Le Brésil reproche au Rafale son coût de maintenance élevé

Par Michel Cabirol  |   |  1113  mots
Le Rafale sur le porte-avions Charles-de-Gaulle Copyright Reuters
Les Brésiliens reprochent à l'avion de combat français des coûts de maintenance élevés par rapport à ses deux rivaux, le Gripen (Saab) et le F-18 (Boeing). Ce qui ne veut pas dire que le Rafale est hors jeu.

"Si le Brésil avait dû sélectionner un avion de combat à la fin de l'année dernière, le Rafale n'aurait pas été choisi", explique un très bon connaisseur du Brésil à "La Tribune". A relativiser néanmoins. L'avion de combat tricolore, fabriqué par Dassault Aviation, n'a pas échappé à un désastre commercial. Tout simplement parce qu'il n'y avait véritablement plus d'enjeu lors de la visite en décembre à Paris de la présidente du Brésil, Dilma Roussef. Contrairement aux nombreux articles de presse expliquant le contraire.

En novembre, Brasilia avait averti Paris du report de sa décision sur le choix du futur avion de combat devant équiper l'armée de l'air dans le cadre de l'appel d'offre F-X2, qui a été plusieurs fois prorogé. "Brasilia prendra sa décision en temps voulu", avait souligné début novembre le ministre brésilien de la Défense, Celso Amorim, lors d'une visite à Brasilia de son homologue français Jean-Yves Le Drian. Surtout, l'agence Reuters avait révélé fin septembre que le Brésil ne prendrait pas de décision avant mi-2013 au sujet du renouvellement de sa flotte d'avions de combat, un contrat évalué à au moins quatre milliards de dollars (3 milliards d'euros). Faute d'argent dans les caisses. "Nous avons repoussé le choix (...) et cela prendra un certain temps en fonction du temps que mettra l'économie brésilienne pour récupérer", avait déclaré Dilma Roussef lors d'une conférence de presse conjointe avec François Hollande. La présidente du Brésil qui privilégie dans la défense l'équipement de la marine pour protéger les ressources pétrolières brésiliennes, a d'autres priorités, notamment sociales.

Les clignotants à l'orange

Un mal pour un bien donc. Mais les clignotants sont à l'orange pour le Rafale. Ce qui ne veut pas dire non plus qu'il est hors jeu. Loin de là. Mais "l'offre française doit être mieux expliquée ou à défaut améliorée", explique-t-on à "la Tribune". Qu'est-ce qui cloche dans la proposition française ? Les coûts de maintenance et le coût de l'heure de vol du biréacteur tricolore jugés trop élevés font l'objet de critiques au Brésil, notamment dans l'armée de l'air... où il y a toutefois de nombreux partisans du Rafale. "C'est l'avion le plus avancé technologiquement, c'est le meilleur, souligne-t-on. Nous avons beaucoup de choses à apprendre d'une coopération avec Dassault Aviation". Mais par rapport au Gripen, un monoréacteur dont la dernière version n'existe pas mais qui avance des coûts délirants de l'heure de vol (4.500 euros), les Brésiliens considèrent que le coût de maintenance du Rafale reste élevé. "Tout le budget ira à la maintenance", entend-on au Brésil. Quant au F/A-18 Hornet (Boeing), l'autre rival du Rafale, il profite de taux euro/dollar pour être compétitif face à l'avion français.

"Pour entretenir un Rafale en permanence, nous avons besoin de sept ou huit mécaniciens, avait expliqué en début d'année dernière l'ancien chef d'état-major de l'air, le général Jean-Paul Palomeros. Pour certains de nos concurrents, c'est pratiquement le double. Le coût de maintenance de l'avion s'en trouve donc réduit. C'était un des critères essentiels retenus dans la conception de l'avion". Chez Dassault Aviation, on explique que le nombre de mécaniciens peut baisser jusqu'à quatre. Selon les spécialistes, le Rafale a un coût de 39.000 euros l'heure de vol (coûts 2006, avant utilisation des nouveaux moteurs M88-4E). Il devait, selon le ministère de la Défense, diminuer à 10.000 euros l'heure de vol pour les Rafale C et B, et à 7.000 euros pour le Rafale M en 2012. Est-ce donc un simple défaut d'explication ? Possible. "Les rivaux de Dassault Aviation ont semble-t-il beaucoup critiqué le dossier du Rafale sous cet angle-là, précise-t-on. Dassault doit mieux communiquer sur les coûts de maintenance et les coûts à l'heure de vol".

Le Rafale dispose de vrais atouts

Outre son avance technologique par rapport à ses deux rivaux, le Rafale est à nouveau porté par un environnement favorable entre la France et le Brésil. La visite à Paris de deux jours de Dilma Roussef a été très positive, et le contact avec François Hollande s'est bien passé. Brasilia garde une préférence géopolitique pour Paris, la solidarité entre puissances moyennes jouant pleinement. En outre, le Brésil se dit très satisfait de sa coopération avec la France dans le domaine naval. "Ce qui n'était pas gagné d'avance", explique-t-on à "La Tribune". Le groupe naval DCNS fait du bon boulot dans le cadre du contrat Prosub (vente de sous-marins) qui fonctionne bien. "Cela aide la France", note-t-on. Ce qui est un gage de sérieux pour le Rafale pour lequel d'importants transferts de technologies sont prévus. Et les négociations exclusives entre Dassault Aviation et l'Inde sont suivies à la loupe par une équipe brésilienne. Enfin, il existe une compatibilité entre le porte-avions brésilien (le Sao Paulo, l'ancien Foch) et le Charles-de-Gaulle. D'où l'attractivité du Rafale pour le Brésil, notamment de sa version marine qui pourrait intéresser fortement Brasilia si le Brésil se dote d'un nouvel porte-avions équipé de catapultes. Ce qui mettrait hors jeux le Gripen NG (Saab)... mais pas le F/A-18 Hornet (Boeing).

Des réticences doivent être encore surmontées. Outre le problème du coût de la maintenance du Rafale face à ses deux rivaux, Paris doit convaincre le principal industriel aéronautique brésilien, Embraer qui penche pour le Gripen. Tout comme les industriels de Sao paulo, tous séduits par le potentiel de développement de l'avion suédois. "Tout dépendra de la qualité du transfert de technologies imposé par les Etats-Unis, le Gripen faisant appel à de nombreux composants américains", explique-t-on à Paris. Mais "la relation avec Embraer est stratégiquement très importante", rappelle ce bon connaisseur du Brésil. Et les Français partent avec un handicap. "Embraer a été sous-estimé par les Français lorsqu'ils étaient actionnaires du groupe brésilien (20 % par Safran, Dassault Aviation, EADS et Thales, ndlr), explique-t-on. Il n'a pas été traité comme un vrai partenaire. les Brésiliens ont eu l'impression que les Français voulaient simplement contrôler Embraer pour mieux le maîtriser". Et de rappeler que Embraer est l'un des concurrents de Dassault Aviation dans l'aviation d'affaires. "En revanche, Boeing a été beaucoup plus un partenaire", précise-t-on. Les deux groupes ont signé un partenariat dans le cadre du programme brésilien d'avions de chasse léger, Super Tucano.