Le F-35, grandeur et décadence du programme militaire vedette américain

Par Michel Cabirol  |   |  1097  mots
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Le F-35 est aujourd'hui clairement en difficulté. Ce qui a réveillé et agacé les pays membres de ce programme piloté par l'américain Lockheed Martin. Une baisse des commandes pourrait mettre en danger le F-35.

Au début des années 2000, le F-35 de Lockheed Martin devait être l'Avion de combat du 21e siècle. Le F-35/JSF (Joint Strike Fighter), surnommé alors par des Américains arrogants Just a Single Fighter, devait inonder le marché mondial des avions de combat. Les Etats-Unis prévoyaient au total d'en fabriquer 6.000 exemplaires environ, dont une moitié destinée à des clients export pour un prix officiellement annoncé en 2002, compris entre 31 et 35 millions de dollars (en dollars 2002). En fait proche des 50 millions de dollars.

Cet appareil devait remiser tous ses rivaux dans les musées, Rafale compris. Et il avait également une mission officieuse : torpiller l?industrie aéronautique militaire européenne, notamment en France, seul pays à maîtriser l?ensemble des technologies pour développer et industrialiser un avion de combat, à l?exception de la Russie. "Pour mieux la vassaliser", rappelle un expert du ministère de la Défense. "Il faut bien savoir que les Américains souhaitent casser notre industrie de défense pour accroître leur domination mondiale, car nous sommes leur seul concurrent ", expliquait dans l?indifférence générale en mai 2002 Serge Dassault dans une interview accordée à "La Tribune".

Eliminer la concurrence européenne

A cette époque, le F-35 est d?ailleurs très près de réussir son objectif d?éliminer toute concurrence européenne... avec la complicité de plusieurs pays de la Vieille Europe. Fin 2002, la Grande-Bretagne, les Pays-Bas, l?Italie, le Danemark, la Norvège et la Turquie choisissent de monter en tant que partenaires dans le programme JSF? au détriment d?un choix européen (Rafale, Eurofighter ou Gripen de Saab). Lockheed Martin s?offrait alors à bon compte le marché de renouvellement des flottes d?avions de combat de ces pays ainsi que leurs ressources budgétaires en R&D.

Ce que regrettait en juillet 2004 dans "La Tribune" le PDG de Dassault Aviation, Charles Edelstenne : "Alors que les budgets européens ne sont pas très riches, les Américains ont réussi quand même à tirer des Européens près de 5 milliards de dollars (dont 2 milliards investis par les Britanniques via BAE Systems, ndlr) au titre de leur participation au développement de cet avion ». En contrepartie, les Etats-Unis avaient promis à ces pays de nombreux retours technologiques et industriels. Certains de ces pays les attendent encore? Selon la ministre britannique de l'Industrie de l?époque, Patricia Hewitt, le choix de Lockheed Martin par le Pentagone allait "dynamiser l'économie britannique, qui pourrait gagner 27 milliards de livres (plus de 43 milliards d'euros)". A confirmer...

L?arrivée du F-35 sur le marché, combiné au retrait des très nombreux F16 de l?US Air Force et revendus d?occasion, devait parachever l?effort américain d?éliminer la concurrence européenne. A cette époque, le ciel de la Vieille Europe est très encombré par les avions américains, avec de très nombreuses flottes de F16 fabriqués par Lockheed Martin (Belgique, Danemark, Norvège, Grèce, Pays-Bas, Portugal et Turquie) et de F18 de Boeing (Espagne, Finlande et Suisse).

Un échec technique, commercial et financier

Dix ans plus tard, le retour de boomerang fait mal financièrement aux pays européens membres du programme, dont certains sont exsangues et qui doivent aujourd?hui affronter une crise économique sans précédent pesant sur leurs finances publiques. Car dix ans plus tard, le programme du F-35, considéré comme une machine de guerre contre l?aéronautique militaire européenne, glisse lentement vers un échec commercial et se révèle être un gouffre financier, y compris pour les Etats-Unis.

"Le programme F-35 est en difficulté", confirme un expert du ministère de la Défense. La mise en service opérationnel de l?avion de combat américain dans la flotte de l?US Air Force est aujourd'hui programmée vers 2018 alors qu?elle était initialement prévue au deuxième trimestre 2011. A la fin de l'année dernière, seulement 20 % du programme d?essais en vol avaient été réalisés. Ce qui pourrait laisser augurer de nouvelles difficultés entraînant de nouveaux retards et de nouveaux surcoûts? compensée par une baisse des commandes par les clients mais qui augmenterait le coût unitaire de l?appareil.

Au niveau financier, le coût par appareil a plus que doublé pour atteindre 103 millions de dollars à prix constants (sans tenir compte de l'inflation) ou 113 millions de dollars courants, selon le Pentagone. Le coût du programme s'établit dorénavant à 385 milliards de dollars. Une dérive financière, qui a fini par réveiller et agacer les pays partenaires du programme ces derniers mois. C?est le cas du Canada, de l?Australie, de l?Italie et des Pays-Bas. Ces deux derniers ont même réduit leur commande.

Grosse polémique au Canada

Au Canada, un haut responsable du parlement canadien, le Directeur parlementaire du budget Kevin Page, a même accusé jeudi le gouvernement conservateur d'avoir trompé l'opinion publique sur les coûts réels du programme d'achat des avions de chasse F-35. Ses propos interviennent après la sortie d?un rapport dévastateur du Vérificateur général du Canada (Cour des comptes), qui a reproché en avril au ministère de la Défense de ne pas avoir "établi les coûts complets sur l'ensemble du cycle de vie" de l'appareil.

Ottawa a annoncé en juillet 2010 son intention d'acheter 65 F-35 pour remplacer sa flotte vieillissante de F-18, à un coût de 8,5 milliards de dollars canadiens (autant en dollars américains), 16 milliards si l'on compte des contrats d'entretien. Tant Kevin Page que le Vérificateur général Michael Ferguson ont cependant estimé que le coût véritable d'acquisition allait dépasser les 25 milliards de dollars.

Seuls points positifs, le F-35 a remporté sa première véritable compétition internationale au Japon face au F-18 (Boeing) et au Typhoon (consortium Eurofighter) en décembre 2011 (42 appareils). Les quatre premiers ne devraient être achetés qu?en 2014, date à laquelle Israël pourrait se décider pour 19 appareils. Enfin, l?US Air Force, le principal client, a jusqu?ici maintenu sa cible de 1.760 appareils contrairement l?US Navy, qui a décidé d?augmenter sa flotte de F-18 au détriment du F-35 en raison des graves problèmes de la version à décollage court et atterrissage vertical (version STOVL), qui pourrait être abandonnée d?ici à 2013. L'US Navy pourrait être suivie par l?US Marine si cette version est arrêtée.