Défense : la Russie sait-elle construire un porte-avions moderne ?

Par Emmanuel Grynszpan, à Moscou  |   |  461  mots
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Le projet de la marine russe de mettre en service en 2020 un porte-avion nucléaire apparaît de plus en plus compromis en raison de des graves lacunes technologiques constatées. Le bâtiment aurait déjà près de 40 ans de retard.

Le futur fleuron de la marine russe est-il déjà dépassé? C'est ce que laisse entendre une source au sein de l'Etat-major de la flotte militaire russe, qui a révélé au quotidien "Izvestia", que l'amirauté n'était pas satisfaite du projet de construction du futur porte-avion "basé sur les technologies des années 1980". Le projet est renvoyé à ses concepteurs, les bureaux d'étude CNII Krylov et PKB Nevsky. La Russie devait s'équiper d'un grand porte-avion nucléaire -son premier- de 60.000 tonnes de tirant d'eau... mais il s'avère qu'il est basé sur un vieux projet soviétique jamais réalisé (le Oulianovsk). Ce dernier était destiné à rivaliser avec les porte-avions américains de classe Nimitz (lancés en 1972).

Les Américains en sont déjà à la génération Gerald Ford, qui comporte une catapulte électromagnétique et peut accueillir un avion-radar. Des équipements que  l'Etat-major russe exige sur le futur porte-avion. Ce qui n'est pas le cas aujourd'hui dans le projet. Chez les concepteurs, ces critiques ont été accueillies avec stupeur ("la flotte se souvient enfin du projet") d'autant qu'ils se plaignent d'avoir reçu un cahier des charges trop imprécis en terme de gabarit et de capacités énergétiques.

La Russie sait-elle construire un porte-avions moderne

 Cette révélation survient avec l'arrivée d'un nouveau ministre de la Défense au début du mois de novembre. Moscou veut tripler sur budget de la défense pour moderniser ses forces mais les observateurs doutent des capacités du complexe militaro-industriel russe à rattraper son retard technologique ainsi que de la  volonté de lutter contre la corruption qui gangrène les contrats d'armement pour l'armée russe. Pour Konstantin Makienko, expert militaire au Centre d'Analyse Stratégiques et Technologiques, "non seulement la Russie n'a pas les technologies nécessaires, mais en plus elle n'a pas non plus les moyens de s'offrir un porte-avion digne de ce nom, complet avec une escadrille. Il s'agit d'un projet à 30 milliards d'euros. La Russie a besoin d'un porte-avions si elle veut être présente dans les océans, mais ce ne sera pas avant l'horion 2030".

Pour cet expert, le renvoi du projet est une information à prendre avec précaution : "de toute façon, ce projet n'en était qu'à ses balbutiements. La Russie utilise aujourd'hui un petit porte-avions, l'Amiral Kouznetsov, essentiellement pour conserver une compétence en terme d'appontage". Pour Pavel Felgenhauer, un autre expert militaire russe, tout aussi dubitatif, ce projet souffre surtout de lacunes technologiques : "la Russie n'a jamais été capable de construire un porte-avions digne de ce nom et la doctrine militaire a toujours concentré les efforts sur les sous-marins. Il n'existe aucun chantier naval russe, qui soit capable de concevoir ou de construire un porte-avions moderne.