Défense : François Hollande ne baisse pas la garde face aux menaces pesant sur la France

Par Michel Cabirol  |   |  1492  mots
Le ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian Copyright Reuters
François Hollande a tranché. Entre de nécessaires économies et les menaces pesant sur la France, le Chef de l'Etat a choisi de maintenir le budget de la Défense tout au long de la prochaine Loi de programmation militaire (2014-1019) au niveau de celui de 2013. Soit plus de 30 milliards d'euros par an.

Entre contraintes budgétaires et menaces qui pèsent sur la France, François Hollande a été clair jeudi soir : la défense ne sera pas sacrifiée sur l'autel des économies."Nous dépenserons en 2014 exactement le même montant qu'en 2013. Comme nous avons été bien défendus en 2013, nous serons bien défendus en 2014, et ainsi ce sera la même somme qui sera affectée à l'outil de défense", a assuré le chef de l'Etat lors de son intervention télévisée sur France 2. Le président, à qui l'on demandait ensuite si ce serait le cas jusqu'à la fin de la LPM, en 2019, a simplement répondu : "oui". Fidèle à sa promesse de campagne, François Hollande, "chef de l'Etat, chef des armées", est resté ferme sur le maintien de la force de dissuasion nucléaire. "C'est notre garantie, c'est notre protection, il faut la conserver et même la moderniser", a-t-il souligné. "Enfin, on doit protéger notre territoire, parce que, ce qui est un fait hélas que je constate, c'est que les menaces augmentent et que les budgets militaires diminuent", a-t-il poursuivi. Le budget 2013, un budget de transition dans l'attente de la future LPM, s'élève, hors pensions, à 31,4 milliards d'euros. 

Pourtant ces derniers jours ça a bataillé dur, très dur... sur des détails qui devaient faire la différence dans les prochains budgets de la défense. Car les scénarios les plus noirs - la fameuse trajectoire (ou le modèle, c'est selon) Z - avaient été écartés vers la mi-mars. Et contrairement à ce qu'a dit jeudi le Premier ministre, Jean-Marc Ayrault, ils ont bien été étudiés et même très sérieusement. "Cessons de nous faire peur avec des scénarios catastrophe, qui n'ont jamais été sérieusement envisagés, en tout cas ni par le Président de la République, ni par moi-même, ni le ministre de la Défense", a-t-il lancé devant les sénateurs. Et pourtant, et pourtant... Bercy, soutenu par Matignon, voire les Affaires étrangères, était sur une position de coupes très dures pour le budget de la défense. Le ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian, avait quant à lui, trouvé un allié surprenant, en la personne du ministre de l'Industrie, Arnaud Montebourg, qui soutient fermement les investissements de l'Etat dans l'industrie de la défense. "Les industriels de la défense sont avant tout des industriels", rappelle-t-on au sein du ministère de la Défense. Enfin, le ministre de l'Economie, Pierre Moscovici, poussé par l'Agence des participations de l'Etat (APE), partageait les idées de Jean-Yves Le Drian. "Un euro investi dans la défense rapporte 1,6 euro à l'Etat", explique-t-on à La Tribune.

"Bercy a caché la copie jusqu'au dernier moment"

Des coupes faciles, estimaient alors Bercy et Matignon, qui passeraient inaperçues dans l'opinion publique. Les projets de Bercy allaient même au-delà de la fameuse trajectoire Z, qui déjà faisait tant peur dans les rangs des armées et chez les industriels de l'armement. C'est ce qu'a découvert au tout dernier moment le ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian, quand il a rencontré le 18 mars le ministre délégué chargé du Budget, Jérôme Cahuzac, quelques jours avant sa démission. Selon plusieurs sources concordantes, le rendez-vous s'est très mal passé entre les deux hommes car Bercy était vraiment prêt à casser l'outil de défense sur l'autel des économies budgétaires exigées par Matignon. "Bercy a caché la copie jusqu'au dernier moment", assure une source proche du dossier. Pourquoi ? Pour mieux surprendre l'Hôtel de Brienne, qui n'aurait pas eu le temps d'organiser un contre argumentaire. Car initialement un conseil de défense était prévu le lendemain de cettre rencontre, soit le 19 mars. Finalement pour des raisons d'agenda, il a été reporté au vendredi.

Le ministère de la Défense a gagné mais...

Aujourd'hui, tous les scénarios les plus noirs sont rangés dans les cartons de Bercy. Il n'en était plus question à l'Elysée, qui a d'ailleurs été très surpris tout comme Bercy par la virulence des articles de presse sur un éventuel démantèlement de l'outil de défense (militaire et industriel). Jean-Marc Ayrault a été le premier à siffler la fin de la partie jeudi dans la journée au Sénat même si les arbitrages restent à faire. Le modèle d'armée qui découlera des travaux du nouveau Livre Blanc de la défense "sera conforme aux ambitions de la France, en Europe et dans le monde", a-t-il déclaré lors de la séance des questions au Sénat. "Protéger notre territoire et la population française, préserver nos forces de dissuasion dans ses deux composantes, et assurer nos capacités d'intervention, seuls ou avec nos alliés", a-t-il énuméré. Du coup, la réduction du budget de la défense sera raisonnable, expliquaient plusieurs sources concordantes. Ce qui ne veut pas dire qu'elles seront indolores. Loin de là mais elles permettront de limiter la casse et de permettre de faire le gros dos aux militaires et aux industriels en attendant des jours meilleurs.

Bercy a donc perdu mais... peut encore gagner. Car au sein de la défense, on veut rester vigilant et rester sur le pont pour se mobiliser contre la prochaine guérilla budgétaire technique que va imposer Bercy à l'hôtel de Brienne. "Au-delà des intentions, il y aura les budgets votés. Et au-delà des budgets votés, il y aura les budgets réalisés (annulation de crédits en cours d'exercice...)", rappelle un très bon connaisseur de la défense. Et cela a d'ailleurs déjà commencé. Outre les futures économies que Bercy tente d'imposer à la défense en 2014 (1 milliard d'euros sur les 5 milliards demandés par Matignon), le budget tente de faire financer, selon des sources concordantes, le fonds de démantèlement des installations nucléaires militaires par le budget de la Défense. Ce qui n'était pas le cas jusqu'ici. Soit une dépense annuelle de 400 à 500 millions d'euros. Soit l'équivalent des ressources exceptionnelles qu'espèraient obtenir il y a peu Jean-Yves Le Drian. Enfin quid des reports de crédits qui s'élèvent à plus de trois milliards d'euros, selon nos informations ?

Un conseil de défense décisif le 10 avril

C'est donc le 10 avril, date du dernier conseil de défense, que la future doctrine de défense de la France sera validée par le président de la République... ou quelques jours plus tard s'il demande un délai de réflexion. L'Elysée devrait donc accorder plus de 30 milliards d'euros par an à la Défense, ou plus de 188 milliards d'euros (hors gendarmerie et pensions) sur la période de la future Loi de programmation militaire (LPM) 2014-2019, dont le projet de loi devrait être déposé à l'Assemblée nationale fin mai, début juin, selon nos informations. Soit beaucoup plus que la trajectoire Y (29 milliards d'euros) défendue par le ministre de la Défense plus un bonus de ressources exceptionnelles, dont l'essentiel pourrait venir de la cession de participations de l'Etat dans les groupes de défense. Jean-Yves Le Drian se battait pour 1 milliard d'euros supplémentaires par an. Mais avant l'intervention de François Hollande, la tendance, c'était plutôt 500 millions d'euros. Soit 3 milliards d'euros sur la période de la LPM. Avec 180 milliards sur six ans, les bureaux d'études de Nexter sont par exemple sauvés, expliquait-on à La Tribune. Avec cette somme, le groupe d'armement terrestre aurait été pourtant impacté par des diminutions d'activité avec d'inévitables conséquences sur l'emploi. "La casse est minimisée", assurait-il. Ce qui n'était pas le cas avec seulement 177 milliards d'euros (29 milliards par an).

Le ministère de la Défense en cessation de paiement en 2014 ?

Le ministère de la Défense avait également une très grosse inquiétude. Comment passer le cap de 2014 et 2015 ? Car avec 29 milliards et même 30 milliards l'année prochaine, le ministère de la Défense était en cessation de paiement dès 2014. L'Hôtel de Brienne, qui aurait été alors confronté à un problème de trésorerie, n'aurait plus été en mesure de payer les industriels au titre des contrats passés, qui auraient pu être cassés. Ce qui impliquait de lourdes pénalités à l'Etat. Au ministère, on militait pour disposer en 2014 et 2015 de ressources exceptionnelles bien au-delà des 500 millions prévus pour assurer le paiement des contrats déjà signés (Rafale, frégates Fremm, sous-marins barracuda, hélicoptères NH90...). "La défense est comme un grand navire lancé à 32 milliards d'euros : on ne peut pas réduire sa vitesse aussi rapidement qu'on le voudrait", avait expliqué à l'automne dernier le chef d'état-major des armées, l'amiral Guillaud.