Réorienter l’épargne des Français vers le financement de l’économie, un vœu pieux ?

Par Christine Lejoux  |   |  774  mots
7% seulement de l'épargne des Français est investie en actions, contre 66% pour l'immobilier, 13% pour l'assurance-vie et 10% pour les livrets réglementés.
Le 1er décembre, Michel Sapin, le ministre de l’Economie, a estimé que le Comité Place de Paris 2020 avait « beaucoup avancé » sur le sujet de la mobilisation de l’épargne pour financer les entreprises. Mais c’est compter sans l’aversion au risque profondément enracinée chez les épargnants français.

"Mobiliser l'épargne des Français au service du financement de l'économie." C'est là l'un des principaux axes de travail du Comité Place de Paris 2020, porté sur les fonts baptismaux en juin par Michel Sapin, et dont la deuxième réunion s'est déroulée lundi 1er décembre, sous la houlette du ministre des Finances. Banquiers, sociétés de gestion, entreprises et personnalités politiques ont notamment planché sur les moyens de répondre aux besoins de financement des entreprises françaises. Besoins qui devraient augmenter de 100 milliards d'euros par an d'ici à 2020, selon Paris Europlace - l'association chargée de promouvoir la place financière de Paris -, au fur et à mesure que la croissance économique reviendra et que le poids grandissant des réglementations diminuera la capacité des banques à accorder des crédits. Or, s'il existe une manne sous-utilisée pour le financement de l'économie française, c'est bien celle de l'épargne des ménages.

 A la fin du premier trimestre, le taux d'épargne des Français s'élevait à 15,9% de leur revenu brut disponible, son plus haut niveau depuis 2009, selon la Banque de France. Un taux qui place les Français parmi les premiers épargnants d'Europe, juste derrière les Allemands. De fait, le taux d'épargne moyen dans la zone euro est de 13% seulement, et il est inférieur à 6% au Royaume-Uni. Mais cet énorme bas de laine de 13.600 milliards d'euros n'est investi qu'à hauteur de 7% en actions, les Français affichant une nette préférence pour l'immobilier, qui représente les deux tiers de leurs placements, l'assurance-vie (13%) et les livrets réglementés (10%), selon une récente enquête de la société de gestion Blackrock.

 Les Français n'aiment pas les placements risqués

 Il faut dire que, quinze ans après l'éclatement de la bulle Internet et six ans après la crise financière de 2008, plus de la moitié (52%) des Français se disent encore prudents par rapport à l'investissement en actions, invoquant notamment la peur du risque et le manque de visibilité, d'après un sondage publié par Opinionway mi-octobre. Surtout, "les Français épargnent avant tout pour protéger leur capital, pas pour le faire fructifier", décrypte Eric Wohleber, directeur général de Blackrock en France, dans une récente interview au JDD, soulignant le "grand pessimisme (des Français) par rapport à l'avenir, (leur) aversion au risque et (leur) manque de culture financière."

 En tout état de cause, mercredi 1er décembre, Michel Sapin a estimé que le Comité Place de Paris 2020 avait "beaucoup avancé sur ce point" de la mobilisation de l'épargne des Français pour le financement de l'économie réelle. Et le ministre des Finances de rappeler que tous les textes réglementaires nécessaires à la commercialisation des produits Eurocroissance et Vie-génération - de nouveaux contrats d'assurance-vie destinés à inciter les assureurs à se porter davantage vers les actifs d'entreprise - avaient été publiés en septembre. Ce sont au moins 50 milliards d'euros qui devraient pouvoir être réalloués des fonds euros vers les fonds Eurocroissance d'ici 5 ans, estime Bercy.

 Le précédent du PEA-PME n'incite pas à l'optimisme

 Michel Sapin a également évoqué la mise en place, il y a un peu plus d'un an, des fonds de prêts à l'économie (FPE), qui permettent à des acteurs non bancaires - au premier rang desquels les assureurs - de financer les PME et les ETI. "Depuis le lancement de la réforme, entre 5 et 10 milliards d'euros ont pu être prêtés aux entreprises, grâce à ce dispositif", se félicite Bercy. Des montants d'autant plus appelés à croître qu'un décret, qui sera publié d'ici à la fin de l'année, élargira les FPE aux mutuelles et aux instituts de prévoyance. C'est également d'ici à la fin 2014 que sera effective la modification des règles d'investissement de l'Erafp, le fonds de retraite de la fonction publique, qui pourra ainsi investir en actions 5 milliards d'euros supplémentaires d'ici à 2020.

 A quoi s'ajoutera une meilleure orientation de l'épargne salariale vers le financement de l'économie, le Copiesas (conseil d'orientation de la participation, de l'intéressement, de l'épargne salariale et de l'actionnariat des salariés) - dans ses recommandations remises au gouvernement le 26 novembre - suggérant notamment d'étendre les dispositifs d'épargne salariale aux PME et aux TPE. Mais cet arsenal de mesures en faveur d'une meilleure allocation de l'épargne des Français vers le financement des entreprises sera-t-il efficace ? Les débuts pour le moins mitigés du PEA-PME, lancé cette année, permettent d'en douter.