Et si le système financier n’était pas plus sûr aujourd’hui qu’en 2008 ?

Par Christine Lejoux  |   |  906  mots
5.000 milliards de dollars s'échangent chaque jour sur le marché des changes. Un montant 2,5 fois supérieur au PIB français. (Crédits : Reuters)
Il y a six ans, la faillite de Lehman Brothers emportait le monde dans la plus grave crise financière depuis la Grande Dépression. Dans la foulée, un arsenal réglementaire sans précédent s'est abattu sur le monde de la finance. Avec une efficacité cependant discutable.

Il y a un peu plus de six ans, le 15 septembre 2008, la banque américaine Lehman Brothers faisait faillite, portant à son paroxysme la plus grave crise financière mondiale jamais survenue depuis la Grande Dépression. S'en est suivi, sous l'égide du G20, un arsenal réglementaire sans précédent, destiné à faire de cette crise financière "la der des der." Règle de Bâle III relative au renforcement des fonds propres et de la liquidité des banques, plafonnement des bonus des traders afin de décourager la prise de risques excessifs et les stratégies financières de court terme, projets de loi de séparation des activités spéculatives des banques de leurs activités de collecte de l'épargne et de distribution de crédit, mise en place de l'union bancaire européenne pour éviter que les contribuables ne mettent la main à la poche en cas de faillites bancaires... Les acteurs financiers s'estiment aujourd'hui assommés de régulations. Pour autant, le système financier international est-il réellement plus sûr qu'en 2008 ?

 La question fait actuellement débat. Le 12 octobre, un panel de banquiers, de régulateurs et même de religieux, réuni par le Fonds monétaire international (FMI), a planché sur le sujet. Lequel était également au menu d'un colloque organisé par l'Institut de relations internationales et stratégiques (Iris), mercredi 15 octobre, à Paris. Leurs conclusions ne sont guère encourageantes. "Après la faillite de Lehman en 2008, on a surtout éteint l'incendie, plutôt que bâti un système de sécurité collective digne de ce nom", estime Pascal Boniface, directeur de l'Iris. "Les banques sont encore plus grosses qu'avant la crise et ne sont que marginalement mieux capitalisées", précise Jérôme Cazes, président du think tank le Club des Vigilants, pour qui "le monde financier ne s'est (donc) pas amélioré depuis la crise."

L'absence de contre-pouvoirs à la puissance de la finance

Dominique Plihon, professeur en sciences économiques à l'Université Paris-Nord et porte-parole de l'association Attac, va plus loin encore, évoquant "un système financier international profondément instable." Il en veut pour preuve, par exemple, le déséquilibre entre le marché des changes et l'économie réelle. Le premier a décuplé depuis les années 1990, au point que 5.000 milliards de dollars s'y échangent chaque jour, un montant 2,5 fois supérieur au Produit intérieur brut (PIB) français. Un découplage à mettre en grande partie sur le compte de la spéculation, regrette Dominique Plihon. De fait, pas plus tard que le 8 octobre, le FMI s'est inquiété du déséquilibre entre des prises de risques excessives sur les marchés financiers et, au contraire, des prises de risques trop timides sur le plan économique, les banques rechignant à prêter aux entreprises, notamment en Europe.

 Pourquoi les multiples réglementations décidées dans le sillage de la crise financière de 2008 n'ont-elles pas porté leurs fruits ? Les dirigeants politiques et les autorités de régulation semblaient pourtant fermement décidés à mettre la finance au pas, une bonne fois pour toutes.

"Les Etats sont sans aucun pouvoir sur la finance ,et les banques centrales n'en ont que tant qu'elles soufflent dans le sens du vent, c'est-à-dire en ajoutant des liquidités aux liquidités sur les marchés",

grince Jérôme Cazes. Pour ce dernier, c'est moins la puissance de la finance qui pose problème que l'absence de contre-pouvoirs aux puissants lobbies financiers.

Une autorité financière internationale?

L'exemple français est à cet égard édifiant. En janvier 2012, dans son discours du Bourget, le candidat Hollande faisait de la finance son "véritable adversaire", promettant notamment d'isoler les activités spéculatives des banques de celles utiles au financement de l'économie. Deux ans plus tard, la finance - la  "bonne" finance - est devenue "l'amie" du gouvernement, d'après Michel Sapin, ministre des Finances. Dans l'intervalle, le projet de loi de séparation et de régulation des activités bancaires, voté en juillet 2013, a accouché d'une souris. Le lobby bancaire est passé par là. Aujourd'hui, c'est le projet Barnier de séparation des activités bancaires, nettement plus sévère que la loi française, qui est dans son collimateur, au même titre que le projet de taxe sur les transactions financières.

 Que faire alors ? La finance n'est-elle décidément pas réformable ?

"Il faudrait une autorité financière mondiale, démocratique, rattachée aux Nations Unies, au lieu de l'électron libre qu'est le FMI, qui n'a de comptes à rendre à personne",

suggère Dominique Plihon. Pour d'autres, comme Jérôme Cazes et Mark Carney, le gouverneur de la Banque d'Angleterre qui s'exprimait lors du forum du FMI, le 12 octobre, des sanctions - qu'il s'agisse d'amendes ou de peines d'emprisonnement - sont nécessaires, au-delà de la réglementation, afin que les dirigeants d'établissements financiers en difficulté mesurent bien les conséquences de leur mauvaise gestion. Mais, d'après Philipp Hildebrand, vice-président du géant américain de la gestion d'actifs Blackrock, rien ne changera tant que les acteurs de la finance dans leur ensemble ne se seront pas engagés dans une véritable démarche éthique, seule susceptible d'ériger la bonne gestion de leur entreprise au rang de première priorité, en lieu et place de leur enrichissement personnel.