Comment bâtir "l’Airbus" des moyens de paiement

Par Christine Lejoux  |   |  1004  mots
Autrefois portée par la vague de la carte à puce, la filière française des moyens de paiement est aujourd'hui confrontée à la montée en puissance du digital. REUTERS.
Les moyens de paiement constituent une filière d’excellence en France, au même titre que l’aéronautique ou le luxe, affirme Georges Pauget, ancien patron du Crédit agricole.

La France dispose d'un fleuron industriel caché, ignoré d'elle-même. A savoir les moyens de paiement. Telle est la conviction de Georges Pauget, ancien directeur général du Crédit agricole et aujourd'hui président du cabinet de conseil Economie, finance et stratégie, qui considère ce secteur comme une filière d'excellence française, au même titre que le luxe ou l'aéronautique.

Une filière dont Georges Pauget a présenté une cartographie, jeudi 3 avril, dans le sillage du rapport sur l'avenir des moyens de paiement en France, que l'ancien patron de la banque verte avait publié en 2012 avec Emmanuel Constans, médiateur des ministères économiques et financiers. L'objectif : démontrer par A plus B que les moyens de paiement constituent en France une industrie créatrice de valeur et d'emplois, une excellence qu'il convient de préserver à l'heure où le secteur est bousculé par l'arrivé de nouveaux entrants tels que les géants de l'Internet PayPal, Google ou encore Amazon.

 L'industrie française des moyens de paiement emploie 90.000 personnes

 "L'opinion publique réduit l'univers des moyens de paiement aux banques, mais celles-ci sont largement minoritaires dans cette filière, qui est véritablement industrielle", a précisé Georges Pauget, lors d'une conférence de presse organisée le 3 avril par le pôle de compétitivité Finance Innovation, qui fédère la filière des moyens de paiements en France. De fait, sur les quelque 240 sociétés que compte le secteur des moyens de paiement en France, la moitié environ n'est pas issue du monde bancaire. Il s'agit d'entreprises comme le spécialiste de la carte à puce Gemalto ou le fabricant de terminaux de paiement Ingenico, qui sont en outre "des champions européens, voire mondiaux", insiste Georges Pauget.

Il est vrai que Gemalto ne compte pas moins de 10.000 collaborateurs dans le monde, pour un chiffre d'affaires annuel qui dépasse les 2 milliards d'euros, celui d'Ingenico excédant le milliard, et les effectifs de la société se montant à 4.500. Au total, l'industrie française des moyens de paiement - puisqu'il faut donc parler d'industrie - emploie 90.000 personnes (dont 72.000 emplois indirects). Ce nombre a surpris Pascal Burg, du cabinet de conseil Edgar, Dunn & Company, qui a réalisé avec Georges Pauget la cartographie de la filière française des moyens de paiement :

"Nous pensions que le secteur ne comptait pas plus de 40.000 à 50.000 collaborateurs. Le chiffre de 90.000 n'est pas si éloigné des 140.000 emplois comptabilisés aussi bien dans la filière de l'aéronautique que dans celle du luxe, en France."

 Après la vague de la carte à puce, celle du digital

 Quant au poids économique de la filière française des moyens de paiement, Pascal Burg l'estime à 6 ou 7 milliards d'euros, sur la base de la valeur ajoutée par employé calculée par l'Insee. Laquelle ressort à 95.000 euros dans le domaine des moyens de paiement, soit un montant supérieur de 23% à la moyenne française, tous secteurs d'activité confondus. Si l'industrie française des moyens de paiement est si performante, c'est parce qu'elle a été portée par la vague de la carte à puce, créé en France et qui a été déployée sur les cartes bancaires à partir de 1992.

 Or "la carte à puce ne sera plus le produit phare, au cours des prochaines années, compte tenu de l'émergence du paiement par mobiles", prévient Georges Pauget. "Après la première vague de la carte à puce, nous assistons aujourd'hui à une deuxième vague dans le domaine des paiements, qu'il ne faut pas rater, celle du digital, avec la montée en puissance de portefeuilles électroniques comme PayPal et Buyster [développé par les opérateurs de télécommunications Orange, Bouygues Télécom, SFR et la SSII Atos ; Ndlr]", renchérit Pascal Burg.

 Des acteurs qui doivent coordonner leur contre-offensive

Certes, les acteurs traditionnels des moyens de paiement en France ont commencé à répliquer à l'offensive de ces nouveaux entrants. En témoignent les lancements successifs, à l'automne dernier, du portefeuille numérique Paylib, porté sur les fonts baptismaux par BNP Paribas, la Société générale et la Banque Postale, puis du portefeuille digital V.me, qui associe BPCE, LCL et le système de paiement Visa. Mais tout cela "manque de coordination et pose le problème de l'absence d'interopérabilité (entre les différents systèmes ainsi créés)", regrette Georges Pauget. Pour l'ancien patron du Crédit agricole, les acteurs des moyens de paiement doivent donc coopérer afin de mener à bien leur contre-offensive contre leurs nouveaux concurrents.

 Coopérer entre eux, mais pas seulement : il leur faut également "collaborer avec cinq des 34 filières industrielles qui avaient été jugées les plus porteuses par François Hollande et Arnaud Montebourg en septembre dernier", ajoute Georges Paujet. A savoir le "big data" (analyse de masses de données colossales), le "cloud computing" (informatique dans le nuage), les objets connectés, les services sans contact et, enfin, la cybersécurité. Autant de domaines dans lesquels excellent aussi bien de grands groupes hexagonaux comme Thales et Safran que des start-up françaises telles que Talend ou Criteo.

 La part de marché des grands acteurs français se limite à 3% en Europe

 L'objectif étant, pour Georges Pauget, qui reprend l'allégorie avec la filière aéronautique, "de construire l'Airbus des moyens de paiement." A l'échelon français d'abord, puis à l'échelle européenne, "car il ne faut pas rester franco-français dans l'Europe des paiements", met en garde Georges Pauget.

De fait, la part de marché des plus grands acteurs français des moyens de paiement n'excède pas 3% en Europe, selon l'ancien directeur général du Crédit agricole. Pour qui "il faut donner aux grands industriels français du secteur des paiements les moyens de préserver, voire d'accroître, leurs performances à l'échelle mondiale." Il ne s'agit pas là de simples souhaits. Georges Pauget a bien l'intention de "conduire un projet industriel" en ce sens.