Défense : "Je crains un repli sur soi des Européens au détriment des coopérations" (patron de l'OCCAR)

A l'occasion de son départ ce jeudi de l'Occar, qui gère une partie des programmes d'armement réalisés conjointement à plusieurs pays européens, Patrick Bellouard regrette la frilosité des Européens en matière de coopérations. Le directeur de l'Organisation conjointe de coopération en matière d'armement annonce la livraison du premier A400M fin mai, début juin à l'armée de l'air française.
Le directeur de l'Organisation conjointe de coopération en matière d'armement, Patrick Bellouard GILLES ROLLE/DGA COMM-REA

Avec la crise financière qui frappe durement l'Europe, les pays européens lancent de moins en moins de programmes, notamment en coopération. Quelle est votre analyse ?
Je suis fermement convaincu que les pays européens trouveront plus de solutions dans leurs programmes d'acquisition en lançant des programmes en coopération, surtout en période de crise. Malheureusement la coopération semble au contraire marquer le pas depuis quelques années. Les budgets de défense contraints n'offrent plus aucune flexibilité compte tenu des programmes déjà lancés et les pays européens, qui parent au plus pressé, préfèrent préserver le court terme. Je crains beaucoup un repli sur soi des nations européennes au détriment du long terme et donc de la coopération. Ces comportements risquent de conduire à de nouvelles duplications avec le lancement de programmes nationaux. Car chaque pays entend ainsi préserver ses capacités industrielles. Pourtant l'Europe dispose avec l'OCCAR d'un outil pour gérer ces projets en coopération. Depuis dix ans, nous avons livré un certain nombre de systèmes d'armes, qui sont actuellement en service sur plusieurs théâtres d'opérations extérieures. C'est le cas par exemple pour le blindé Boxer (déployé par l'Allemagne en Afghanistan) ou encore l'hélicoptère Tigre (déployé par la France en Afghanistan, Libye et Mali et déployé par l'Allemagne et bientôt l'Espagne en Afghanistan). Je regrette que l'A400M n'ait pas été prêt (il le sera dans quelques mois) pour l'opération Serval au Mali : il aurait été bien utile. L'OCCAR sait également préparer l'avenir en pouvant être un maître d'?uvre de programmes ou de démonstrateurs en étroite coopération avec l'Agence européenne de défense (AED).

L'OCCAR a-t-il augmenté son portefeuille de programmes ?
Pas vraiment si l'on regarde les montants financiers en jeu. Sur les 50 milliards d'euros d'investissements annuels des pays européens en matière d'armements, le montant annuel des programmes réalisés en coopération s'élève à environ 8 milliards d'euros. Soit moins de 20 %. Sur ces 8 milliards, l'OCCAR gère environ 3 milliards. Il n'y a pas eu de nouveaux grands programmes lancés ces dernières années. L'une des explications est que les grands pays sont engagés depuis dix ans dans la production de grands programmes lourds (Eurofighter et Rafale, hélicoptères Tigre et NH90, frégates Fremm, A400M...). C'est pour cela qu'il n'y a pas beaucoup de flexibilité dans les budgets actuels pour lancer des programmes nouveaux. Le programme Fremm, lancé en 2005, est le dernier des grands programmes lancés en coopération.

L'OCCAR n'a-t-il pas obtenu la gestion de programmes comme Musis ?
Le programme spatial Musis, qui est destiné à coordonner les échanges entre la France et l'Italie (voire d'autres pays dans un deuxième temps) pour les satellites d'observation, ne représente aujourd'hui que quelques millions d'euros. C'est un programme d'ampleur limité, du moins pour la première phase déjà lancée. L'OCCAR devrait aussi être prochainement responsable de la gestion du programme de démonstrateur franco-britannique de lutte contre les mines navales, qui sera plus important financièrement.

Quelles sont les carences que vous observez aujourd'hui dans les forces armées européennes ?
L'Europe semble avoir des difficultés à lancer des programmes de drones d'observation et de drones de combat, qui pourraient être deux marchés importants. Il y a des intérêts nationaux, qui rendent les discussions difficiles entre nations européennes. Au final, le risque c'est que certains pays achètent des systèmes d'armes sur étagère alors que l'Europe est globalement capable de lancer un programme fédérateur pour équiper les pays européens. Aujourd'hui, l'Europe n'a pas encore pris toute la mesure de ce que l'on peut faire avec les drones. Une fois que l'on aura réglé l'insertion des drones dans le trafic aérien civil, l'utilisation de ces systèmes sera accrue. L'OCCAR est prêt à agir rapidement si on lui confie un programme de drone en coopération.

Pourtant dans les drones de combat, la France et la Grande-Bretagne coopèrent...
... La France, en coopération avec d'autres nations, et la Grande-Bretagne ont d'abord lancé chacun un programme de démonstrateur de drone de combat. Il y a, c'est vrai, aujourd'hui des discussions entre la France et la Grande-Bretagne pour fédérer ces efforts. L'OCCAR est reconnu comme l'organisme de référence pour gérer un tel programme en commun entre la France et la Grande-Bretagne ainsi que d'autres partenaires éventuellement, mais l'OCCAR n'a pas encore été formellement impliqué dans les discussions. L'OCCAR est la meilleure garantie pour la gestion dans la transparence de ce programme.

Où en est le programme A400M ?
La prochaine étape, c'est la livraison du premier appareil fin mai, début juin 2013. Tout le monde s'est engagé sur ce calendrier. Le MSN007, qui doit être livré à l'armée de l'air française avec le premier standard opérationnel qualifié (IOC), volera pour la première fois en mars. L'avion livré aura 100 % de sa capacité logistique (32 tonnes). Nous serons en mesure de qualifier un nouveau standard de l'appareil tous les ans environ (5 standards, ndlr), jusqu'au standard définitif qui équipera tous les avions.

Et pour le soutien de cet appareil ?
Nous sommes engagés sur plusieurs fronts. Nous avons signé récemment un contrat de soutien initial portant sur une période de 18 mois pour les premiers appareils français. Nous devrions signer dans les prochains mois un contrat semblable pour le soutien des avions turcs. Au-delà, nous préparons le soutien en coopération des appareils franco-britanniques, en tenant compte progressivement de l'expérience acquise. J'ai bon espoir que les autres nations, qui n'ont pas encore fait connaître leurs besoins, rejoindront le schéma franco-britannique, un schéma souple permettant d'impliquer les industriels locaux. De façon plus générale, les nations clientes de l'A400M devraient signer un arrangement technique fin 2013. Cet accord permettra d'assurer une coopération sur le long terme et d'éviter que la configuration de l'avion diverge.

Il était question de confier à l'OCCAR la gestion chaotique de l'hélicoptère NH-90, géré par une agence de l'Otan, la NAHEMA. Où en est-on ?
Je pense que ce sujet va revenir à l'ordre du jour avec la réorganisation des agences de l'OTAN. Le transfert du programme vers l'OCCAR est la meilleure solution. On peut même imaginer la même chose, peut-être à plus long terme, pour le programme Eurofighter géré par une autre agence de l'OTAN, la NATO Eurofighter and Tornado Management Agency (NETMA). Pourquoi ? Parce que les principes établis par la convention créant l'OCCAR - tels que l'harmonisation des méthodes et outils de gestion des programmes, l'absence de juste retour géographique ou le recrutement des personnels uniquement sur la base des compétences - sont excellents, permettant une gestion plus efficace des programmes. Il est inutile de créer une nouvelle organisation copiant et dupliquant l'OCCAR. L'OCCAR crée l'Europe de la défense par la mise en place de projets (bottom up) mais il est vrai que, sur le plan institutionnel, cela prend beaucoup plus de temps.

Quel rôle justement doit jouer l'AED pour pousser les pays à coopérer ?
L'AED a vraiment un rôle à jouer. Elle doit susciter des discussions et jouer un rôle de catalyseur pour faire converger les décisions. Mais il faut l'aider, les nations doivent l'aider pour dégager des besoins communs en matière d'armement notamment. Un travail en commun important est à faire au niveau des états-majors. Il faut certainement une volonté politique en vue d'harmoniser les besoins, les calendriers des Etats en matière d'acquisition et, ensuite, trouver des solutions afin de pousser les Etats européens à coopérer. Une réflexion est à engager également au sein de l'AED sur des solutions financières destinées à faciliter la coopération. Par exemple, voir comment des Etats, qui n'ont pas besoin d'un matériel tout de suite, peuvent le financer plus tard. Mais d'une façon générale, on constate que les besoins militaires des nations sont souvent différents alors même que les menaces sont en grande partie les mêmes et que bon nombre de ces nations participent aux mêmes opérations. Les doctrines sont faites pour évoluer. En tant qu'OCCAR, nous sommes capables de fournir au moindre coût ce dont les forces armées auront besoin, et ce coût sera d'autant plus faible que les besoins exprimés seront communs.

On en revient toujours à la notion de souveraineté des pays en matière d'opérations militaires et de base industrielle...
Il y a pourtant de nombreux matériels à partager. Cela existe déjà pour l'utilisation des avions de transport dans le cadre de l'EATC. Cela ne pose plus de problèmes de disposer d'un pool d'avions de transport au niveau européen. Mais le « pooling and sharing » doit aussi s'appliquer aux industriels. Pourquoi avons-nous autant d'entreprises qui développent et fabriquent des blindés ou même des navires pour les marines en Europe ? Dans l'aéronautique civile, la création d'Airbus a de facto établi une spécialisation, sur laquelle s'est appuyé l'A400M. Il est vrai qu'il est plus difficile de pratiquer le « pooling and sharing » pour les matériels de combat, compte tenu des contraintes. Mais au fur et à mesure que les politiques européennes en matière de défense progresseront, pourquoi ne pas essayer de mettre en ?uvre des initiatives avec un noyau de pays ? C'est bien le cas pour l'EATC (Allemagne, France, pays du Benelux..), qui a vocation à s'étendre.

La coopération entre l'AED et l'OCCAR reste limitée...
Les résultats concrets sont encore limités, mais la volonté de coopération est bien solide. Nous avons un programme phare et nous travaillons ensemble pour le réaliser : le « pooling and sharing » en matière de ravitaillement en vol. Il y a deux volets intéressant l'OCCAR : les kits de ravitaillement de l'A400M (il y a des pays non A400M qui pourraient s'équiper) et le programme d'acquisition en coopération de MRTT (avions de ravitaillement en vol, transport...). Dans les deux cas nous considérons que la bonne solution est de passer par l'OCCAR et l'OCCAR est prêt à répondre aux sollicitations des nations.

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Commentaires 5
à écrit le 01/03/2013 à 7:05
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Cher Monsieur, Je me féliciterais toujours lorsque les programmes d'armement seront squeezés. Quels justifications à des crédits qui servent à fomenter des coups pour faire main basse, comme au Mali, sur les ressources du pays - sans aucun profit pou...

à écrit le 01/03/2013 à 4:20
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L'A400M c'est bien, mais il arrive en retard, et de plus, il ne compense pas notre dépendance aux gros porteurs américains et russes loués.

à écrit le 28/02/2013 à 23:36
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Nos politiciens seraient contre une réduction de la facture énergétique militaire par la multiplication des drones de reconnaissance ou de combat? Encore un lobbying de Total?

à écrit le 28/02/2013 à 10:37
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On ne coopère que sous pression extèrieure mais pour l'instant la pression est intérieure! Comme toujours, on confond un but (dogmatique) et un moyen (pragmatique)!

à écrit le 28/02/2013 à 9:01
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Je ne crois pas que les Européens, dans leur majorité, sont contre une coopération, ce sont plutôt les hommes politiques, dans tous les pays, pour leur "carrière" personnelle, pour être réélu etc. sabotent la coopération. Il suffit d'écouter ce qu'il...

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