"Nous ne serions pas dans cette situation s'il y avait davantage de confiance dans les échelons locaux"

Par Propos recueillis par César Armand  |   |  733  mots
Isabelle Boudineau est la présidente de la commission sur la cohésion des territoires et le budget européen du Comité des régions. (Crédits : DR)
INTERVIEW. Vice-présidente (PS) de la région Nouvelle-Aquitaine chargée de l'Europe et de l'International, Isabelle Boudineau, vient d'être élue présidente de la commission sur la cohésion des territoires et le budget européen au Comité des régions, l'instance qui représente les collectivités de l'Union européenne. L'élue demande au gouvernement de clarifier sa position sur la gestion des fonds européens par les conseils régionaux.

LA TRIBUNE - Vous venez d'être élue présidente de la commission sur la cohésion des territoires et le budget européen au Comité des régions, l'instance qui représente les collectivités de l'Union européenne (UE). Quelle est votre feuille de route à l'heure où le Brexit va faire perdre près de 12 milliards d'euros par an à l'UE ?

ISABELLE BOUDINEAU - Nous serons les ardents défenseurs des fonds européens consacrés à la cohésion des territoires gérés par les collectivités. Nous avons ce défi d'avoir un budget un peu en baisse alors qu'un contributeur net, le Royaume-Uni, sort de l'Union européenne, occasionnant une perte de 11 à 12 milliards d'euros par an dans le budget. Dans le même temps, le Conseil européen, la réunion des chefs d'État et de gouvernement, souhaite donner des nouvelles priorités à l'UE sans augmenter le budget. La défense commune, la sécurité aux frontières et l'accueil des réfugiés commencent à trouver leur place et témoignent de nouvelles ambitions, mais il n'y a pas de contributions à la hauteur en face.

Certains États-membres opposent, en effet, leur veto à toute augmentation de leur contribution ou restent frileux alors que l'UE n'a plus de recettes propres suffisantes. Il est aisé de dire que l'Europe n'en fait pas assez, mais c'est un bouc émissaire facile et chacun regarde ses pieds quand il est question de moyens supplémentaires.

Votre élection intervient à un moment où les États membres négocient avec la Commission européenne le déploiement des fonds européens pour la période 2021-2027 avec une baisse de 5%...

La France subira, elle aussi à son échelle, une baisse de 5%, quand les pays de l'Est connaîtront une chute de 15% à 20%. C'est à la fois une bonne et une mauvaise nouvelle. La Commission européenne considère que la France n'est pas sur la voie de la résorption de ses inégalités sociales et territoriales, alors que tous les pays de l'Est ont vu leur croissance progresser. Nous allons continuer à faire du lobbying pour l'ensemble des collectivités européennes, en faisant la démonstration que les fonds de cohésion ont une réelle utilité.

Entre 2014 et 2020, la région Nouvelle-Aquitaine bénéficie de 2,5 milliards d'euros, ce qui de la part de l'Europe témoigne aussi bien d'un effet levier qu'une attention aux territoires que n'a pas notre propre État. Les fonds européens sont même irremplaçables dans la montée en compétitivité de nos PME et permettent une intervention différenciée qui ne passe pas par la vision parisienne du CICE qui s'est appliquée indistinctement dans les grandes entreprises. Si nous l'avions décentralisé, nous n'en serions pas là aujourd'hui.

Redoutez-vous une baisse des investissements à l'échelle de votre région ?

Si cela reste de l'ordre de 5%, les dégâts seront amortis, mais l'enjeu est ailleurs. Si, en juillet dernier, nous avons décidé collectivement, régions, départements et mairies, de faire la politique de la chaise vide à la Conférence nationale des territoires sur l'Europe, ce n'est pas par plaisir, mais cette recentralisation et ce mépris sont révélateurs de l'état du pays. C'était une première alerte avant que les "Gilets jaunes" ne suivent.

Nous sommes d'ailleurs dans l'attente de savoir si ces fonds vont continuer à être gérés par les régions, comme c'est le cas depuis 2014. À l'époque, le président de la région Aquitaine Alain Rousset avait réussi à convaincre le président Hollande, en lui expliquant que nous savions mettre en équilibre une métropole comme Bordeaux et des territoires complètement délaissés où il n'y a plus d'attractivité. Nous savons panacher des fonds comme le fonds européen de développement régional (FEDER) ou le fonds social européen (FSE) car nous avons, par exemple, la compétence des lycées, de l'apprentissage et de la formation.

J'insiste : nous ne serions pas dans cette situation s'il y avait davantage de confiance dans les échelons locaux. Cela devient urgent, car nous sommes en train de préparer la génération 2021-2027. Il s'agit de passer deux ans sur le terrain avec tous les partenaires pour regarder ce qui est prioritaire, afin d'élaborer une politique ensuite validée par la Commission.