La rémunération des patrons s'invite dans la bataille présidentielle

Par Christèle Fradin  |   |  904  mots
« Les rémunérations des plus hauts dirigeants devront être votées non pas par le conseil d'administration, où en général il y a beaucoup d'amis, mais par l'assemblée générale des actionnaires », a déclaré le président candidat, mercredi. Copyright Reuters (Crédits : (c) Reuters)
Les émoluments des dirigeants sont au coeur de la campagne électorale. Nicolas Sarkozy veut soumettre leurs rémunérations au vote des actionnaires. Une promesse qui ne serait pas pour déplaire aux intéressés.

Les rémunérations des grands patrons sont devenues thème de campagne... y compris pour les candidats de la droite. Décidé à modifier son image auprès des électeurs, le candidat Nicolas Sarkozy a en effet proposé mercredi soir d'encadrer par la loi les rémunérations des hauts dirigeants d'entreprise. Exit les "retraites-chapeau", ces retraites « sur-complémentaires » financées par l'entreprise, et les "parachutes dorés", ces coquettes sommes négociées à l'entrée pour être versées au moment du départ du dirigeant... Le président veut les interdire.

Certaines de ces propositions en matière de gouvernance d'entreprise ne seront pas pour déplaire aux actionnaires individuels. « Dorénavant, les rémunérations des plus hauts dirigeants devront être votées non pas par le conseil d'administration, où en général il y a beaucoup d'amis, mais par l'assemblée générale des actionnaires », a déclaré le président de la République sur France 2.

Des rémunérations en hausse de 34% en 2011

Voilà des années maintenant de Pierre-Henri Leroy, le président de Proxinvest, appelle de ses v?ux un vote des actionnaires sur les rémunérations des dirigeants. Des années qu'il liste les montants versés, l'évolution du fixe, du variable, et qu'il tente de comparer ces montants au SMIC. Les émoluments des patrons en 2011 ont ainsi bondi de 34% par rapport à l'année précédente, jusqu'à 4,11 millions d'euros en moyenne.

« Le président est toujours le bienvenu même quand il est en retard. En tant qu'actionnaire de Renault, en tant qu'actionnaire et garant des banques, on aurait aimé qu'il exerce son droit de contrôle. Aujourd'hui, nous avons l'impression d'un rattrapage démagogique », critique le président de Proxinvest. Mais pour ce dernier, « les rémunérations ne sont qu'un symptôme. Des réformes doivent être entreprises en amont, notamment s'agissant de la structure du système bancaire ».

La menace de légiférer sur les rémunérations des patrons avait déjà été agitée ces dernières années (et notamment à l'été 2009), y compris lors de la première campagne de Nicolas Sarkozy -il était alors question d'interdire les parachutes dorés pour les patrons ayant échoué à la tête de leur entreprise. Mais jusqu'à présent, c'est l'autorégulation qui a été privilégiée, au travers de codes de bonne conduite Afep-Medef.

Des pratiques destinées à se couvrir lorsque les choses vont mal

« Les retraites-chapeau comme les parachutes dorés sont encore pratique courante, en l'absence de régulation », souligne Florence Magne, associée chez CTPartners, cabinet de conseil en recherche de dirigeants et d'administrateurs. « Nous manquons de transparence sur ces pratiques au nom fort poétique qui sont uniquement destinées à se couvrir lorsque les choses vont mal ». Pour cette experte, les grandes entreprises françaises feraient bien de prendre exemple sur « certains fonds d'investissement qui encouragent les dirigeants à s'investir dans le long terme, via des rémunérations liées à la création de valeur ».

« Les conseils d'administration sont co-optés. Autrement dit, leurs membres sont choisis et peuvent manquer d'objectivité s'agissant des rémunérations », poursuit Florence Magne. Mais l'associée s'interroge toutefois sur un point. « Qui va entamer le mouvement de régulation ? Nos dirigeants doivent rester compétitifs. De fait, ce débat ne doit pas rester local, mais se faire à l'échelon européen et mondial ».

Donner du pouvoir aux actionnaires

Aujourd'hui, la promesse d'une loi est renouvelée et élargie. Ce ne sera probablement pas pour déplaire aux actionnaires individuels du CAC 40. La dernière enquête menée par Capitalcom sur leurs attentes à la veille des assemblées générales a en effet montré qu'ils restaient focalisés, certes sur le niveau des dividendes versés, mais aussi sur les rémunérations des dirigeants. Et si certains se disent prêts à renoncer à leur dividende en ces temps de crise, alors l'effort devra être partagé. Surtout, les actionnaires interrogés se sont très massivement prononcés en faveur du principe d'un vote consultatif sur les rémunérations. Celui-ci - le « Say on Pay » - existe déjà dans de nombreux pays parmi lesquels les Pays-Bas, l'Allemagne ou encore la Belgique.

Reste à savoir à quel type de vote le président Sarkozy fait référence. Sa rhétorique laisse entrevoir un vote ferme et non pas seulement consultatif. D'autres questions se poseront ensuite comme les seuils retenus pour valider une rémunération.

La Grande Bretagne à l'initiative

En Grande Bretagne, le gouvernement Cameron, en croisade contre les bonus absurdes, a devancé Nicolas Sarkozy de plusieurs semaines. Londres a, en effet, proposé fin janvier de soumettre les rétributions futures des patrons au vote des actionnaires, jusqu'alors cantonnés à un avis consultatif. Plus restrictif encore, la rémunération devra avoir obtenu 75% des suffrages. En cas de contre performance de l'entreprise, une partie des sommes versées pourrait être réclamée. En revanche, l'idée d'ouvrir le comité des rémunérations à un représentant des salariés - avancée par Nicolas Sarkozy - n'a pas été retenue outre-Manche. Il ne s'agit toutefois que des premières propositions, les mesures définitives ont été promises pour le mois de juin. Le débat promet donc d'être nourri, et pas seulement de ce côté-ci de la Manche.