La fin annoncée des autoroutes urbaines

Par Dominique Pialot  |   |  1145  mots
De nombreuses villes en Europe, en Asie ou en Amérique ont déjà supprimé les voies rapides les traversant de part en part. L'urbaniste Paul Lecroart, qui a consacré une étude à ce sujet, analyse les retombées et les conditions de ces transformations.

Observant « un mouvement mondial de reprise des grandes infrastructures autoroutières au coeur des villes », Paul Lecroart, urbaniste à l'Institut d'aménagement et d'urbanisme de la Région Île-de-France (IAU), a publié en 2013 une étude intitulée « De la voie rapide à l'avenue urbaine : la possibilité d'une "autre" ville ? » Il y analyse douze exemples de villes américaines, canadiennes ou coréennes, qui ont abandonné leurs autoroutes urbaines pour des avenues bien connectées, bordées d'immeubles d'habitation, de bureaux et de commerces, ouvertes à tous et traversables.

« Longtemps, les politiques de modération du trafic se sont contentées d'apaiser les quartiers (zones à 30 km/h, trottoirs élargis), de réaménager des boulevards (avec ou sans tramways) et de reconquérir des places (souvent en mettant le stationnement en souterrain), observe-t-il. Aujourd'hui, on ose remettre en question ces autoroutes urbaines, à San Francisco, à Séoul, à New York, à Montréal ou ailleurs. »

Lutter contre l'étalement urbain

Dans tous les cas, après un temps d'adaptation, les retombées ont été positives à tous points de vue. Des reports de trafic ont bien été observés, mais limités et inférieurs aux prévisions. La réduction du nombre de voitures en circulation, des kilomètres parcourus et de la vitesse s'est accompagnée d'une diminution de la pollution et des nuisances sonores. Jusqu'à, dans certains cas comme à Séoul, faire baisser la température dans tout le quartier et y restaurer la biodiversité.

Après une phase d'opposition quasi systématique, ces transformations, qui ont permis de passer de « la mobilité rapide pour certains à l'accessibilité lente pour tous », ont fini par être largement plébiscitées par les habitants. Ces derniers ont démontré leur capacité d'adaptation en modifiant leurs itinéraires, leurs horaires, leurs fréquences de déplacement, en adoptant les transports en commun, le covoiturage, le vélo ou la marche, etc.

L'espace public des villes étant un bien rare et précieux, « il faut optimiser l'usage de la voirie, économiquement et socialement », résume Paul Lecroart.

À l'inverse, « augmenter la capacité routière ne fait qu'accroître le problème de la congestion. Si tout le monde pouvait entrer dans un train ou un avion sans restriction, on se retrouverait tous assis dans la travée centrale ! »

Paul Lecroart souligne le décalage entre les services rendus par la voiture et la place (sans parler des nuisances occasionnées) qu'elle occupe. Tous les modes de déplacement alternatifs doivent donc être encouragés.

L'urbaniste plébiscite particulièrement les aménagements favorables au vélo, « d'autant plus intéressants qu'il s'agit d'un moyen de transport accessible à toutes les catégories de la population. » Ce soft - les politiques fiscales, les péages urbains, mais aussi les accords avec les employeurs favorisant le télétravail et la « démobilité » -, qui recouvre tout ce qui n'est du ressort ni de l'aménagement, ni des infrastructures, joue un rôle essentiel.

Quoique peu visible, la politique de stationnement est primordiale, qu'il s'agisse, comme à Londres, de le rendre prohibitif pour les commuters, qui viennent tous les jours travailler dans le centre-ville depuis la banlieue ou, comme en Scandinavie, de dissocier les parkings des habitations, l'un comme l'autre rendant plus dissuasif l'usage systématique de la voiture.

« Il est difficile, ajoute Paul Lecroart, d'isoler l'impact de telle ou telle mesure, mais les villes les plus avancées sur ce sujet déploient de gros moyens d'information vis-à-vis de leurs habitants : des centrales de mobilité à Vienne, une présentation systématique aux occupants sur le bouquet de solutions de mobilité existant autour des nouveaux logements en Scandinavie... »

Il conseille également d'impliquer les acteurs économiques.

« Certaines entreprises ont compris que trop de voitures et trop de congestion étaient un frein à la croissance économique, mais elles ne sont pas majoritaires. »

À Londres, en tout cas, ce sont les entreprises de l'association London First qui ont fait du lobbying pour le péage urbain.

« Ce serait une erreur de penser que l'accès en voiture solo à tout point de la ville à tout moment est un facteur de création de richesses, relève l'urbaniste. Si l'on veut une région métropolitaine prospère et juste, on a besoin de réguler les déplacements en privilégiant les modes les moins polluants et les plus économes, en espace et en énergie. »

Mais le levier le plus structurant d'une politique de mobilité reste néanmoins la politique d'aménagement et la lutte contre l'étalement urbain, une tendance étroitement liée au prix du mètre carré.

Mais, « desserrer des emplois et de l'habitat vers la périphérie en regardant seulement le coût du foncier n'est pas cohérent, observe Paul Lecroart. À long terme, la dispersion urbaine coûte cher aux ménages - qui ont besoin d'une, deux, voire trois voitures - et à la collectivité, qui doit financer les routes et les lignes de transport pour desservir ces nouveaux espaces urbains. »

L'Île-de-France sans stratégie

Qu'en est-il de la région parisienne ?

« L'Île-de-France possède un réseau autoroutier plus dense que la moyenne européenne, et à l'inverse de Londres ou de Berlin, les rocades parisiennes, périphérique et A 86, sont au coeur de la métropole », observe l'urbaniste.

De ce fait, Paris est davantage que d'autres capitales confrontée à la congestion au coeur de la ville, où se concentrent les habitants et les emplois, ce qui rend l'impact sanitaire mais aussi économique de la circulation d'autant plus fort.

Autre particularité :

« Le système de gouvernance de la mobilité en Île-de-France est émietté. Pour 10 millions d'habitants et 400 communes, on a presque 400 réglementations différentes en matière de stationnement, de circulation, de livraison... »

Rien d'étonnant, dès lors, à ce qu'en dépit de la pléthore d'initiatives ayant un impact sur la mobilité, elles ne forment pas un tout. « Il manque une stratégie commune et une gouvernance commune de la mobilité pour l'ensemble de l'Île-de-France », conclut-il.

Concernant la piétonnisation des berges, les enjeux dépassent le périmètre de Paris intra muros.

« Dans une très large part de la métropole, l'accès à la Seine, le développement d'autres usages, l'écologie fluviale sont aujourd'hui pénalisés par la présence de voies rapides », reconnaît Paul Lecroart.

Le projet parisien pourrait sans doute donner le coup d'envoi d'un mouvement plus vaste de reconquête du fleuve...

« Mais cela ne pourrait se construire sans une très large concertation », avertit Paul Lecroart.

Ce qui n'est pas à proprement parler le point fort du projet... Pourrait-il néanmoins connaître le même destin que celui de Cheonggyecheon, à Séoul ? Celui-ci a suscité un tel engouement qu'il a aidé son instigateur Lee Myung Bak à se faire élire maire de Séoul en 2002... puis président de la République en 2006.