Zone euro : la menace déflationniste toujours d'actualité

Par Romaric Godin  |   |  1498  mots
Les prix ont baissé sur un an de 0,2 % dans la zone euro en février 2016.
Les prix ont baissé de 0,2 % en février sur un an. Le premier chiffre négatif depuis septembre 2015. Une invitation à agir pour la BCE, mais l'équation devient de plus en plus insoluble...

L'inflation en zone euro est repassée en territoire négatif en février 2016, à -0,2 % sur un an. Les prix n'avaient plus baissé dans l'union monétaire depuis septembre 2015 et cette fois la chute est lourde : en janvier, les prix avaient progressé sur un an de 0,3 %. Les quatre premières économies de la zone euro ont connu en février 2016 une baisse des prix sur un an. Certes, les prix de l'énergie continuent à tirer l'indice vers le bas avec un recul sur un an de 8 % en février contre 5,4 % en janvier, mais ce phénomène n'est clairement plus le seul élément en cause.

Pourquoi l'inflation rechute

L'inflation « sous-jacente » qui rend compte du niveau des prix en excluant les effets de l'énergie, de l'alimentation, des alcools et du tabac recule en effet fortement, repassant de 1 % à 0,7 %, soit son niveau d'avril 2015. Une lourde chute qui s'explique par deux phénomènes : les effets de la remontée de l'euro et ceux des « effets de second tour » où la baisse du prix de l'énergie commence à se transmettre aux autres biens. Le président de la BCE avait, lors de sa dernière conférence de presse, mis en garde contre ce phénomène de contagion. Les chiffres semblent lui donner en partie raison. La réalité, c'est donc que, sans l'effet de la baisse de l'euro, la tendance lourde de l'économie est à l'affaiblissement des prix. Rien d'étonnant à cela compte tenu du peu de dynamisme des salaires, du chômage, de la croissance faible et de l'excédent courant de la zone euro.

Action sur les anticipations

La situation est donc plus que jamais sérieuse. Rappelons que si l'inflation faible ou négative peut avoir des effets immédiats positifs en dégageant du pouvoir d'achat sur les ménages, elle représente en réalité un véritable danger à moyen terme pour l'économie, pour au moins quatre raisons. D'abord, parce que l'inflation actuelle détermine toujours les anticipations futures d'inflation. Or, ces anticipations sont déjà très faibles, aux alentours de 1,4 % pour celles qui évaluent l'inflation moyenne sur cinq ans dans cinq ans. On est donc très loin de l'objectif de 2 % de la BCE.

L'investissement obéré

Or - et c'est la deuxième raison - une inflation faible durable réduit considérablement la capacité des entreprises à maîtriser et à anticiper leurs prix et, du coup, leurs bénéfices. Dans une telle situation, décider d'investir est pratiquement impossible. D'autant que la faiblesse des prix traduit aussi une faiblesse de la demande. A l'exclusion de l'Allemagne (mais les ventes au détail de janvier outre-Rhin ont reculé de 0,8 % en janvier sur un an), la consommation des ménages en zone euro, malgré l'effet « essence », reste inférieure à sa moyenne long terme. Logique compte tenu de la modération salariale généralisée et du chômage encore élevé en zone euro. Pourquoi alors investir ? La relance des anticipations d'inflation est une condition sine qua non à la reprise durable de l'investissement. Et la zone euro manque cruellement d'investissements.

L'alourdissement du poids de la dette

Par ailleurs, l'inflation faible est un piège pour les économies européennes parce qu'elle alourdit considérablement le poids de la dette en faisant pression sur les taux réels et en alourdissant le coût du remboursement du capital. Or, les Etats de la zone euro sont déjà lourdement endettés, la plupart des dettes publiques ayant été encore alourdies par les politiques d'austérité menées depuis 2010 qui ont affaibli la croissance. Mais les ménages et les entreprises sont déjà fortement endettés. Dans des pays comme les Pays-Bas, l'Irlande ou le Portugal, le poids de cette inflation faible risque de rogner in fine les revenus des ménages et compenser les effets de la baisse du prix de l'essence.

Le risque déflationniste

Enfin, l'inflation faible ou faiblement négative est une porte d'entrée vers une vraie logique déflationniste, celle où la baisse des prix s'alimente elle-même. Si les acteurs économiques s'habituent à des prix stables ou en faible baisse, ils peuvent préférer attendre des opportunités meilleures pour réaliser leurs achats et, ainsi les reporter. Pour relancer leurs ventes, les entreprises doivent alors se lancer dans une guerre des prix et rogner sur leurs marges et leurs effectifs. C'est le vrai scénario de déflation, celui que craint par-dessus-tout la BCE, car il est très difficile d'en sortir. On n'en est pas encore là, mais chaque mois avec une inflation faible rapproche clairement de ce risque en affaiblissant les anticipations d'inflation. L'inflation n'a pas été supérieure à 1 % par an en zone euro depuis octobre 2013, voici 30 mois...

Le demi-succès du QE1

Que faire alors contre ces dangers ? La politique d'assouplissement monétaire quantitatif (QE) de la BCE a clairement montré ses limites. Elle a, fin 2014 et début 2015, permis un fort affaiblissement de l'euro qui a bloqué, alors, le risque déflationniste. Mais cet effet s'est aujourd'hui effacé devant les fondamentaux : une croissance de la zone euro désespérément faible et qui s'affaiblit encore, une politique de consolidation budgétaire et de compétitivité externe qui alimente un excédent courant important et un affaiblissement général de l'inflation dans le reste du monde, particulièrement en Asie. Mario Draghi a annoncé qu'il lancerait le 10 mars une deuxième phase de cet assouplissement quantitatif. Il trouvera un argument supplémentaire dans ce chiffre de l'inflation de février.

Le QE2 réussira-t-il ?

Mais ce « QE2 » peut-il sauver la situation ? On ignore la forme qu'il prendra, mais la tâche de « Super Mario » sera beaucoup plus délicate que l'an passé. Voici un an, on pouvait encore croire à la perspective d'une « reprise se renforçant progressivement » et aux bienfaits de la baisse de l'euro. C'est plus difficile aujourd'hui. D'abord, parce que la BCE a « grillé » une cartouche. L'incapacité du QE1 à relancer l'inflation va forcément peser sur le QE2. Ensuite, parce que la BCE avait bénéficié l'an dernier de circonstances fort bénéfiques : l'anticipation de la hausse des taux de la Fed, l'insouciance vis-à-vis du ralentissement chinois et la croyance dans l'effet du QE. Tout ceci a disparu aujourd'hui.

Enfin, la situation actuelle est très périlleuse. L'économie mondiale est dans une phase de ralentissement. Le commerce mondial est au plus bas : l'indice Baltic Dry, qui mesure les échanges internationaux, est aujourd'hui au plus bas, plus bas même que son niveau durant la « grande récession » de 2009. Le gâteau que doivent se partager les grandes économies est donc moindre et la lutte pour conserver ses parts est naturellement plus féroce. La Banque du Japon a fait récemment entrer ses taux en territoire négatif, la Chine a lâché du lest sur le yuan, la Fed envisage de faire une pause dans son resserrement monétaire et les banques centrales asiatiques sont très nerveuses. Bref, tout le monde est l'arme au pied. Le risque est que le QE2 soit le déclencheur d'une guerre des monnaies exacerbée, où chacun tentera d'exporter chez ses voisins sa déflation à coup de QE et de taux négatifs. Une perspective bien dangereuse qui pourrait s'achever par une défaite généralisée.

Les conséquences du « nein » allemand à toute relance

Il existe certes des alternatives qui pourraient prendre la forme d'une relance menée par les pouvoirs publics ou la Banque européenne d'investissement (BEI). La BCE pourrait financer un plan de la BEI plutôt que de verser des milliards aux banques. Elle pourrait aussi contourner l'obstacle des banques pour toucher directement les comptes des ménages et des entreprises et créer un « effet richesse » naturellement inflationniste. Le problème, c'est que l'Allemagne ne veut pas de ces méthodes, comme l'a encore prouvé ce week-end lors du sommet du G20 à Shanghaï le refus du ministre fédéral des Finances Wolfgang Schäuble d'organiser une relance coordonnée de l'économie mondiale. Un refus soutenu tacitement par son homologue français Michel Sapin. Wolfgang Schäuble a même rejeté comme « pitoyable » la demande de son vice-chancelier Sigmar Gabriel de dépenser davantage pour les réfugiés en Allemagne.

Ce refus obsessionnel de toute dépense publique de la part d'un pays qui dispose des moyens d'agir plus que tout autre au monde condamne les banques centrales à agir seules. Il les condamne donc à l'échec. Le « nein » de Wolfgang Schäuble a une conséquence immédiate : l'exacerbation de la guerre des monnaies par les banques centrales. Mario Draghi n'a donc pas le choix. Ne rien faire ferait s'effondrer les perspectives d'inflation, il doit donc se jeter dans la mêlée. Mais rien ne dit qu'à ce petit jeu, la BCE qui a épuisé déjà beaucoup de cartouches, gagnera la partie.