Libor, le scandale de trop

Par Sophie Rolland  |   |  807  mots
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Après les subprimes, les produits financiers toxiques, l'affaire Kerviel, le rôle douteux joué par Goldman Sachs dans la crise grecque ou tout récemment, l'argent sale de HSBC, le "liborgate" apparaît comme l'affaire de trop. Pourquoi ? Sans doute parce qu'elle concentre tout ce qui dans le fonctionnement du système financier exaspère le plus.

Comment désamorcer la bombe « Libor » ? C'est à cette question que doivent maintenant répondre les régulateurs et les banquiers centraux. Ils se réuniront d'ailleurs en septembre pour réfléchir à la façon dont les taux du marché interbancaire peuvent être réformés. Les conséquences du « Liborgate » pourraient en effet être désastreuses pour le système financier. Les premières estimations de son coût financier potentiel si les banques concernées étaient attaquées en justice donnent le vertige. En termes d'image, le mal est fait. Après les subprimes, les produits financiers toxiques, l'affaire Kerviel, le rôle douteux joué par Goldman Sachs dans la crise grecque ou tout récemment, l'argent sale de HSBC, le "liborgate" apparaît comme l'affaire de trop. Pourquoi ? Sans doute parce qu'elle concentre tout ce qui dans le fonctionnement du système financier exaspère le plus.

L'arrogance d'un certain type de banquier, d'abord. Bob Diamond, l'ex-directeur général de Barclays, le « banquier aux 100 millions de livres » est devenu en Grande-Bretagne le symbole des excès de la finance. Il avait déjà défrayé la chronique avec ses bonus ou lorsqu'il avait déclaré début 2011, en pleine austérité : « le temps des remords et des excuses doit se terminer » pour les banquiers. Lorsque le scandale a éclaté, il n'a pas pris la mesure des événements. Ainsi, il pensait que la démission du président de Barclays, Marcus Agius, et l'abandon de son bonus suffiraient à calmer l'opinion publique...

La cupidité, érigée en valeur, dans une certaine banque d'investissement, ensuite. Ce qui choque le plus n'est pas tant la sous-estimation du Libor dans une période où les transactions étaient quasiment inexistantes sur le marché interbancaire et où il fallait rassurer les marchés, mais bien la manipulation à grande échelle qui a eu lieu avant la crise des subprimes. « Sous-estimer le libor de deux petits points de base a permis à certaines banques de gagner beaucoup d'argent sur les swaps de taux », explique Christophe Nijdam, analyste chez Alphavalue.

Les régulateurs des banques étendent leur champ d'investigation

Si, pour l'instant, une seule banque est condamnée, le soupçon pèse sur l'ensemble des établissements financiers. « Ce scandale éclabousse potentiellement toutes les banques qui ont participé à la fixation du Libor en dollars de 2005 à 2009 », estime Christophe Nijdam. Les dirigeants de Barclays eux aussi en semblent convaincus. "A mesure que d'autres banques trouveront des accords à l'amiable avec les autorités, et que les détails en seront rendus publics [...], notre situation sera finalement mise en perspective", écrivait le comité exécutif de Barclays dans une note aux salariés de la fin de la semaine dernière. Des enquêtes sur la détermination de l'Euribor ont également été lancées. Selon le Financial Times de ce jeudi, les régulateurs bancaires s'intéressent de très près aux liens entre les traders de Barclays et ceux de quatre autres banques européennes, HSBC, Deutsche Bank, Crédit Agricole et Société Générale. Mercredi, Christian Noyer, le gouverneur de la Banque de France avait déclaré que les banques françaises avaient « été interrogées par les autorités compétentes et les réponses, apparemment, ont été satisfaisantes puisqu'à ce stade, il n'y a aucune suite". "Pour l'instant, personne n'a dit, n'a émis l'idée qu'elles avaient participé", a-t-il ajouté.

Que penser du rôle des autorités de régulation et des banques centrales ? Lorsqu'il a été interrogé, Bob Diamond a affirmé que les autorités de régulation de plusieurs pays étaient au courant des manipulations. Selon le New York Times, un employé de la Barclays aurait averti la Federal Reserve Bank of New York, de malversations en avril 2008. Reste la question du mystérieux coup de fil de Paul Tucker à Bob Diamond le 29 octobre 2008. Le numéro deux de la Banque d'Angleterre a nié avoir incité Barclays à sous-estimer le taux de refinancement qu'il déclarait juste après la faillite de Lehman Brothers. C'est pourtant ce que suggèrent des documents internes dévoilés récemment par Bob Diamond, et également ce qu'avait compris le bras droit de Bob Diamond, Jerry Del Missier, lui aussi obligé de démissionner.

Pour finir, la confiance aveugle des régulateurs dans la capacité des banques à s'auto-réguler laisse perplexe. Nul ne pouvait ignorer que les banques se trouvaient en plein conflit d'intérêt lorsqu'elles déclaraient à quel taux elles empruntaient sur le marché interbancaire, puisque ces taux en -or allaient ensuite servir de référence pour tous leurs swaps et autres dérivés de taux. Nul ne pouvait non plus ignorer que le monde des traders sur les marchés de taux est un tout petit monde...
 

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