Et si on s'inspirait du vivant pour changer la ville ?

Ventiler un bâtiment comme une termitière, fluidifier la circulation à la manière des protéines... Pour bâtir et organiser la cité, architectes et urbanistes prennent désormais exemple sur la nature.
Dominique Pialot
Après la végétalisation, les aménagements paysagers, la débitumisation, place à un habitat qui tire parti des compétences animales et végétales.
Après la végétalisation, les aménagements paysagers, la "débitumisation", place à un habitat qui tire parti des compétences animales et végétales. (Crédits : Pixabay)

Le sujet ne fait plus débat. De la rétention des eaux de pluie à la lutte contre l'effet îlot de chaleur en passant par l'absorption de dioxyde de carbone ou la reconstitution de trames de biodiversité, la liste des bienfaits de la nature en ville ne cesse de s'allonger. Plus récemment, ses impacts sur le bien-être et la santé humaine eux-mêmes ont été démontrés.

Le mouvement est lancé dans de nombreuses collectivités. Depuis 2015, tout Parisien désireux de cultiver un site de son choix, qu'il s'agisse d'une jardinière au coin de sa rue, de plantes grimpantes sur un mur ou d'un potelet transformé en installation végétale peut demander un « permis de végétaliser ».

L'équipe d'Anne Hidalgo, qui revendique la végétalisation de près de 40 hectares depuis le début de la mandature, souhaite accélérer cette dynamique pour atteindre son objectif de 100 hectares, avec la création, dès 2020, de forêts urbaines sur les sites de l'Hôtel de Ville, les abords de l'Opéra Garnier, le parvis de la gare de Lyon et une voie des berges de Seine rive droite. Ces projets s'inscrivent dans le plan de « débitumisation » entamé il y a un an, qui comprend notamment la transformation d'une centaine de cours d'écoles en jardins urbains - et autant d'îlots de fraîcheur ouverts au public - plusieurs promenades plantées, le retour à la terre de certaines parties de rues, le réaménagement de sept places parisiennes...

Lire aussi : Paris : Hidalgo promet quatre "forêts urbaines"

Dès sa première édition lancée en novembre 2014, « Réinventer Paris », appel à projets urbains innovants sur 23 sites parisiens appartenant à la Ville de Paris ou à ses partenaires, faisait la part belle à la nature.

« Ses détracteurs le surnommaient "le concours des salades sur les toits" », se désole Marion Waller, directrice de cabinet adjointe de Jean-Louis Missika et philosophe de l'environnement qui en avait la charge. Mais les mentalités ont évolué depuis. « C'est l'avènement d'une nouvelle esthétique, de nouveaux standards architecturaux, pour une ville que certains qualifient de minérale », se réjouit-elle. Et Paris n'est pas seule dans cette aventure. Avec son Plan Canopée, Lyon entend faire passer les espaces ombragés de 12,5 % à 22 % de sa superficie, et Lille expérimente la végétalisation verticale.

Un bocage urbain

À l'instar du travail effectué par Pascale Dalix pour l'école primaire des sciences et de la biodiversité de Boulogne-Billancourt (92), les architectes recourent à de nouveaux types de construction et de matériaux accueillant des formes de végétalisation, même les plus modestes. La designer Élodie Stephan a pour sa part inventé, en association avec Icade, un aménagement paysager modulaire baptisé Bocage urbain, qui gère les eaux de ruissellement grâce à une synergie entre l'eau et le végétal reproduisant le principe du bocage. Mais le biomimétisme, c'est encore autre chose. Il s'agit de s'inspirer directement du vivant pour inventer des produits ou process plus efficaces, optimiser leur consommation de ressources et d'énergie et, in fine, accroître la qualité de vie des êtres humains et la résilience de leur environnement. Le principe n'a rien de nouveau, puisque Léonard de Vinci, qui y a recouru pour de multiples inventions (une armure-homard, un robot-fourmi et bien sûr une machine volante-oiseau) déclarait déjà il y a plus de cinq cents ans « Va prendre tes leçons dans la nature, c'est là qu'est notre futur. » Mais il a connu un retour en force à mesure que notre rapport à la nature évoluait, de la nature divine de l'Antiquité à la nature modèle d'aujourd'hui, en passant par la nature dominée, exploitée puis protégée [lire l'encadré].

Sobriété en énergie

En 1998, l'Américaine Janine M. Benyus fondait la Guilde du biomimétisme, puis en 2005 l'Institut de biomimétique, suite au succès de son ouvrage Biomimétisme. Quand la nature inspire des innovations durables (1). Car ce sont bien les vertus de sobriété en énergie et en matériaux, d'efficacité, de biodégradabilité et un recours prioritaire aux ressources locales qui font le succès de la bio-inspiration, notamment auprès des architectes, urbanistes et collectivités locales, et de Biomim'expo, le grand rendez-vous français du biomimétisme, dont l'édition 2019 a pour thème « Vivre la ville ».

Nicolas Vernoux, cofondateur du cabinet d'architecture In Situ, travaille avec des biologistes sur la ventilation passive des bâtiments inspirée des termitières ou encore sur la densité verticale d'immeubles construits à partir de briques d'algues. Leurs propriétés multirégulantes (acoustique, chaleur, lumière...) expliquent le succès des enveloppes de bâtiments inspirées de la nature.

Mais au-delà des constructions biomimétiques, c'est à l'organisation de la ville elle-même que les chercheurs tentent d'appliquer les principes du vivant, notamment la coordination et la fluidité au sein d'un banc de poissons ou d'un vol d'étourneaux. « Plutôt que des systèmes de commande hypercentralisés et vulnérables, ne devrions-nous pas privilégier les interactions avec nos plus proches voisins ? », s'interroge Jérôme Perrin, directeur scientifique de Renault. Au CNRS, certains chercheurs travaillent sur les protéines pour imaginer une circulation plus fluide dans les artères urbaines. Des travaux qui pourraient permettre d'orienter les rénovations à venir de façon à éliminer les goulots d'étranglement...

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ENCADRÉ

La nature, près de 4 milliards d'années de savoir-faire

Issu de 3,8 milliards d'années d'évolution, le vivant est une source inépuisable d'inspiration d'autant plus prisée à l'aune des principes du développement durable : économe en énergie et en matière, le vivant ne stocke pas de façon déraisonnable, s'approvisionne en circuits courts, recycle tout sans produire de déchets, privilégie la coopération au détriment de la compétition, est interconnecté, interdépendant et multifonctionnel, favorise la diversité et l'équilibre et s'adapte en permanence à son environnement. Avec de nombreuses applications dans l'énergie, la chimie, les matériaux, le recyclage, l'ergonomie, l'optimisation d'écosystème et de vie communautaire, c'est un modèle de résilience particulièrement inspirant pour les systèmes complexes tels que les villes. Le 22 octobre, la Cité des sciences et de l'industrie accueillera une exposition et des conférences dédiées à ces sujets. D.P.

(1) Aux Éditions Rue de L'Échiquier.

Dominique Pialot

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Commentaires 4
à écrit le 09/10/2019 à 10:52
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Y a plus simple, on emmène les villes à la campagne.

à écrit le 08/10/2019 à 13:18
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"Le sujet ne fait plus débat" : ah non effectivement, quand on voit la façon dont se développe l'urbanisme aujourd'hui, il est certain que le sujet n'a jamais fait débat ni chez la plupart des promoteurs, ni dans les Municipalités :-(( !!

à écrit le 08/10/2019 à 8:44
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Maintenant que l'on sait que la nature fait beaucoup mieux que l'homme en matière d'agriculture, la permaculture écrase l'agroindustrie, merci internet sinon jamais cette vérité n'aurait été diffusée, je pense qu'il est temps d'arrêter de faire confi...

le 09/10/2019 à 19:06
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« Les propriétaires de capitaux et d'outils de production »... Aujourd'hui, il s'agit bien souvent d'ordinateurs et de cerveaux, la rhétorique marxiste ne fonctionne plus, au grand dam de ses partisans. Tout le monde peut être capitaliste !

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