Défense : les quatre leçons de la bataille budgétaire remportée par Jean-Yves Le Drian

Par Michel Cabirol  |   |  1220  mots
A l'occasion de la bataille budgétaire entre Bercy et le ministère de la Défense, la Grande Muette s'est mobilisée face aux nouvelles coupes exigées par Bercy. /Reuters
De la bataille budgétaire entre Bercy et le ministère de la Défense, il faudra retenir quatre leçons, dont la fronde incroyable des quatre chefs d'états-majors prêts à raccrocher leur uniforme en cas de nouvelles coupes dans leur budget.

S'il y avait une seule leçon à retenir de la bataille budgétaire brutale entre Bercy et le ministère de la Défense, c'est bien la "révolte" des quatre chefs d'états-majors (Armées ainsi que Terre, Air et Mer), qui ont menacé de démissionner à la mi-mai si le budget de la loi de programmation militaire (LPM) étaient encore diminué. Ils estimaient alors qu'une nouvelle baisse des crédits remettait en cause les arbitrages formalisés en 2013 dans un Livre blanc et la LPM votée par le Parlement en décembre 2013, il y a moins de six mois. Le blog "Secret défense" raconte très bien cet incroyable mouvement d'humeur des quatre chefs d'états-majors : les généraux Pierre de Villiers (chef d'état-major des armées), Denis Mercier (air), Bertrand Ract-Madoux (terre) et l'amiral Bernard Rogel. 

1/ Des coupes budgétaires plus compliquées à réaliser

Bercy, soutenu dans un premier temps par Matignon, devra donc y regarder à deux fois avant de vouloir à nouveau "tondre" les militaires, qui jusqu'ici avaient accepté (trop ?) facilement toutes les coupes budgétaires imposées au ministère de la Défense. Trop bons élèves comme certains haut gradés militaires le pensaient mais sans avoir imaginé un jour franchir le pas en allant guerroyer face aux responsables politiques. A l'inverse des gendarmes qui, eux, étaient descendus dans la rue lors de l'hiver 2001 pour demander des revalorisations de salaires et de meilleures conditions de vie des personnels. Ils avaient alors fait plier le gouvernement Jospin après de nombreuses manifestations, qui avaient sidéré les Français en général, et les politiques en particulier.

Bref pas question de courber l'échine une nouvelle fois face au blitzkrieg de Bercy sans tenter un coup qu'il sera certainement difficile de rééditer. D'autant que le budget comme l'a dit notamment à juste raison Alain Juppé, est à l'os et de nouvelles coupes obligeraient la défense à repenser ses missions à la baisse. Un coup salutaire qui a inquiété au plus haut niveau de l'Etat et a semble-t-il ressoudé toute la communauté militaire. Car les chefs d'états-majors, qui s'étaient engagés devant leurs troupes au strict respect d'une LPM déjà à minima, se sont réconciliés avec la base et ont retrouvé une légitimité très écornée ces dernières années. Et des observateurs estiment qu'ils ont paradoxalement gagné le respect du ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian, et du crédit.... auprès du président de la République, chef des armées.

2/ Sans budget de la défense, les industriels tentés de partir

C'est clair et net. Les groupes de défense pour la plupart duals (militaires et civils) mettront les voiles à l'étranger si l'Etat réduit une nouvelle fois le budget de la défense, la variable d'ajustement des gouvernements de droite comme de gauche. Ce serait la coupe de trop. "Les entreprises duales seraient contraintes d'en tirer les conséquences et accélèreraient leur mutation en privilégiant les activités civiles. Elles seraient alors soumises aux seules contraintes concurrentielles mondiales (parité euros/dollar, coût du travail, fiscalité...) qui placeront l'équation nationale au second plan", ont écrit au président de la République les PDG des sept plus grands groupes de défense français (Airbus Group, Safran, Thales, Dassault Aviation, DCNS, Nexter et MBDA).

C'est d'ailleurs déjà le cas avec la réduction constante des budgets de défense en Europe. Cette industrie devient de plus en plus civile, avait expliqué le président du GIFAS, Marwan Lahoud lors de la présentation fin avril du bilan du Groupement des industries françaises aéronautiques et spatiales (GIFAS). Ainsi les commandes civiles ont représenté 83 % des commandes du secteur en 2013.

Quelles seraient conséquences d'une telle réduction si elle était confirmée ? Elle aurait selon ces sept PDG des conséquences en termes de "licenciement, de décrochage technologique, de perte de compétitivité et de souveraineté, de déclassement et de désindustrialisation". Et d'estimer que "de nombreux fournisseurs, ETI et PME, n'y survivraient pas. Les entreprises tournées vers les seuls marchés de défense seraient, pour leur part, victimes d'une anémie, qui rapidement ne leur laissera d'autre alternative que de passer sous la coupe de sociétés étrangères ou de disparaître".

3/ Jean-Yves Le Drian tient toujours sa "boutique"

Le ministre de la Défense tient bien sa boutique. C'est une garantie forte pour les militaires de se protéger contre Bercy. Mais après lui qu'adviendra-t-il ? Pour les militaires et les industriels, c'est simple : un bon ministre de la Défense est un ministre qui obtient un bon budget. Avec Jean-Yves Le Drian, c'est un peu plus compliqué. Le ministre a obtenu grâce aux arbitrages de François Hollande la moins mauvaise enveloppe budgétaire de la défense dans le cadre de la loi de programmation militaire (LPM) 2014-2019.

Et il est sorti vainqueur de son dernier duel en mai contre Bercy et Matignon, qui voulaient à nouveau tondre le budget de la défense. C'est pour cela qu'il est soutenu par les militaires et les industriels. Cet épisode a certainement un coût pour le ministre en termes de positionnement vis-à-vis du président, dont il est un très proche (mais au même titre que Michel Sapin, ministre de l'Economie) et du Premier ministre, dont il a aidé sa nomination à Matignon, mais Jean-Yves Le Drian en sort plutôt renforcé. Mais jusqu'à quand pourra-t-il résister à la pression de Bercy, qui ne renoncera jamais ? Au-delà des questions budgétaires, les succès opérationnels au Mali - même si c'est plus plus difficile en Centrafrique mais le format des armées a ses limites - et les succès commerciaux à l'exportation ont renforcé la légitimité d'un ministre méconnu à son arrivée à l'Hôtel de Brienne.

4/ Le front uni des parlementaires

"S'il y a une leçon à retenir de cet épisode, c'est qu'il ne faut jamais enlever le casque de combat avec Bercy", explique un député PS qui n'a pas été surpris par l'initiative de Bercy mais plutôt par le timing. Très clairement, personne ne s'attendait à une telle opération six mois seulement après avoir voté la LPM au Parlement. Et finalement Bercy a réussi la gageure de souder l'ensemble des parlementaires (Assemblée nationale et Sénat) spécialistes des questions de défense de gauche comme de droite, qui se sont mobilisés et ont usé de leur influence pour faire reculer Michel Sapin et Manuel Valls. Matignon, puis Bercy ont dû faire machine arrière. Une fraternisation étonnante face à un adversaire commun, Bercy. 

Cette fronde parlementaire n'est pas passée inaperçue face à l'inconséquence de Bercy de vouloir réduire le budget de la défense, et au-delà de déclasser la France sur l'échiquier international. "La certitude de défendre une cause juste et utile à la France tout en comprenant les difficultés du contexte a effacé les clivages, les rivalités, les corporatismes", note un observateur. Et tout le monde est prêt à se mobiliser à nouveau face à la prochaine attaque de Bercy.