Wendel : l'ex-patron du Medef Seillière bientôt fixé sur son sort dans une gigantesque affaire de fraude fiscale

Par latribune.fr  |   |  1188  mots
Le parquet national financier (PNF) a requis quatre ans de prison, dont deux ans ferme, à l'encontre du baron Seillière, 84 ans, héritier de la dynastie Wendel et à l'époque président du conseil de surveillance. (Crédits : Reuters)
Quinze ans après les faits, la justice se prononce sur un programme d'intéressement baptisé Solfur, mené par d'anciens cadres de la société d'investissements Wendel qui avait permis en 2007 à quatorze dirigeants de réaliser un gain net total de 315 millions d'euros. Le parquet national financier (PNF) a requis quatre ans de prison, dont deux ans ferme, à l'encontre du baron Ernest-Antoine Seillière, 84 ans, ancien patron du Mefef et héritier de la dynastie Wendel.

C'est une affaire de suspicion de fraude fiscale qui a fait grand bruit, et donc le dénouement est attendu pour ce mercredi. D'anciens dirigeants et cadres de la société d'investissement Wendel, dont l'ancien patron des patrons Ernest-Antoine Seillière, seront fixés sur leur sort mercredi à Paris. Au cœur de cette affaire, un montage financier particulièrement élaboré.

Quinze ans après les faits, la justice se prononce sur un programme d'intéressement baptisé Solfur, qui avait permis en 2007 à quatorze dirigeants et cadres de réaliser un gain net total de 315 millions d'euros, sans être imposé. Le parquet national financier (PNF) a requis quatre ans de prison, dont deux ans ferme, à l'encontre du baron Seillière, 84 ans, héritier de la dynastie Wendel et à l'époque président du conseil de surveillance. Se disant "indigné" d'être face à un tribunal, celui qui fut patron du Medef de 1997 à 2005 s'est vigoureusement défendu, comme tous les prévenus, d'avoir voulu éluder frauduleusement environ 30% d'impôt sur sa part de Solfur - 79 millions d'euros.

Un montage fiscal d'une autre époque

L'accusation a réclamé cinq ans de prison, dont trois ferme - une peine non-aménageable - pour l'ancien président du directoire, Jean-Bernard Lafonta, 60 ans, qui a depuis cofondé le fonds HLD. Des peines allant jusqu'à deux ans ferme ont été requises contre onze cadres supérieurs et un ex-avocat fiscaliste poursuivi pour complicité, avec, pour tous, une amende de 37.500 euros et des interdictions professionnelles.

Le procès en janvier-février, aux débats techniques voire byzantins, a replongé le tribunal dans une autre époque, avant la crise financière de 2008. Fondé au début du XVIIIe siècle en Moselle par le maître des forges Jean-Martin Wendel, l'entreprise s'est transformée en société d'investissement à la fin des années 1970, après la nationalisation de la sidérurgie française en crise. Le groupe reste cependant contrôlé par les descendants du fondateur.

A partir de 2006, la famille souhaite, pour des raisons fiscales, n'avoir plus qu'une seule structure entre elle-même et la société cotée Wendel Investissement. Pour cela, il est décidé qu'une structure intermédiaire, la Société lorraine de participations sidérurgiques (SLPS), serait fusionnée en 2007 avec un autre étage du groupe, Wendel-Participations.

La crise des subprimes bouleverse les équilibres

Dans le même temps, un autre processus complexe est engagé : celui consistant à solder un programme d'intéressement des managers du groupe, qui détenaient depuis 2004 une option d'achat sur 13,5% du capital de Wendel-Participations, via une société appelée Solfur, elle-même filiale à 100% de Wendel Investissement - ce qui formait donc une "boucle".

Pour "déboucler" Solfur, Wendel-Participations rachète en mai 2007 ses propres actions aux cadres, contre remise d'actions Wendel Investissements : ils deviennent alors actionnaire direct de la société cotée à hauteur de 4,6%. Par une série d'opérations, les titres sont ensuite transmis à des sociétés civiles individuelles des cadres - sauf pour Jean-Bernard Lafonta. Certains souscrivent en outre des prêts auprès de la banque JP Morgan.

Or cette transmission à des sociétés leur permet de bénéficier d'un "sursis à imposition", permis par la loi dans le cas d'opérations dite "d'apport-cession", afin de reporter l'acquittement de l'impôt sur les plus-values (27%).

Devenu désastreux pour beaucoup de cadres surtout après la crise des subprimes, Solfur suscite rapidement la fronde d'une administratrice, cousine d'Ernest-Antoine Seillière, et des procédures judiciaires en pagaille. Ce volet a fait l'objet d'une information judiciaire distincte, après une plainte pour abus de biens sociaux d'une membre de la famille Wendel, Sophie Boegner. Elle s'est soldée par un non-lieu.

Puis, en décembre 2010, les cadres se voient notifier un lourd redressement de 240 millions. Pour le fisc, qui saisira en 2012 la justice, il s'agit d'un "abus de droit" : le détournement d'un dispositif légal, celui de "l'apport-cession".

Un montage a but exclusivement fiscal, pour le PNF

Pour le fisc comme pour le parquet national financier (PNF), il s'agit d'un détournement de ce dispositif, pensé par le législateur pour encourager le réinvestissement dans l'activité économique.

Selon les concepteurs du montage, au contraire, l'utilisation de ce régime était en ligne avec jurisprudence de l'époque et il n'y avait aucune intention de frauder - intention qui doit être démontrée pour le délit de fraude fiscale.

C'est "une des plus importantes fraudes fiscales (jamais) poursuivies devant un tribunal correctionnel", selon le PNF, qui a décrit un "montage artificiel", "complexifié" à dessein, avec un "but exclusivement fiscal". Par d'autres mécanismes, évoqués dans des échanges de mails, ce report d'imposition aurait pu en outre devenir permanent, a fait valoir le PNF.

Au final, cette cascade d'opérations a entraîné une plus-value considérable (un facteur multiplicateur de 191% à partir de l'investissement initial d'environ 1,6 million, selon le PNF), notamment parce que le cours de l'action Wendel a beaucoup augmenté entre 2004 et 2007 (passant de 40 à 127 euros).

L'un des enjeux du dossier est de déterminer l'intention, ou pas, des prévenus à frauder : hautement qualifiés, ils ne sont pas des "madame et messieurs Jourdain" qui feraient de la fraude fiscale "sans s'en rendre compte", a balayé avec ironie l'accusation.

"Bonne foi"

Au contraire, les prévenus ont soutenu avoir cru, de bonne foi, pouvoir bénéficier de ce régime fiscal au vu de la jurisprudence de l'époque, confortés par l'expertise du réputé cabinet d'avocats Debevoise & Plimpton.

Principal bénéficiaire de Solfur avec 116 millions d'euros, Jean-Bernard Lafonta est aussi jugé pour complicité de la fraude de ses coprévenus, car il est soupçonné d'avoir "supervisé" le montage et "forcé la main" à certains cadres. "Absurde", a assuré à la barre celui qui a démissionné de Wendel en 2009 dans le sillage de cette affaire et de la montée contestée au capital de Saint-Gobain.

De son côté, l'avocat, l'avocat de l'ancien président du Medef Ernest-Antoine Seillière a réclamé la relaxe, dénonçant des réquisitions d'une "immense violence". "Il a été proposé une forme de mort professionnelle et sociale pour l'ensemble des prévenus", a lancé au début de sa plaidoirie Me Eric Dezeuze. "Voici quelqu'un qui a représenté la France, les entreprises françaises, dans le monde, en Europe, qui a toujours senti que servir l'entreprise c'était servir la France. (...) Face à tout cela, un seul mot: prison", a fustigé l'avocat.

Après des années de contentieux, la quasi-totalité des prévenus a conclu une transaction avec le fisc, se voyant pour certains rembourser des millions d'euros versés sur la base du premier redressement. La banque JP Morgan, qui avait concédé des prêts massifs aux managers dans le cadre de Solfur, a elle aussi été renvoyée pour complicité de fraude fiscale. Elle a accepté en septembre de payer 25 millions d'euros d'amende via une transaction judiciaire pour clore les poursuites.

La société d'investissement Wendel a annoncé fin mars avoir réalisé un bénéfice net de 1,05 milliard d'euros en 2021.

(avec AFP)