Arrêt contre la BCE : face à l'offensive des institutions européennes, la Cour suprême allemande persiste et signe

Par AFP  |   |  657  mots
Selon une source proche des banques centrales, la présidente de la BCE, Christine Lagarde, va chercher une voie diplomatique pour satisfaire les attentes du juge allemand sans lui répondre directement. (Crédits : Kai Pfaffenbach)
La Cour de Karlsruhe a lancé la semaine dernière un ultimatum à la BCE, dont la mission est de piloter la politique monétaire en zone euro, en lui demandant de justifier dans un délai de trois mois ses décisions de rachats massifs de dette publique et privée. La BCE a répliqué, puis a reçu le soutien de la Cour de Justice européenne qui a validé son action, ainsi que de la Commission. Mais les Allemands, plus grands épargnants au monde, ne sont pas prêts à se laisser faire. Le point sur cette "guerre des juges".

La Cour constitutionnelle allemande règle ses comptes mercredi avec les institutions européennes qui l'ont attaquée pour avoir critiqué l'action de la Banque centrale européenne (BCE) dans un arrêt retentissant.

"Notre message à la BCE est carrément homéopathique", s'est défendu Peter Huber, juge au sein de la plus haute juridiction allemande, dans une interview publiée par la Süddeutsche Zeitung, en réponse à la polémique.

"Elle ne doit pas se considérer comme le +Maître de l'Univers+", assène-t-il, alors que la BCE, soutenue en cela par la Commission européenne, a rappelé qu'elle répondait seulement devant la justice européenne et non nationale.

"Nous demandons seulement à la BCE d'assumer sa responsabilité face aux citoyens et de justifier" sa politique, "y compris auprès des personnes qui sont désavantagées par ses mesures", ajoute le magistrat, un des huit juges du collège qui a rendu son arrêt à une majorité de 7 voix contre une.

Les Allemands, plus grands épargnants au monde, se sentent lésés

La Cour constitutionnelle allemande a lancé la semaine dernière un ultimatum à l'institut chargé de piloter la politique monétaire en zone euro, en lui demandant de justifier ses décisions dans un délai de trois mois.

Elle vise les rachats massifs de dette publique et privée par la BCE destinés à soulager l'économie en réinjectant de l'argent frais dans le circuit. Un outil à nouveau largement utilisé face à l'impact de l'épidémie de nouveau coronavirus.

Cette politique a aussi pour effet de maintenir les taux d'intérêt à leur plus bas niveaux historique, au grand dam des épargnants qui voient leurs rentes plafonner ou fondre.

Ce sujet est majeur en Allemagne, un des plus grands pays d'épargnants au monde, et au cœur de la décision historique prise par la justice allemande la semaine passée.

Coup de pouce aux pays du Sud, perçus comme laxistes

Plus fondamentalement, nombre d'Allemands voient dans les coups de pouce de la BCE un encouragement aux pays du sud de l'Europe, perçus comme laxistes sur le plan budgétaire, à ne pas maîtriser leurs finances publiques et à se faire financer par les pays plus rigoureux du nord.

Non seulement la cour a critiqué la BCE mais elle a aussi dénoncé un jugement de la Cour de justice européenne qui avait, elle, validé l'action de l'institut monétaire de Francfort, estimant que cette dernière n'avait pas suffisamment contrôlé l'action du gardien de l'euro.

"A cet égard, l'arrêt était à mon avis impératif", assure le juge allemand dans une autre interview publiée mercredi par la Frankfurter Allgemeine Zeitung. Il souligne que la Cour européenne doit faire "mieux son travail".

Piquée au vif, la CJUE a déjà rétorqué qu'elle était "seule" compétente pour juger de la conformité des actes des institutions de l'Union.

Dans cette "guerre des juges", la BCE a obtenu aussi le soutien de la Commission européenne. Cette dernière a même évoqué ce week-end une procédure en infraction contre l'Allemagne pour non respect des traités européens, qui garantissent la primauté du droit européen dans les domaines relevant de la compétence de l'UE, comme la BCE.

Une telle procédure lancée par l'exécutif bruxellois "aggraverait la situation sans que le gouvernement (allemand) ne soit en mesure d'intervenir adéquatement", compte tenu de l'indépendance de la Cour, a toutefois prévenu M. Huber.

Interrogée, la BCE n'a pas souhaité commenter mercredi l'interview du magistrat allemand.

Jusqu'ici, elle a prévenu qu'elle continuerait à appliquer de manière "imperturbable" sa politique de soutien à la zone euro. Mais, selon une source proche des banques centrales, sa présidente Christine Lagarde va chercher une voie diplomatique pour satisfaire les attentes du juge allemand sans lui répondre directement.