Espionnage : des failles dans la cyberdéfense made in France

Par Michel Cabirol  |   |  857  mots
"Les capacités françaises de cyberdéfense doivent être construites en intégrant des éléments produits à l'étranger, souvent susceptibles d'être piégés", constate le rapport parlementaire
Les dépendances technologiques de la France à des équipements asiatiques et américains la rendent vulnérable à des risques résiduels d'espionnage, selon un rapport parlementaire.

La menace d'espionnage plane en France, y compris en matière de cyberdéfense. Et elle n'est pas prête à être combattue de façon efficace. Pourquoi ? "La consolidation d'une capacité crédible de cyberdéfense française se heurte à un obstacle difficile à réduire : la dépendance technologique de l'industrie française à des équipements et des standards asiatiques ou américains, qui s'imposent parfois comme des monopoles technologiques de fait", explique un rapport parlementaire à paraître sur le contrôle de l'exécution des crédits de la défense pour l'exercice 2013,

Les deux auteurs d'un rapport, Geneviève Gosselin-Fleury (SRC, Manche) et Philippe Vitel (UMP, Var), précisent que pour certains équipements, comme les routeurs - outil logiciel ou matériel informatique servant à diriger des données informatiques à travers un réseau, ou interface entre deux réseaux utilisant des protocoles différents - ou les services de cloud computing (stockage de serveurs informatiques), "les industriels français ont souvent perdu la masse critique nécessaire, voire les capacités technologiqes requises". Dans ces domaines, la demande souveraine française ne suffit pas pour constituer un marché de produits et de services à coûts raisonnables.

Des produits étrangers susceptibles d'être piégés

Interrogé par les deux auteurs du rapport, le responsable du pôle sécurité des systèmes d'information de la direction générale de l'armement (DGA), l'ingénieur en chef d'armement Frédéric Valette, estime que "les capacités françaises de cyberdéfense doivent être construites en intégrant des éléments produits à l'étranger, souvent susceptibles d'être piégés". Et ce dernier juge que l'enjeu réside dans la construction d'une architecture de sécurisation des données autour de ces composants. Des solutions palliatives qui ne sont d'ailleurs pas suffisantes. Car, affirment Geneviève Gosselin-Fleury et Philippe Vitel, "il n'en demeure pas moins parfois, admet-il (Frédéric Valette, ndlr) un risque résiduel d'espionnage".

Du coup, les services chargés de la cybersécurité sont "contraints d'accepter certains retards technologiques", explique le rapport. C'est le cas du téléphone TEOREM, fabriqué par Thales. "Ses fonctionnalités sont très rustiques comparées à celles des smartphones actuels, mais faute d'offre industrielle nationale en la matière, il n'est pas possible pour l'heure de fournir aux forces armées et aux services de l'Etat d'autre équipement de téléphonie de très haut niveau de sécurité", regrettent-ils.

A l'Etat d'orienter les efforts de recherche

Pour les auteurs, il est "particulièrement important que l'Etat puisse orienter les efforts des industriels français, notamment par les programmes de recherche et technologie dont la loi de programmation militaire (LPM) pour les années 2014 à 2019 a fait une priorité". Au total, la LPM consacre près de 1 milliard d'euros sur la période. L'effort financier consenti par le ministère de la Défense a permis, selon les termes de l'officier général en charge de la cyberdéfense au sein de l'état-major des armées, le contre-amiral Arnaud Coustillière, de "changer d'échelle" et d'être "véritablement à la mesure du défi cyber". En outre, entre 2014 et 2019, les effectifs dédiés à la cyberdéfense seront en augmentation de 30 % au sein de l'état-major et de la DGA. Soit 350 postes supplémentaires.

Après avoir raté le coche des routeurs, les industriels français pourront encore prendre des parts de marché sur des marchés qui sont encore qu'émergents. "L'enjeu est d'autant plus important que l'on observe une sorte de course au cyberespace qui voit notamment les Américains investir massivement dans le secteur, en achetant parfois très cher des entreprises qui développent des technologies identifiées comme particulièrement sensibles à l'horizon d'une diezaine d'années", constate le rapport.

Une exécution budgétaire satisfaisante

 Selon Frédéric Valette et le contre-amiral Arnaud Coustillière, les réalisations budgétaires pour 2013et pour 2014 étaient tout à fait "satisfaisantes", au regard des besoins de leurs services et de la programmation. Ainsi les crédits ouverts en 2013 et en 2014 pour le programme à effet majeur SSI-Cyber (440 millions d'euros sur la période 2014-2020) ont permis "un effort signficatif de développement d'équipements de cyberprotection destinés à protéger les réseaux informatiques à protéger les réseaux informatiques - ainsi que les réseaux de communications téléphoniques - et à mettre sous surveillance certains systèmes existants afin que le Centre d'analyse en lutte informatique défense (CALID) soit en mesure de superviser dès à présent l'ensemble des systèmes informatiques les plus importants du ministère de la Défense".

En 2013, les engagements ont atteint un niveau de l'ordre de 15 millions d'euros, avec le lancement de la conception de chiffreurs de très haut niveau de sécurité et des évolutions du téléphone TEOREM, qui permet de protéger des communications de niveau secret défense. La DGA a en outre consacré 24 millions d'euros en 2013 à des projets innovants. Cette enveloppe va servir à définir des architectures sécurisées pour les plateformes navales de demain.