Pourquoi la Bundesbank veut sauver le billet de 500 euros

Par Romaric Godin  |   |  1263  mots
La BCE ne veut plus de billets mauves, la Bundesbank veut le défendre...
La banque centrale allemande a ouvertement critiqué la volonté de la BCE de supprimer le billet mauve. Elle défend une habitude allemande, mais elle a peut-être un autre objectif en tête.

Les relations entre la BCE et la Bundesbank, on le sait, sont très tendues ces temps-ci. Le président de la « Buba », Jens Weidmann, ne manque pas une occasion de dire tout le mal qu'il pense de la politique d'assouplissement quantitatif de la BCE. Mais les deux banques centrales sont engagées dans une autre bataille : celle du billet de 500 euros.

La Bundesbank défend le billet mauve

Dans le cadre de la lutte contre le financement du terrorisme et contre les fraudes diverses, la BCE a engagé une réflexion pour supprimer la plus grosse coupure d'argent liquide de la zone euro, avec l'appui notamment du ministère français des Finances. Mais la Bundesbank entend défendre l'existence du billet mauve, comme le rappelait récemment le site paneuropéen EurActiv. Dans un discours prononcé à Londres, Carl-Ludwig Thiele, membre du directoire de la Bundesbank en charge de l'argent fiduciaire a défendu le billet de 500 euros au nom de la liberté. « Les citoyens ne devraient pas devenir automatiquement suspects », a-t-il indiqué en déplorant que la liberté des Européens serait ainsi entravée.

La défense des habitudes allemandes contre... Wolfgang Schäuble

L'offensive de la Bundesbank n'est certes pas surprenante. Le billet de 500 euros avait été créés en 2002 pour ne pas perturbés les habitudes des citoyens de la république fédérale, accoutumés à l'usage du billet de 1.000 deutsche mark, soit... 500 euros. Même si l'usage des cartes de paiement se répand en Allemagne, il demeure beaucoup plus limité qu'ailleurs en zone euro. En 2011, selon la Fed de Boston, 82 % des transactions dans le commerce de détail se faisaient en liquide en Allemagne contre 56 % en France, 65 % en Autriche et 46 % aux Etats-Unis. Il n'est pas rare, outre-Rhin, de pratiquer des paiements élevés en numéraire, sachant qu'il n'existe aucune limite, à la différence de la France ou des pays voisins pour de telles transactions.

L'Allemand aime donc l'argent liquide et la Bundesbank défend logiquement leur intérêt. Mais, pour une fois, la Buba et le ministre fédéral des Finances, Wolfgang Schäuble, ne sont pas sur la même longueur d'onde. Ancien ministre de l'Intérieur, ce dernier est très sensible aux questions de financement du crime organisé et du terrorisme. Il s'est donc dit favorable à la suppression du billet de 500 euros et à l'instauration d'une limite de 5.000 euros pour les transactions en liquide. Mais la Bundesbank a peut-être un autre objectif en tête.

Le risque des taux négatifs

Dans le contexte actuel, en effet, l'argent liquide prend une valeur particulière. La BCE s'est engagée dans un taux de dépôt négatif qui est aujourd'hui à -0,3 % et peut-être dès jeudi à -0,4 %. Une mesure que la Bundesbank désapprouve clairement, mais qui vise à faire circuler davantage les liquidités excessives des banques issues du programme de rachat de la BCE pour faire baisser les taux interbancaires et favoriser les prêts à l'économie réelle. La BCE entend aussi utiliser ce taux négatif pour peser sur l'euro en incitant les investisseurs à ne pas stocker des liquidités dans la zone euro.

Pour le moment, ce taux de dépôt négatif ne s'est pas répercuté sur les clients des banques. La rémunération de l'épargne et des dépôts demeure positive ou nulle. Mais si la BCE va plus loin, il peut être envisageable de voir les banques répercuter cette « taxe » sur leurs clients. Ceci ne serait pas forcément vu d'un œil sévère par la BCE qui cherche précisément à favoriser l'utilisation de l'épargne stagnante pour doper la croissance. Elle n'a, de ce point de vue, pas tort. Malgré une augmentation réelle record de leurs salaires, les Allemands ont augmenté en 2015 leur taux d'épargne. La BCE a besoin que cet argent circule.

Vers une préférence pour le liquide ?

Mais la Bundesbank n'est pas de cet avis. Elle entend - et c'est son rôle - défendre les épargnants allemands, mais aussi les banques allemandes. Car si l'épargne est taxée, si les ménages vident leurs comptes épargne, ils risquent de fragiliser un secteur bancaire allemand dont la santé demeure problématique en réduisant les fonds propres des établissements. Or, la Bundesbank voit dans l'argent liquide et dans l'existence de grosses coupures un élément dissuasif pour la BCE.

Les billets de banque sont en effet des créances sur la BCE à taux nul. Si l'épargne est taxée, leur détention peut devenir intéressante pour un déposant. Plutôt que de payer 1,60 euro pour 500 euros déposés sur un compte, un ménage peut décider de conserver 500 euros en liquide - non taxés - sous son matelas, par exemple. L'arbitrage est cependant plus complexe, car pour des sommes plus importantes, il y a un coût au stockage d'argent liquide : il faut un contenant sécurisé, comme un coffre-fort et il existe un risque de vol ou de perte. Bref, ce coût rend l'arbitrage plus complexe. Mais plus les taux seront négatifs, plus le coût relatif de la détention de numéraire sera intéressant.

Le billet de 500 euros, une arme contre la BCE ?

Or les grosses coupures permettent de stocker davantage de fonds de façon plus pratique. Autrement dit : le billet de 500 euros est un moyen de contourner plus aisément les taux négatifs susceptibles de frapper l'épargne que des plus petites coupures. Il fait sensiblement baisser le coût de la détention de liquide. C'est donc un ennemi potentiel de la politique de la BCE. Et donc un allié de la Bundesbank. Tant qu'il existe, il dissuade la BCE d'aller trop loin dans sa politique de taux négatif. Car si les épargnants décident de stocker des billets, la BCE n'aura pas réussi à favoriser une meilleure circulation financière et elle aura, de plus, fragilisé les banques. Bref, la BCE a tout intérêt à limiter les grosses coupures à 200 euros, ce qui augmente immédiatement de 2,5 fois le coût relatif de stockage et donc l'intérêt de conserver son argent sur des comptes taxés.

Pas d'actualité, mais...

Cet aspect n'est peut-être pas le principal actuellement pour la BCE, la Bundesbank et les Etats. Même à -0,4 %, le taux de dépôt négatif demeure supportable pour les banques européennes et les taux d'épargne allemands restent légèrement positifs. En Suisse, avec un taux de dépôt de - 0,75 %, les taux d'épargne sont généralement nuls. Chez Crédit Suisse, par exemple, il est de 0,01 % pour les sommes jusqu'à 250.000 francs suisses. On n'a donc vu aucune « préférence » pour l'argent liquide dans la Confédération.

Reste qu'avec la généralisation des taux négatifs sur la dette allemande (jusqu'à une maturité de 9 ans), le risque n'est pas à négliger pour la Bundesbank. Dans la presse financière allemande, les "experts" ne cessent de mettre en garde contre ce danger. D'autant qu'on ne voit aucun signe de succès de la politique de la BCE. Le taux de dépôt de cette dernière pourrait donc aller encore plus loin en territoire négatif. On comprend alors que la Bundesbank n'étende pas se priver d'une arme comme le billet de 500 euros pour contrer cette politique si elle devenait incontrôlable.