Crédit : les assureurs vont devoir rembourser 16 milliards aux assurés

Par Séverine Sollier. Réactualisé le  |   |  1084  mots
Le Conseil d'Etat vient de donner raison à l'association UFC-Que Choisir. Elle reprochait aux assureurs de ne pas avoir remboursé aux assurés comme le prévoit la loi, les bénéfices réalisés avec les contrats emprunteurs qui couvrent le risque de décès ou d'invalidité d'un souscripteur de crédit. Les assureurs relativisent la portée de la décision.

Cette affaire pourrait coûter 16 milliards aux assureurs. Ce montant colossal correspond à l'estimation des globale bénéfices réalisés en assurance emprunteur entre 1996 et 2007 qui n'ont pas été remboursés aux assurés comme le prévoit la loi, mais payés aux banques distributrices du crédit (immobilier ou consommation) sous forme de commissions.

Un arrêt du lundi 23 juillet, le Conseil d'Etat a en effet considéré que "selon la loi, les assureurs auraient dû reverser, à la fin du contrat, les surprimes d'assurance qui n'ont pas servi à couvrir la réalisation des risques", indique un communiqué de l'association de consommateurs UFC-Que Choisir. Plus précisément, l'arrêt annule l'article A331-3 du Code des Assurances qui excluait les contrats d'assurance emprunteur de la redistribution des bénéficies techniques et financiers du contrat. Le Conseil d'Etat avait été saisi en 2007 par l'association dans des dossiers concernant CNP et les Caisse d'épargne.

Ce montant de 16 milliards reste toutefois théorique, car pour obtenir un remboursement, chaque assuré devrait attaquer individuellement son assureur. De plus, les sommes qui seraient susceptibles d'être obtenues sont très variables d'un assuré à l'autre et dépendent à la fois de la durée, du montant du prêt et évidemment de la cotisation d'assurance.

Les banques touchaient entre 40% et 70% du montant de la prime d'assurance

L'UFC-Que Choisir dénonçait le reversement aux banques des «bénéfices techniques et financiers » des contrats d'assurance emprunteurs couvrant le décès, l'incapacité et l'invalidité des souscripteurs d'un crédit. Le Code des assurances prévoit en effet dans son article L.331-3 que les assureurs doivent rendre aux assurés à la fin du contrat les surprimes d'assurance qui n'ont pas servi à couvrir la réalisation des risques.

"Or, les contrats d'assurance-emprunteur étaient hautement bénéficiaires puisque sur 100 euros de prime payée par l'assuré, le banquier recevait plus de 40% du montant de la prime sous la forme de bénéfices techniques et financiers pour un prêt immobilier et pour les crédits consommation, pas moins de 70%", affirme l'association UFC-Que Choisir.

Les deux arrêtés invoqués par les assureurs sont déclarés illégaux

Pourtant, les compagnies d'assurance et les banques avaient invoqué la conformité de leurs pratiques avec la réglementation puisque  deux arrêtés de 1994 et 1995 (article A331-3 du Code des Assurances) excluaient les contrats d'assurance emprunteur de cette redistribution de bénéficies, par ailleurs prévue par la Loi (mais plutôt destinée aux contrats d'épargne). Le Conseil d'Etat  déclare aujourd'hui ces arrêtés illégaux.

16 milliards versés en 11 ans selon UFC-Que Choisir

Les montants en cause, qui auraient dû être remboursés à la collectivité des assurés, seraient gigantesques selon les estimations d'UFC-Que Choisir : 11,5 milliards pour les prêts immobiliers entre 1996 et 2005 et 4,5 milliards pour les crédits consommation entre 1996 et 2007.

D'après l'association, non seulement les souscripteurs d'une assurance emprunteur auprès de CNP (parallèlement à un crédit aurpès des Caisses d'épargne) qui sont à l'origine de l'affaire, mais aussi chaque assuré ayant souscrit un contrat d'assurance emprutneur durant la période considérée (1995-2007), seraient susceptibles de réclamer le reversement de bénéfices techniques et financiers réalisés avec son contrat.

 Pour faciliter ces réclamations, l'association indique qu'elle "travaille aujourd'hui à la mise en place d'outils simples et efficaces devant permettre aux assurés victimes de réclamer leur dû".

Un remboursement compliqué à obtenir

Car la démarche est compliquée. En l'absence d'action collective en droit français (les "class action" en droit américain), chaque assuré devrait entreprendre un action en justice individuellement. Premier problème pour l'association : comment les prévenir de leur droit alors qu'il est interdit d'en faire la publicité ?

Ensuite, la question du clacul des montants à réclamer n'est pas résolue. Il faudrait en effet estimer individuellement ce à quoi chaque assuré a droit. Sachant que  les contrats d'assurance vie qui redistribuent des bénéfices techniques et financiers aux assurés ne leur reversent, en général, pas la totalité de ces bénéfices. A ce "remboursement" de bénéfices s'ajouterait une indemnité pour réparer le préjudice d'avoir été privé de ces sommes.

Le montant global des montants réclamés par assuré a une incidence sur la juridiction qui pourrait être saisie. Pour les montants inférieurs à 4000 euros, il s'agit en principe du Tribunal d'instance. Serait-il en mesure de trancher dans une affaire financière si complexe ?

Bref, le feuilleton judicaire de l'assurance emprunteur ne fait que commencer.

Pour CNP Assurances, une demande de remboursement n'est pas justifiée

Pour  sa part, la compagnie d'assurance CNP Assurances, directement concernée par cette jurisprudence, estime que "la décision du Conseil d'Etat du 23 juillet 2012 ne permet pas de justifier une quelconque demande de remboursement aux assureurs au titre des contrats emprunteur".

L'assureur explique que la haute juridiction ne traite pas la question de la répartition de la partipation aux bénéfices. Or selon lui, "cette répartition découle, en effet, des clauses du contrat d'assurance. Traditionnellement, cette clause prévoyant la distribution de la participation aux bénéfices existe dans les contrats d'assurance vie de « type épargne » afin de rémunérer le placement des assurés, mais pas dans les contrats de risque pur tels que les contrats emprunteurs."

Un argument que refute UFC-Que Choisir car selon l'association la loi prime sur le contrat. Or la loi ne précise pas que cette attribution des bénéfices techniques ne concerne que les contrats d'assurance vie-épargne, ni la clé de répartition.

Les arrêtés incriminés ont été modifiés depuis 2007

"Cette décision ne fait que confirmer qu'il était nécessaire de modifier l'article A 331-3 du code des assurances ce que l'Etat a déjà fait en avril 2007 : l'article A 331-3, dans sa nouvelle version, prévoit que les contrats collectifs en cas de décès (qui constituent une partie des garanties présentes au sein des contrats emprunteurs) alimentent la masse globale de la participation au bénéfice que les assureurs doivent distribuer aux assurés", précise CNP Assurances.

La compagnie ajoute par ailleurs, "que ce soit sous l'empire de l'ancien texte ou de la nouvelle rédaction, CNP Assurances a toujours respecté l'intégralité des engagements contractuels à l'égard des emprunteurs assurés."