Revue stratégique de la BCE : “Un exercice à la fois sain et périlleux"

Par Propos recueillis par Juliette Raynal  |   |  712  mots
Christine Lagarde, à la tête de la Banque centrale européenne, a donné le coup d'envoi de sa revue stratégique ce jeudi 23 janvier. (Crédits : RALPH ORLOWSKI)
Pour la première fois depuis sa création en 1998, la Banque centrale européenne va mener une revue stratégique d'ampleur à l'heure où les outils traditionnels dont elle dispose ont tous été épuisés. Christine Lagarde, sa présidente, prépare les esprits à une orientation climatique de l'utilisation des instruments de l'institution. Décryptage avec l'économiste indépendante Véronique Riches-Flores.

Christine Lagarde, la nouvelle présidente de la Banque centrale européenne (BCE) a donné une conférence de presse très attendue ce jeudi 23 janvier. Si son intervention n'a pas révélé de surprise en matière de taux (ces derniers sont restés inchangés comme attendu), elle marquait le coup d'envoi d'une revue stratégique d'ampleur, avec notamment pour objectif d'intégrer la protection du climat. Un exercice potentiellement "périlleux", mais "sain", selon Véronique Riches-Flores, économiste indépendante, qui décrypte pour La Tribune ces annonces.

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LA TRIBUNE - Quel message a envoyé Christine Lagarde ? A-t-il été bien reçu par les marchés ?

VERONIQUE RICHES-FLORES - Christine Lagarde a envoyé un message de "colombe" [surnom donné aux tenants d'une politique monétaire souple, ndlr], avec une lecture d'une extrême prudence de l'environnement économique et ses perspectives. Son discours montre qu'elle a intégré le fait que l'inflation aurait du mal à revenir et que ce n'était pas le sujet du moment, avec pour conséquence le maintien de taux durablement bas et sans perspective d'une remontée. Son intervention n'a pas été bien reçue par les marchés dont les anticipations prévoyaient une possible remontée des taux dès l'année prochaine, en signe d'une amélioration des perspectives que Mme Lagarde n'a pas franchement validée. Les taux d'intérêt futurs ont ainsi nettement baissé, de même que l'euro.

Christine Lagarde était très attendue sur la revue stratégique de la BCE. Pourquoi ?

Christine Lagarde souhaite mener une revue stratégique d'envergure et souhaite y associer les académiques. C'est une première depuis la création de l'institution en 1998, même si des ajustements dans son mandat avaient été apportés en 2003. C'est un exercice à la fois relativement sain après avoir utilisé les outils non-conventionnels totalement inédits. Est-ce que c'est efficace ? Peut-on ajuster la politique ? Avec quels types de moyens ? Mais il s'agit aussi d'un exercice potentiellement périlleux. Mme Lagarde a pour ambition non dissimulée d'élargir les prérogatives de la BCE, ce qui pourrait poser la question de la légitimité d'une telle démarche. La BCE n'est pas issue d'un processus démocratique et sa mission a jusqu'alors été très strictement limitée, elle consiste à contrôler l'inflation. Faut-il changer les règles?

Lors de la conférence de presse, Christine Lagarde ne s'est pas prononcée sur l'hypothèse d'un changement d'objectif d'inflation, qui ferait partie de cette réflexion. [A l'heure actuelle, la BCE vise une hausse des prix "vers mais inférieure à 2%", ndlr]. Sans surprise, elle n'a pas mentionné l'idée d'introduire une symétrie. [Dans ce cas, l'inflation pourrait dévier d'un côté comme de l'autre autour de 2%, sans que cela ne pousse l'institution à ajuster immédiatement sa politique, ndlr]. Ce que l'on peut comprendre c'est que cette revue va prendre du temps, qu'il faudra attendre la fin de l'année, voire plus, pour les conclusions et que les préoccupations de la présidente vont bien au-delà d'un objectif d'inflation.

Quid de l'intégration des enjeux climatiques ?

Christine Lagarde a une ambition très grande qui consiste à donner une impulsion économique plus large et, dans ce cadre, la politique climatique est non seulement impérative, mais elle permet aussi de donner du sens à des politiques de soutien à la croissance structurelle. En tant que présidente de la BCE, elle s'attache donc à préparer les esprits à une orientation de l'utilisation des instruments de l'institution, et notamment le plan d'achats d'actifs [ou quantitative easing en anglais, ndlr] L'idée pourrait consister à verdir le programme de QE. Jusqu'à présent, la BCE n'avait pas donné d'axe à ces achats. Ce que nous pressentons aujourd'hui, c'est une volonté de préparer le terrain pour une plus forte sélection dans les choix des achats d'actifs. Si la place du combat contre le changement climatique dans la future stratégie de la BCE fera l'objet d'un débat, Christine Lagarde a souligné qu'elle était 'consciente du danger de ne rien faire'. Elle en a profité pour rappeler que la BCE avait déjà commencé à donner une connotation climatique dans sa stratégie, notamment à travers ses choix d'investissements.