"Il faut un plan Marshall pour les marchés d'actions"

Par Propos recueillis par Pascale Besses-Boumard et Christèle Fradin  |   |  777  mots
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Le numéro deux de l'Amafi s'inquiète des risques d'une taxe sur les transactions lancée unilatéralement par la France, alors qu'on devrait s'intéresser aux produits financiers "dangereux", tels les CDS, ainsi qu'au problématique trading à haute fréquence.

2012 a débuté avec l'arrivée possible d'une taxe Tobin, quitte à commencer seul. Comment réagit l'Amafi sur ce point ?

Si la taxe est appliquée par la France de manière unilatérale sur tous les produits, c'est une catastrophe pour notre pays. Une écrasante majorité des transactions (hors actions) se déplacera rapidement hors de nos frontières et le produit de cette taxe sera finalement très faible, les principaux touchés étant les particuliers et les PME. En appliquant à la France la proposition de la Commission européenne, portant sur une taxe de 0,1% sur les transactions sur titres et 0,01% sur les produits dérivés, nous avons calculé qu'elle mettrait en péril quelque 15.000 emplois dans la banque d'investissement, 10.000 dans la gestion et 5.000 autres dans diverses activités.

On parle éventuellement, pour prendre les devants, d'une forme de retour à l'impôt de Bourse...

Cela nous choque presque encore plus. Fiscalement plus facile à faire, ce serait une mesure destructrice pour le marché des actions qui, par excellence, met la finance au service de l'industrie. S'il y a un problème financier dans ce pays, c'est bien celui de l'investissement en actions. La grande majorité des titres cotés est aujourd'hui détenue par des étrangers. Nous n'avons pas de fonds de pension. Et les normes prudentielles de Bâle ou Solvabilité II limiteront les investissements en actions des banques et des assureurs. Dans ce contexte, nous devrions avoir un plan Marshall pour les actions. Au lieu de cela, c'est notre propre aviation qui nous pilonne. Si l'on n'est pas content des marchés, si l'on veut les assainir, c'est sur les directives européennes, et d'abord Marchés d'instruments financiers (MIF), qu'il faut agir. Rappelons que les questions de fonctionnement des marchés ne nécessitent qu'une décision à la majorité qualifiée. Les questions de fiscalité, elles, se prennent à l'unanimité.

À votre avis, quelles sont les autres priorités ?

Il me semble qu'il serait plus judicieux d'avoir une réflexion collective sur le sujet : quels marchés financiers voulons-nous ? Thème d'ailleurs abordé dans un livre d'entretiens, à paraître fin février, où nous avons tenté de répondre à la question, Philippe Tibi, président de l'Amafi, et moi-même. Il serait déjà bon de réfléchir sur le sort à donner à plusieurs produits financiers qui me paraissent discutables, voire dangereux. Comme les CDS ["credit default swaps"], dont le statut juridique n'est même pas clarifié. De même, serait-il utile de définir quel développement réserver au trading à haute fréquence, qui est loin de faire l'unanimité au sein de la profession. Évolutions qu'il aurait été bon d'aborder à l'occasion de la révision de la MIF, mais qui n'y sont pas vraiment traitées. Lacune d'autant plus regrettable que les marchés actions sont de plus en plus opaques en raison de la multiplication des plates-formes alternatives. Et pourtant, nous avons toujours la même demande : nous voulons un marché transparent, avec une formation des prix honnête et équitable. Ce qui suppose des règles publiques efficaces.

Est-ce à dire que ce sont les marchés qui font la loi ?

Ce qui est sûr aujourd'hui, c'est que le citoyen s'y retrouve mal. Et qu'on le dirige vers de fausses pistes. Les marchés sont là, ils sont globalement utiles et, vu la raréfaction du crédit, on en aura de plus en plus besoin. Il faut savoir les utiliser au mieux, et donc bien les réguler. Nous voulons profiter de la campagne électorale pour rappeler ces faits simples. Et remettre quelques pendules à l'heure comme sur la crise de la zone euro. Si la Grèce en est arrivée là, c'est parce qu'elle s'est trop endettée et qu'elle s'est retrouvée dans l'incapacité de rembourser. C'est avant tout un problème politique. Et ce n'est pas en s'en prenant verbalement aux marchés que l'on résoudra plus facilement les choses. D'autant que les politiques ne sont pas vraiment familiarisés avec leurs mécanismes.

Que souhaitez-vous à court terme ?

Je suis franchement étonné de voir à quel point on a peu réformé en matière de marchés depuis la crise de 2008. Et pourtant, il y a matière à faire évoluer la législation. Surtout pour aller vers une transparence accrue. Pour l'instant, on se contente de frapper à l'aveugle, comme avec le projet de taxe financière. Il faudrait avancer de façon plus constructive en se demandant quel modèle de marché nous voulons en Europe. Tant qu'à s'indigner, autant que cela soit de façon utile et compétente, sans se mutiler soi-même.