Le franc fort menace la Suisse

Par Sylvain Rolland  |   |  622  mots
Infographie La Tribune
Berne a annoncé mercredi soir 1,75 milliard d'euros d'aides aux entreprises touchées par la surévaluation du franc.

La Suisse, trop bon élève ? En ces temps de crise aiguë dans la zone euro, la Confédération paie le prix de sa croissance dynamique (2,6 % en 2010), de la stabilité de son gouvernement, et de sa bonne gestion des comptes publics. Les acteurs financiers, en pleine panique sur les marchés, se réfugient massivement sur l'or et le franc suisse, considérés comme des valeurs refuges. La monnaie helvète s'est ainsi appréciée de 13 % par rapport à l'euro depuis le début de l'année, et de 40 % depuis 2008, selon l'Office fédéral de la statistique suisse (OFS). « La monnaie la plus surévaluée au monde », selon la Banque nationale suisse (BNS), a battu la semaine dernière des records historiques. Après avoir tutoyé 1,08 franc pour 1 euro, le franc suisse a commencé une détente sur les marchés face au dollar comme face à l'euro. Mais il restait mercredi tout de même autour de 1,14 franc pour un euro, un seuil « beaucoup trop élevé » selon les analystes.

Car la surévaluation de la monnaie suisse pèse sur l'économie, notamment les exportations et le tourisme. Le Conseil fédéral a d'ailleurs annoncé mercredi un plan de 1,75 milliard d'euros pour aider, via des réductions des coûts salariaux, les entreprises d'exportation et d'hôtellerie.

Selon l'OFS, le nombre de touristes étrangers a baissé au premier semestre de 0,9 % par rapport à 2010, notamment ceux en provenance des pays européens (-4,7 %). Parmi eux, le nombre de touristes belges a chuté de 9,5 %, et ceux en provenance d'Allemagne de 7,6 %. L'augmentation de la clientèle asiatique (+19 %) ne compense pas la perte des clients occidentaux.

Profits en baisse

C'est surtout pour les exportations, un des fondements de l'économie suisse, que la cherté du franc pose problème. « L'industrie textile n'a jamais été aussi précaire », s'alarmait vendredi Thomas Schweizer, le directeur de la Fédération textile suisse. Selon lui, 150 entreprises du secteur sur 200 sont en difficulté, et certaines ont déjà augmenté le temps de travail de leurs employés, licencié ou réduit les salaires. « Les grandes entreprises sont sous pression car elles ont du mal à rester compétitives. La cherté du franc et la baisse de la demande mondiale pénalisent surtout les sociétés qui exportent des produits de base (textile, produits alimentaires) et qui subissent de plein fouet la concurrence étrangère », explique Sara Carnazzi, économiste au Credit Suisse. Selon cette analyste, les exportations devraient tout de même augmenter de 3,5 % en 2011, portées par la demande asiatique et la forte spécialisation de l'industrie helvète, un bouclier contre la force du franc. « La recette gagnante de l'industrie suisse repose sur la spécialisation dans des secteurs à forte valeur ajoutée comme l'horlogerie, l'industrie pharmaceutique ou la machinerie. Du coup, les pressions portent plutôt sur les profits, qui ne cessent de baisser », explique-t-elle.

Si, de l'avis de tous, la cherté du franc est dangereuse à long terme pour la croissance suisse, Catherine Stephan, spécialiste de la Suisse à BNP Paribas, préfère relativiser. « La surévaluation du franc n'a pas que des désavantages. Les entreprises et les particuliers profitent de bonnes conditions de financement grâce à une politique monétaire accommodante et les importations sont moins coûteuses. » Ces derniers jours, les interventions de la BNS (lire ci-dessous), ont stoppé la folle appréciation du franc. Mais pour Sara Carnazzi, la BNS n'a pas les moyens d'inverser la tendance. « Le franc redescendra lorsque la crise de la zone euro se calmera, ce qui ne semble pas pour tout de suite. Tant que les marchés s'inquiéteront de pays comme l'Espagne ou l'Italie, ils maintiendront la pression sur le franc suisse. »