Procès Kerviel : quand la thèse du desk fantôme ressurgit

Par Christine Lejoux  |   |  599  mots
Selon Jacques Werren, cité par la défense de Jérôme Kerviel (photo), « un trader n'a pas accès au coffre-fort de la banque, c'est-à-dire à sa comptabilité.
Jacques Werren, ancien dirigeant du marché à terme Matif et l'un des témoins cités par la défense de Jérôme Kerviel, estime probable que la Société générale ait couvert son ancien trader via des opérations passées depuis d'autres « desks. »

Après le témoin de la partie civile, à savoir la Société générale, place à celui de la défense de Jérôme Kerviel, dans le cadre du procès au civil qui oppose l'ancien trader à la banque du 15 au 17 juin devant la cour d'appel de Versailles. Jacques Werren, ancien directeur général adjoint du Matif (marché à terme), a succédé jeudi après-midi à la barre à Jean-François Lepetit, ex-patron du Conseil des marchés financiers et de la Commission des opérations de Bourse.

« Si la banque avait su cela, pourquoi l'aurait-elle laissé faire ? Quel était le scénario ? »

D'entrée de jeu, Jacques Werren a déclaré que la thèse de la Société générale, selon laquelle la banque n'a jamais soupçonné les agissements de Jérôme Kerviel qui ont conduit l'établissement bancaire à perdre 4,9 milliards d'euros en 2008, est, selon lui, « un défi au bon sens, une insulte à la cour. » Et d'insister : « C'est une version que je ne peux pas admettre, une version incompréhensible. » Car, d'après l'ancien directeur général adjoint du Matif, « un trader n'a pas accès au coffre-fort de la banque, c'est-à-dire à sa comptabilité. Il est rigoureusement impossible, pour un trader, d'enregistrer des opérations qui n'existent pas dans la comptabilité de la banque. »

Des affirmations qui n'ont pas manqué pas d'étonner le président de la cour d'appel de Versailles, Patrick Wyon : « Dans ses dépositions, Jérôme Kerviel a pourtant dit le contraire. » De fait, l'ancien trader reconnaît avoir pris des positions considérables sur les marchés financiers, de 2005 à 2008, des positions qui avaient atteint 50 milliards d'euros début 2008, et que Jérôme Kerviel dissimulait au moyen d'opérations fictives. « Si la banque avait su cela, pourquoi l'aurait-elle laissé faire ? Quel était le scénario ? », s'interroge Patrick Wyon. Jacques Werren commence par dire qu'il n'a pas de réponse à cette question, avant de se raviser : « La banque n'aurait-elle pas initié, elle aussi, des positions sur le marché à terme allemand, à partir d'un autre desk que celui de Jérôme Kerviel ? »

La thèse du "desk fantôme"

Revoici donc la thèse du « desk » fantôme, déjà avancée par Jacques Werren lors du procès de Jérôme Kerviel devant la cour d'appel de Paris, en 2012, cour qui avait confirmé sa condamnation pour abus de confiance à cinq ans de prison, dont trois ferme, et au versement de 4,9 milliards d'euros de dommages-intérêts à la Société générale. « Il est très probable que la banque, à partir d'autres desks, ait couvert Jérôme Kerviel », explicite Jacques Werren.

« Au risque de perdre la banque ? Pourquoi la Société générale se serait-elle tiré une balle dans le pied ? », rétorque le président de la cour d'appel. Pour Jacques Werren, la crise des subprimes (crédits hypothécaires américains risqués) pourrait constituer un élément de réponse. Celle-ci avait éclaté à l'été 2007, soit six mois environ avant la révélation de l'affaire Kerviel. A l'époque, les investisseurs, fébriles, cherchaient à savoir dans quelles proportions les banques étaient exposées à la crise des subprimes. Selon Jacques Werren, la Société générale aurait peut-être cherché à dissimuler des pertes liées aux subprimes en les renommant « fraude Kerviel. » Le président de la cour d'appel, lui, a rebaptisé la thèse du desk fantôme en thèse plus incroyable encore « de la balle dans le pied. »

Christine Lejoux, à la cour d'appel de Versailles.