L’industrie bancaire sonne la charge contre le taux du Livret A

Par Christine Lejoux  |   |  903  mots
La prochaine révision du taux du Livret A aura lieu dans moins de trois mois, le 1er août.
Après le gouverneur de la Banque de France, c’est au tour du patron du Crédit agricole de fustiger le niveau de rémunération de l’épargne réglementée, qui constitue un frein au financement de l'économie.

Est-ce une forme de libération liée à son prochain départ à la retraite ? Toujours est-il que Jean-Paul Chifflet, directeur général de CASA - l'entité cotée du Crédit agricole -, ne s'est pas privé de dire tout le mal qu'il pensait de la rémunération de l'épargne réglementée, à l'occasion de la présentation des résultats trimestriels de la banque verte, le 6 mai. Evoquant "un sujet qui (lui) tient à cœur depuis plusieurs mois", le patron de CASA a fustigé une épargne réglementée (Livret A, Livret de Développement Durable (LDD), Plan d'Epargne Logement (PEL)...) qui "coûte trop cher (aux banques) et pénalise (donc) la France dans le financement de son économie. Notre pays privilégie l'épargne à l'investissement (des entreprises), c'est une erreur." Et pour réparer cette erreur, il n'y a pas 36 solutions, selon Jean-Paul Chifflet : "Il faut baisser le coût de cette épargne, sur le Livret A et sur les PEL."

Une prise de position qui pourrait a minima laisser perplexe l'épargnant lambda, voire provoquer son exaspération. En effet, la rémunération du Livret A avait été abaissée le 1er août 2014 à 1%, son plus bas niveau depuis la création du deuxième placement préféré des Français, en...1818. Une mesure jugée suffisamment impopulaire par le gouvernement pour que ce dernier ait décidé, le 1er février dernier, de maintenir cette rémunération à 1%, alors que le niveau quasi nul de l'inflation, sur la base de laquelle le taux du Livret A est calculé, aurait dû déboucher sur une nouvelle baisse de ce taux, à 0,25%. Afin de tenir compte de "la psychologie des épargnants", Christian Noyer, le gouverneur de la Banque de France, avait proposé de couper la poire en deux, en suggérant de ramener le taux du Livret A à 0,75%.

Une gestion politique de la rémunération de l'épargne réglementée

Peine perdue, le gouvernement n'a rien voulu savoir, au grand dam de l'industrie bancaire. En effet, cette gestion éminemment politique de la rémunération de l'épargne réglementée rend les ressources des banques trop coûteuses, dans l'environnement actuel de taux d'intérêt très bas. Et ce, d'autant plus que, pour des raisons commerciales évidentes, les banques se voient contraintes d'aligner les rémunérations de leurs propres livrets sur celle du Livret A. Or, dès lors que les banques sont obligées de rémunérer des dépôts à 1%, il leur est difficile de ne pas répercuter ce taux sur le coût des crédits qu'elles accordent aux agents économiques. Au risque, sinon, d'un fléchissement de leurs marges d'intérêt.

LCL (ex-Crédit lyonnais) a ainsi accusé une baisse de 3,6% de son chiffre d'affaires, au premier trimestre, le maintien du taux du Livret A à 1% au lieu du taux théorique de 0,25% ayant dégradé la marge d'intérêt de cette filiale du Crédit agricole. Dans une étude publiée en janvier, le courtier Exane BNP Paribas estimait d'ailleurs que le Crédit agricole serait le premier bénéficiaire d'une baisse de 0,5 point du rendement du Livret A, baisse qui engendrerait un rebond de 1,7%, en moyenne, des revenus du métier de banque de détail en France.

un rendement à nul autre pareil en Europe

Autre produit d'épargne réglementée dans la ligne de mire des banques, le PEL. Certes, le gouvernement avait consenti en début d'année à ce que la rémunération des PEL ouverts à partir du 1er février 2015 soit ramenée de 2,5% à 2%. Mais "cette ressource demeurera chère pour le financement du logement", le taux moyen des crédits immobiliers n'excédant pas 2,36%, avait alors souligné la Fédération bancaire française (FBF). On le voit, la rémunération de l'épargne réglementée en France constitue un frein à la diminution du coût du financement de l'économie, en particulier des PME et du logement social, principaux domaines financés par le Livret A. Et ce, au moment même où la Banque centrale européenne (BCE) fait son possible pour relancer la croissance en Europe, avec, notamment, un loyer de l'argent en zone euro au plus bas niveau (0,05%) de son histoire depuis septembre 2014.

Une généreuse politique monétaire qui ne parvient pas à "se diffuser à l'ensemble de l'économie", en raison de la "rigidité des taux de l'épargne réglementée" en France, dont "le niveau élevé constitue une anomalie unique dans la zone euro", a redit Christian Noyer le 5 mai, lors de la présentation du rapport annuel de la Banque de France. "1%, c'est un niveau de rendement à nul autre pareil en Europe, pour un placement liquide et sans risque, c'est exorbitant", a renchéri Frédéric Oudéa, PDG de la Société générale, le 6 mai, en présentant les résultats trimestriels de la banque. François Pérol, président du directoire de BPCE, abonde en ce sens : "Je connais peu de financiers et d'économistes qui ne partagent pas ce point de vue. Rémunérer l'épargne à vue au taux de 1%, net de fiscalité, est incohérent."  La prochaine révision du taux du Livret A aura lieu dans moins de trois mois, le 1er août.