009. En janvier 2015, il est élu député sur la liste Syriza de la circonscription d'Athènes-2. Il entre alors au gouvernement comme vice-ministre en charge de la culture sous la direction du ministre de la culture de l'éducation et des affaires religieuses, Aristides Baltas.

L'affaire des "marbres d'Elgin"
De 1801 à 1805, l'ambassadeur britannique à Constantinople, Lord Elgin fit ôter du fronton du Parthenon sur la colline de l'acropole à Athènes des frises en marbre. Il les transféra ensuite au Royaume-Uni où, ruiné, il dut les vendre au gouvernement britannique pour 35.000 livres qui les plaça au British Museum. Devenue indépendante de l'empire ottoman en 1830, la Grèce, et notamment son premier roi, le Bavarois Otton, tenta de racheter ces marbres. En vain. Au début des années 1980, la Grèce a, à nouveau, approché Londres pour récupérer les marbres. Mais le gouvernement britannique a toujours refusé d'évoquer cette question. Une tentative de médiation de l'Unesco a été repoussée par le British Museum récemment. Athènes avait donc envisagé une action juridique, mais Nikos Xydakis a décidé de ne pas se lancer dans une procédure.