Livret A : le lobby bancaire fait de la résistance

Par Mathias Thépot  |   |  647  mots
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Pour justifier l'inefficience d'un doublement du plafond du livret A pour financer davantage le logement social, la Fédération bancaire française et la Banque de France pointent un problème d'offre lié à la rareté du foncier. Ce n'est pourtant pas si simple que cela.

En doublant le plafond du livret A de 15 300 à 30 600 euros, le président de la République François Hollande espère collecter une manne de 15 à 20 milliards d'euros supplémentaires par an, qui aura pour principale vocation d'accroître les fonds alloués au logement social. La mesure n'est pas très bien accueillie par l'industrie bancaire. En effet, si le doublement du plafond était plébiscité par les épargnants, cela pénaliserait notamment les produits d'épargne de bilan des banques. Elles risqueraient alors de perdre de l'épargne bilantielle, car 65% des encours du livret A sont censés être centralisés par la Caisse des dépôts (CDC).

Peu arrangeant vis-à-vis de Bâle 3

Ceci ne les arrange guère vis à vis des futures normes bancaires de Bâle 3, qui leurs demandent de posséder plus d'épargne dans leur bilan. En outre, avec moins d'épargne à disposition, elles seront incitées à davantage se financer sur le marché. Le surcoût d'élèverait alors à entre 100 et 320 millions d'euros pour l'industrie bancaire selon le cabinet Sia Conseil. Conscient du potentiel succès de la mesure du président Hollande, le lobby bancaire monte au créneau.

La rareté du foncier

En guise de contre-attaque, la Fédération bancaire française (FBF) argue qu'une telle mesure serait inefficace pour résoudre le problème du manque de logements sociaux. Ce dernier tenant plus "à la rareté du foncier" qu'à un manque de financement. Le gouverneur de la Banque de France, Christian Noyer, reste de son côté pragmatique : "Il faut que le financement suive ce qui est effectivement le besoin de financement du secteur du logement social", a-t-il indiqué. Or, "aujourd'hui, nous avons, me semble-t-il, un rythme de financement du logement social qui est contraint par l'offre plus que par les financements", a-t-il ajouté.

L'argent du livret A ne sert pas qu'à construire des logements sociaux

Plusieurs acteurs de terrain ne sont pas de l'avis des grandes instances bancaires, et ce pour plusieurs raisons. Selon eux, il y a et il y aura du foncier disponible pour bâtir des logements sociaux. "Il a d'abord beaucoup de friches urbaines aux alentours des grandes agglomérations", note Jean-Baptiste Eyraud, de l'Association Droit au Logement (DAL), ensuite "François Hollande s'est engagé à livrer des terrains qui appartiennent à l'Etat pour construire des logements sociaux", indique-t-il.
En outre, l'argent du livret A ne sert pas qu'à construire, il permet aussi "aux organismes HLM d'acheter des immeubles et de les transformer en logements sociaux", indique Jean-Baptiste Eyraud. Les prêts au logement social financés par le livret A, "sont également destinés à la réhabilitation des bâtiments, et notamment à leur réhabilitation thermique", ajoute Jean-Philippe Gasparotto, le secrétaire général de la CGT Caisse des dépôts.

150 000 nouveaux logements sociaux par an

Reste que le doublement du plafond du livret A sera, de l'avis de ces deux experts, "indispensable" à François Hollande s'il veut atteindre l'objectif de créer 150 000 logements sociaux par an pour satisfaire une partie des 1,2 million de ménages éligibles et demandeurs de logements sociaux.
Il sera d'autant plus indispensable qu'en ces temps difficiles, les prêts financés par le fonds d'épargne de la CDC, principalement alimenté par le livret A, sont en proportion de moins en moins alloués au logement social, note Jean-Philippe Gasparotto. "En 2011, il y a eu pour la première fois moins de prêts accordés au logement social qu'aux autres emplois" traditionnels du fonds d'épargne, indique-t-il. Les collectivités locales ont notamment bénéficié d'une enveloppe exceptionnelle de 5 milliards d'euros en 2011, provenant du fonds d'épargne. Oséo, des infrastructures ferroviaires ou des centres de traitement des eaux ont également pu profiter des liquidités du bras armé de la CDC pour financer les projets d'intérêt général.