Emprunts toxiques : l’Etat et les banques font plier les collectivités

Par Mathias Thépot  |   |  1064  mots
Les collectivités locales pourront accéder à un fonds d'1,5 milliard d'euros pour sortir des emprunts toxiques... mais sous conditions
La reprise de Dexia par l’Etat continue de faire peser un risque fort sur les finances publiques. La solution trouvée est de transférer le risque du contribuable national sur le contribuable local.. et non sur les banques.

17 milliards d'euros, c'est le risque pesant sur les finances publiques si l'Etat sécurisait les prêts structurés "toxiques" souscrits par les collectivités locales auprès de la défunte banque Dexia dans les années 2000, et dont l'antenne française est désormais propriété de l'Etat, sous le nom de SFIL. Ce risque, Bercy ne veut pas le prendre en cette période tendue pour les finances publiques françaises. D'ailleurs, le ministère de l'Économie n'hésite pas à faire pression pour se protéger au maximum.

La semaine dernière, la nouvelle version d'un dispositif datant de la loi de finances 2014 qui avait été censurée par le Conseil constitutionnel, a ainsi été adoptée au Sénat. Élaborée par Bercy, elle annule la décision du Tribunal de grande instance de Nanterre qui avait lui-même annulé les taux d'intérêts de trois prêts que le Conseil général de Seine-Saint-Denis avait contractés auprès de Dexia. Celle-ci a perdu l'affaire pour avoir omis de mentionner le Taux Effectif Global (TEG) dans un fax - le coût réel du crédit. Ce qui entraîne l'application du taux d'intérêt légal sur toute la durée du prêt, proche de 0% en 2013.

Les contribuables locaux lésés ?

L'absence d'une telle validation législative pourrait entraîner, selon Bercy, une perte pour Dexia et la SFIL de 10 milliards d'euros, ainsi qu'un coût supplémentaire de 7 milliards car la viabilité de la SFIL serait alors menacée,
Voilà pourquoi le secrétaire d'État au Budget Christian Eckert s'est réjoui la semaine dernière de l'adoption par le Sénat de la nouvelle version du projet de loi "destiné à protéger l'État, et donc les contribuables"... nationaux. Les contribuables locaux seront en revanche de nouveau exposés à une décision de justice défavorable à leur collectivité surendettée.

Par ailleurs, des banques comme le Crédit Agricole ou BPCE, qui ont aussi vendu une part significative de crédits à hauts risques aux collectivités locales, seront aussi, si l'Assemblée nationale et le Conseil constitutionnel adoptent le dispositif, amnistiées de l'affaire du TEG pour des prêts à des personnes morales de droit public. La principale fenêtre de tir juridique pour les collectivités locales "intoxiquées" par des emprunts risque ainsi de se refermer définitivement.

Un fonds d'1,5 milliard d'euros... sous conditions

En contrepartie, il sera tout de même créé un fonds de soutien de 1,5 milliard d'euros aux collectivités locales touchées par des prêts toxiques : il sera alimenté de 100 millions d'euros par an pendant 15 ans, à 50 % par les banques par le biais d'une taxe sur le risque systémique accrue de 0,026%, ainsi que par l'Etat.

Mais son montant ne semble pas suffisant au regard de l'encours de crédits à hauts risques souscrits par les collectivités locales -qui serait supérieur à 12 milliards d'euros- et du coût global de sortie de ces emprunts. Les collectivités adhérentes à l'association des acteurs publics contre les emprunts toxiques (APCET) estiment à la louche qu'une taxe quatre fois supérieure sur les banques résoudrait définitivement leurs problèmes.

Les banques ne se sentent pas concernées

Bien évidemment, du côté des institutions financières, on n'est pas du même avis : Étant donné que l'Etat a repris Dexia, le principal acteur du marché, les banques jugent que l'affaire des encours de prêts toxiques est désormais une affaire qui doit se régler entre acteurs publics. Et qui ne les concerne quasiment pas. Pourtant, si l'on exclut Dexia, les autres banques possédaient tout de même 30% des crédits structurés au troisième trimestre 2011, si l'on en croit le rapport d'une commission d'enquête parlementaire. De surcroît, les banques sont suffisamment montées au créneau à Bercy pour se faire entendre. Preuve que le sujet les concernait un peu...

Autre motif d'inquiétude des collectivités locales : le fonds sera ouvert aux collectivités territoriales uniquement si un accord transactionnel est conclu avec l'établissement de crédit concerné. Ce qui fait craindre à Christophe Greffet, vice-Président du Conseil général de l'Ain et nouveau président de l'APCET, que les banques n'utilisent l'aide publique pour accroître le coût de sortie de l'emprunt toxique (la soulte) déterminé dans l'accord. Un peu à la manière d'un propriétaire qui augmente le loyer sachant que son locataire bénéficiera d'aides au logement.

Le fonds ne couvrira qu'au maximum 45% du coût de sortie

En l'état actuel des choses, ce fonds ne couvrira par ailleurs qu'au maximum 45% du coût de sortie de chaque prêt. Un certain nombre de collectivités risquent en conséquence de se retrouver dans l'impossibilité de financer le reste à charge.

C'est le cas de la municipalité d'Unieux, en Rhône-Alpes, qui a souscrit auprès de Dexia un emprunt toxique dont le capital restant dû s'élève aujourd'hui à 4 millions d'euros. Pour en finir avec ce prêt, l'entité résiduelle de Dexia lui a proposé de payer, une soulte de…10 millions d'euros!, explique son maire Christophe Faverjon. Et le fonds n'abondant qu'à hauteur de 45%, Unieux devra donc emprunter les 5,5 millions d'euros restant à sa charge... rédhibitoire pour cette petite municipalité de près de 9.000 habitants.

Les banques devraient-elles être davantage sollicitées?

Si ces soultes sont aussi élevées, c'est aussi parce que la collectivité a souvent intérêt à payer le prix fort. L'exemple du conseil général de l'Ain est dans ce cadre saisissant : la collectivité s'acquitte sur l'un de ses emprunts souscrit auprès du Crédit Agricole d'un taux d'intérêt de 27%. "Dans deux ans, ce taux sera supérieur à 40%, et en 2020, il sera de 60%" s'inquiète Christophe Greffet. La collectivité a souscrit l'un des pires prêts toxiques : un crédit snowball. Ce contrat stipule qu'une fois une fourchette de taux dépassée, un multiplicateur trimestriel s'enclenche, faisant s'envoler le niveau du taux d'intérêt.

Certes, la faute des élus ayant souscrit ce type de prêts insensés est difficilement contestable. Pour autant, surexposer le contribuable local tout en exemptant les banques qui ont proposé ces prêts d'une grande partie de leurs responsabilités semble disproportionné.