Quelle est cette drôle d'agence de notation chinoise qui flingue à tout va ?

Par latribune.fr  |   |  2357  mots
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Pessimiste ou réaliste ? Voilà en tous cas une agence de notation qui a la dent dure. Elle vient à nouveau de dégrader la note de la Grèce et, il y a un an, privait la France de son précieux triple A. Mais sa méthodologie reste pour le moins opaque...

Moody's, Standard & Poor's, Fitch... à côté de ces trois agences de notation ultra médiatisées depuis la crise financière, une agence de notation chinoise fait à nouveau parler d'elle : Dagong.

Cette dernière vient de dégrader à nouveau la note de la Grèce, et n'y va pas par quatre chemins : "la Grèce a complètement perdu sa solvabilité et doit se préparer à une restructuration massive de sa dette" a déclaré l'agence de notation chinoise pour expliquer ce mardi la nouvelle dégradation de la note souveraine grecque qu'elle a annoncée".

Dagong s'était fait connaître il y a un peu plus d'un an en retirant aux Etats-Unis son triple A, avant les trois autres agences. Et faisait de même avec la France en juillet 2010. Coup de pub ou clairvoyance ? Difficile de trancher, car l'agence chinoise a le culte du secret. La SEC qui a jusqu'à présent reconnu 10 agences a refusé de reconnaître Dagong en octobre 2010. Idem pour l'Esma (autorité européenne des marchés) qui a enregistré 15 agences en Europe. Dagong n'est donc pas reconnue par les régulateurs occidentaux, ni par les marchés internationaux. Elle fait donc de la notation "non sollicitée" et n'a pas accès aux interlocuteurs dans les différents pays.

Pourtant, en juin dernier, le célèbre économiste de Natixis Patrick Artus n'a pas hésité, comme nous l'a rappelé un internaute (voir ci-dessous dans l'espace "Commentaires"), à donner raison à Dagong. Pour accéder à l'intégralité de la note publiée par Natixis, cliquez ici.

Retour sur une agence qui s'amuse à faire peur...

(nb : les articles de "La Tribune" reproduits ci-dessous ont été repris tel quel, sans mise à jour des événements survenus depuis)

16 juillet 2010 : Le triple A retiré à la France

Dans son premier rapport sur la qualité de signature des États, l'agence de notation chinoise Dagong juge que la France n'est plus digne du AAA que lui accordent Moody's, Fitch Ratings et S&P. Elle est ainsi rétrogradée à AA ? avec perspective négative, au même niveau que le Japon, la Corée du Sud et le Royaume-Uni, qui perd lui aussi son AAA. Egalement notés AAA par les grandes agences, les États-Unis et l'Allemagne se voient respectivement affublés d'un AA et d'un AA+ . « L'Allemagne, les États-Unis, le Royaume-Uni, la France, les Pays-Bas et le Canada sont tous soumis à des pressions budgétaires », souligne l'agence. La Norvège, l'Australie, le Danemark, le Luxembourg, la Suisse, Singapour, et la Nouvelle-Zélande sont les seuls pays notés AAA par les grandes agences internationales à conserver leur note selon la grille de Dagong. La Chine, elle, est dotée d'un AA+.

Julien Beauvieux

4 novembre 2010 : Dagong sort de l'ombre

Guan Jianzhong, président et directeur de Dagong Global Credit Rating, s'est fixé une « mission historique » : réformer et imposer de nouvelles méthodologies de notation des risques financiers, en Chine et à l'étranger. Bref, détrôner les toutes puissantes agences de notation occidentales Moody's, Standard and Poor's et Fitch, rendues responsables de la crise financière et accusées de « promouvoir les valeurs américaines » à travers le monde.

« Le système tel qu'il existe ne peut pas continuer. Nous ne pouvons pas attendre des initiatives américaines pour le réformer », explique-t-il sans détour, avec des mots jamais assez durs contre les États-Unis et l'hégémonisme des agences de notation occidentales qui mettraient même en péril la sécurité de la Chine. Pour se faire connaître, Dagong , fondé en 1994 et inconnu jusqu'ici en dehors des frontières de la Chine jusqu'en juillet, a donc décidé de faire du bruit. Mission réussie depuis son rapport incendiaire sur la dette souveraine de 50 pays dans lequel les États-Unis perdent leur AAA pour un AA avec une perspective négative et la France ou le Royaume-Uni se voient attribuer un modeste AA-.

La méthodologie de Dagong , fruit de « cinq années de travail », laisse perplexe diplomates et professionnels de la finance. Elle ne s'illustre pas par sa transparence. Sans se démonter, le président de Dagong affirme cependant qu'elle est « révolutionnaire » et bien plus quantitative que celle des agences traditionnelles, dont plus de 50 % de la note est définie par des critères « subjectifs ». Contrairement à ses concurrentes occidentales, Dagong ne prend pas en compte le contexte politique mais bien la capacité à assurer la stabilité politique. L'agence chinoise se concentre également davantage sur la puissance financière - notamment les réserves de change auprès de la banque centrale - et beaucoup moins sur les niveaux d'endettement ou la capacité à rembourser.

L'impact du rapport ne s'est pas fait attendre. La presse anglo-saxonne, notamment le « Financial Times », lui a même donné une caisse de résonance inattendue. À l'heure où les grandes agences occidentales se font épingler par les régulateurs pour ne pas avoir su anticiper la crise des subprimes, l'alternative de Dagong séduit et intrigue. Guan Jianzhong est, depuis, sollicité par les pays du monde entier. Un membre de la Commission européenne a pris contact avec le président pour des discussions informelles au cours desquelles l'idée d'une agence sino-européenne a été évoquée. « Cela a un sens de réfléchir ensemble à une nouvelle méthodologie », confirme une source européenne. Du côté français, Guan Jianzhong a reçu la visite d'un membre de l'ambassade et a rencontré l'assureur crédit Coface. « Guan Jianzhong cherche des contacts professionnels avec l'Europe. Après ce qui s'est passé aux États-Unis et un partenariat avorté avec Moody's, Dagong préfère trouver un partenaire européen pour s'imposer sur le marché de la notation », raconte un observateur.

Mi-octobre, Dagong avait refait la une de la presse lorsque sa demande d'accréditation pour exercer aux États-Unis lui a été refusée par la SEC, « faute d'informations suffisantes ». Dagong a pris ce refus comme une attaque personnelle et l'affaire est vite devenue politique. L'agence chinoise réclame en effet le droit d'exercer chez le premier créancier de la Chine. « Leur refus est une provocation. Les États-Unis veulent que nous renoncions à une partie de notre souveraineté. Nous devons pouvoir noter les biens chinois en Amérique [.]. Surtout, ils ont peur que nous divulguions les risques chez eux », martèle le président de Dagong . Ce dernier menace de faire appel et somme les autorités chinoises d'intervenir en sa faveur. Désormais le dossier est entre les mains du CSRC, administration qui supervise la bourse chinoise. Le fondateur de Dagong prépare aujourd'hui un nouveau coup d'éclat : un déclassement de la dette américaine. « Depuis la crise, les États-Unis dévaluent leur monnaie et ont lancé une guerre commerciale. Nous en étudions l'impact sur l'économie globale », justifie-t-il.

En Chine même, la méthodologie de Dagong est pourtant loin de faire l'unanimité. Dans les milieux financiers, on accuse même Guan Jianzhong d'être superficiel, de trop aimer l'argent et surtout de faire beaucoup de bruit pour rien. « Même si Dagong reçoit sa licence, cela ne changera pas le coût des obligations américaines et cela ne veut pas dire qu'elle aura des clients sur place », explique un gérant. « Comment noter quantitativement la dette des pays émergents dont les données économiques ne sont pas fiables », renchérit un autre financier, qui ajoute, « et comment expliquer que Dagong donne une meilleure note à une petite ville inconnue de la Chine qu'aux États-Unis. Il existe trop d'incohérences ».

Dagong , seule agence de notation autorisée à noter les titres au capital qui est 100 % chinoise, apparaît donc bien isolée. Ses concurrents ont tous choisi de nouer des partenariats avec les trois grandes agences occidentales. Ainsi Fitch et Moody's sont-elles en joint-venture avec Lianhe et China Chengxin, S&P collabore avec New Brilliance et un joint-venture devrait bientôt voir le jour. Dagong avait été approchée par les agences occidentales et avait travaillé, entre 1999 et 2002, avec l'agence Moody's. Le partenariat a fait long feu, pour « incompatibilité », selon les Américains, « pour impossibilité d'appliquer leur méthodologie en Chine », selon Guan Jianzhong. D'où l'option du cavalier solitaire. « Il faut créer des normes chinoises », avance Guan Jianzhong pour, selon lui, ne plus pénaliser les entreprises chinoises à la fois dans leur ambition internationale mais également pour éviter de se faire racheter à prix bradé par des concurrents étrangers. Ce discours nationaliste a cependant du mal à prendre. La part de marché de Dagong s'est effondrée de 60 % en 2006 à 20 % aujourd'hui. Ce qui n'empêche pas l'agence de viser 1.000 analystes d'ici deux ans et de lorgner sur la place de Hong Kong.

Virgine Mangin, à Pékin

11 juin 2011 : Dagong s'attaque au Royaume-Uni

Coup de tonnerre au Royaume-Uni. La note de la dette britannique a été abaissée. Si, si, vraiment : elle est passée de AA - à A +, avec surveillance négative. Si personne ou presque n'y a prêté attention, c'est que la décision venait de... Dagong, l'agence de notation chinoise. Quasiment inconnue dans le monde occidental, celle-ci notait jusqu'à l'an dernier essentiellement les entreprises chinoises. Mais elle s'est lancée depuis l'été 2010 dans la dette souveraine, couvrant désormais une soixantaine de pays. Et ça fait des ravages. La France ? Sa note vient aussi d'être abaissée à A+, avec surveillance négative. Même les États-Unis n'y échappent pas, avec une note réduite à A+ depuis novembre dernier.

Dans ses rapports - dans un anglais parfois approximatif - Dagong ne mâche pas ses critiques. Petit florilège avec la récente note sur le Royaume-Uni : « (L'austérité budgétaire) est rendue difficile par les problèmes sociaux, l'inflation élevée, et la relativement faible croissance... Il est improbable que les recettes fiscales [...] augmentent sensiblement. » Dagong en profite pour lancer une savoureuse petite pique politique : « L'engagement du Royaume-Uni dans la guerre en Libye va encore augmenter le déficit. »

Il serait tentant d'écarter d'un revers de la main ce rapport. L'agence Dagong n'a pour l'instant aucun impact sur les marchés internationaux. Mais l'offensive a de l'importance. D'abord parce que la Chine est l'un des tout premiers créditeurs du monde occidental, et que la perception qui y règne est essentielle. Ensuite parce que cela remet en cause la suprématie, très critiquée, des trois grandes agences de notation : Standard and Poor's et Moody's (toutes les deux américaines, avec 80 % du marché) et Fitch (dont le siège est à la fois à Londres et à New York, avec 12 % du marché).

Ces trois mastodontes sont aussi mis en cause par l'Europe, qui envisage de créer sa propre agence. L'idée a émergé de la crise financière : les agences sont accusées, d'une part, d'avoir accordé la meilleure note (AAA) à des produits financiers qui se sont finalement révélés toxiques et, d'autre part, d'accentuer la crise de l'euro en abaissant les notes des pays comme la Grèce ou l'Irlande et de provoquer des mouvements de panique. Les agences de notation « cherchent à modeler le destin et déterminer l'avenir de nos enfants », accusait en mars Georges Papandréou, le Premier ministre grec.

Les cas chinois et européens relèvent de la même volonté de rééquilibrer les points de vue. Sur son site Web, l'agence Dagong parle sans détour de renforcer « son pouvoir de négociation sur les marchés des capitaux internationaux ». L'agence est explicitement là pour mettre un terme au biais pro-occidental des agences traditionnelles. En comparaison, l'offensive européenne semble bien en retard. « Le projet d'une agence de l'UE n'a pas l'air de se concrétiser », persifle une source d'une des grandes agences actuelles. Les Britanniques en particulier sont contre, estimant que le conflit d'intérêts avec les propriétaires de l'agence - les États européens - serait trop évident. Ils n'ont pas tort. Mais il faudrait aussi éviter la naïveté. Les agences de notation actuelles sont-elles vraiment aussi indépendantes et scientifiques qu'elles voudraient le faire croire ? Et si oui, comment expliquer que les États-Unis gardent une note AAA - certes désormais vacillante - malgré leur dette et leur déficit colossaux ? Un autre regard, qu'il soit de Chine ou d'Europe, ne peut qu'aller dans le bon sens. Et tant qu'à faire pour les Européens, autant qu'il vienne d'Europe.

Eric Albert

10 novembre 2011 : L'agence tire sur la note américaine

L'agence de notation chinoise Dagong doute de l'intention de l'Etat américain de "s'acquitter de sa dette" alors que la première économie mondiale fait face à un risque de "récession à long terme".

A deux jours d'un G20 qui s'annonce particulièrement tendu, la Chine s'attaque à la dette américaine. L'agence de notation chinoise Dagong a dégradé ce mardi sa notation des Etats-Unis, passant de "AA" à "A+" avec une perspective négative. Une décision justifiée par "la détérioration de leur capacité de remboursement et le recul très fort de l'intention de l'Etat fédéral de s'acquitter de sa dette".

L'agence chinoise estime notamment que les problèmes rencontrés par la première économie mondiale devrait "conduire à une récession à long terme qui va fondamentalement réduire la solvabilité nationale" Dagong prédit ainsi des "risques imprévisibles" pour la solvabilité des Etats-Unis, "sous un an ou deux ans".

L'action de la Réserve fédérale est également très critiquée. L'institution a décidé la semaine dernière de racheter pour 600 milliards de dollars de bon du Trésor Une politique "incontrôlée" de création monétaire qui va, selon Dagong , "dans la direction opposée des intérêts des créanciers" en faisait se déprécier le dollar.

Malgré la très forte progression de leur dette, les Etats-Unis conversent leur notation maximale auprès des trois plus importantes agences de notation internationales Standard & Poor's, Moody's et Fitch. Mais Dagong avait jugé en juillet que leurs méthodes d'évaluation "ne reflétaient pas la capacité des pays à rembourser leurs dettes".