La Russie pilonne des cibles à 2 minutes de vol de la Pologne, mais "l'Ukraine n'a pas besoin d'avions de chasse" analyse Washington

Par Jérôme Cristiani  |   |  1186  mots
Deux Mig-29 de l'armée ukrainienne, appartenant à la base militaire de Vassylkiv, dans la région de Kiev, photographiés en 2016. (Crédits : Reuters)
Alors que les chars russes sont aux portes de Kiev et que les forces russes poursuivent leur offensive sur de nombreuses autres villes ukrainiennes, Washington a surpris, hier soir, en affirmant que l'Ukraine n'avait pas vraiment besoin d'avions de combat pour contrer les attaques russes. D'autant plus surpris que, ce matin, la chasse aérienne russe a détruit deux cibles à 2 min de vol de la Pologne.

C'est la suite de la valse hésitation des Occidentaux sur la question de livrer ou non  des avions de chasse à l'Ukraine, livraison réclamée à cor et à cri par son président Volodymyr Zelensky et son ministre des Affaires étrangères Dmytro Kuleba pour contrer l'aviation russe qui pilonne leur pays.

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Alors que, poursuivant leur manœuvre d'encerclement, les chars russes sont aujourd'hui aux portes nord-est de Kiev et que les forces russes, selon l'état-major ukrainien, poursuivent leur offensive sur de nombreux autres fronts (dans l'est, les villes d'Izioum, de Petrovske, de Hrouchouvakha, de Soumy et d'Okhtyrka ou dans les régions de Donetsk et de Zaparojie), Washington a surpris, hier soir, en affirmant que l'Ukraine n'avait pas vraiment besoin d'avions de combat pour contrer les attaques russes.

Les États-Unis accusés de laisser tomber l'Ukraine

Les États-Unis qui, dimanche 6 mars déclaraient qu'ils "travaillaient activement" sur le sujet, avaient finalement décidé mercredi dernier qu'ils ne pouvaient pas envoyer de MIG-29 à l'Ukraine via la Pologne, ceci afin d'éviter d'engager tous les pays de l'Otan dans une confrontation directe avec la Russie, laquelle avait clairement annoncé la couleur en cas d'intervention armée des Occidentaux dans le ciel ou au sol. Pour mémoire, la Pologne était tout d'abord réticente à l'envoi d'une aide militaire de cette nature depuis son territoire, et c'est lorsqu'elle finit par soutenir cette solution -risquée pour elle- que les États-Unis font marche arrière.

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Et c'est exactement ce que craignait le président ukrainien Volodymy Zelensky quand, mardi 8 mars, il reprochait aux Occidentaux leur réticence à livrer des avions de combat à l'Ukraine et à imposer une zone d'exclusion aérienne au-dessus de l'Ukraine, alors même que les Russes venaient de détruire l'aéroport de la ville de Vinnytsia, à quelque 200 kilomètres au sud-ouest de Kiev:

« Nous le répétons chaque jour : fermez le ciel au-dessus de l'Ukraine, fermez-le aux missiles russes, à l'aviation russe de combat, à tous ces terroristes », avait-t-il lancé.

Avant de préciser :

« Si vous ne le faites pas, si vous ne nous donnez pas au moins des avions pour que nous puissions nous protéger, on ne peut en tirer qu'une seule conclusion : vous aussi, vous voulez qu'on nous tue lentement ! »

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L'analyse tactique des États-Unis: pas besoin d'avions de chasse...

Hier soir, Washington a invoqué un autre argument pour justifier son refus de fournir des avions - et lui donner moins l'apparence d'une reculade face à la Russie. Cette nouvelle justification se présente désormais sous la forme d'une analyse tactiquement plus fine de la situation militaire des Ukrainiens selon laquelle le problème numéro un des Ukrainiens ne serait pas le manque d'avions de chasse.

Pour avancer un tel argument, alors que depuis 14 jours, on ne parle que de la terreur que font régner les forces armées russes sur le territoire ukrainien dont elles dominent entièrement l'espace aérien, Washington s'appuie sur le constat que les destructions sont beaucoup moins dues à des avions de chasse qu'à des tirs de missiles de croisière et à des tirs d'artillerie, notamment de roquettes.

"Les avions, ce n'est pas ce dont nos partenaires ukrainiens ont principalement besoin en ce moment", a déclaré le porte-parole de la diplomatie américaine Ned Price devant la presse.

Il expliquait l'analyse de la situation militaire ukrainienne en ces termes :

« Quand on analyse la destruction semée par le Kremlin sur des régions d'Ukraine, c'est essentiellement dû à des missiles », « à des roquettes», « à des tirs d'artillerie» (...) « Les avions ne sont pas les mieux placés pour éliminer ces armes.»

... mais de plus de systèmes de défense sol-air (Stinger...)

Selon le porte-parole de la diplomatie américaine Ned Price, l'armée ukrainienne dispose d'ailleurs encore de « plusieurs escadrons d'avions » en état de voler - mais il ne dit  pistes en état pour que lesdits avions puissent décoller...

Mais il a ajouté que « l'efficacité » de la flotte aérienne russe avait été «  limitée par les systèmes de défense aérienne au sol » , qu'il s'agisse de « missiles sol-air » ou de systèmes portatifs - comme les Stinger, ces lance-missiles sol-air américain à courte portée utilisé pour atteindre les hélicoptères ou les avions de combat à basse altitude, fournis par les Américains.

"Nous allons continuer à fournir à nos partenaires ukrainiens des systèmes sol-air", et "nous allons peut-être pouvoir en fournir encore davantage", a-t-il dit.

La position byzantine de Washington

Toutefois, si les Etats-Unis ont "définitivement" rejeté mercredi la proposition de la Pologne de livrer à l'armée américaine ses avions Mig-29, la porte à cette solution n'est pas totalement fermée par Washington, qui dans une nouvelle déclaration byzantine, n'a pas totalement exclu qu'un pays de l'Otan puisse livrer des avions de chasse à Kiev, mais cela relèverait de sa « décision souveraine », a souligné Ned Price, laissant entendre que les Etats-Unis n'y seraient pas "ouvertement favorables".

Le porte-parole de la diplomatie des États-Unis a rappelé que le renseignement américain avait mis en garde contre le transfert d'avions depuis des pays de l'Alliance atlantique à l'Ukraine, car cela serait pourrait être considéré comme "une escalade" par le président russe Vladimir Poutine, avec le risque d'aboutir à une confrontation directe entre l'Otan et la Russie.

L'aviation russe détruit des cibles à 2 minutes de vol de la Pologne

Mais comment l'Otan va-t-il réagir alors que les forces aériennes russes viennent de pilonner des cibles à relative proximité de la Pologne?

Ce vendredi, l'aviation russe a en effet détruit deux aérodromes militaires ukrainiens, celui de Loutsk (dans l'ouest de l'Ukraine, à seulement 87 km de la frontière avec la Pologne) et celui et d'Ivano-Frankivsk (toujours dans l'ouest de l'Ukraine mais 250 km plus au sud).

Pour rappeler les ordres de grandeur - de vitesse en l'occurrence -, un rapide calcul permet de comprendre qu'un avion de chasse volant à 2.600 km/h (ou Mach 2,45, la vitesse de pointe d'un Soukhoï Su-57) n'a besoin que de 2 minutes pour parcourir une distance de 87 km (3.600 sec : 2.600 km x 87 km = 120, 46 secondes).

Ces deux attaques ont été explicitement revendiquées par le porte-parole du ministère russe de la Défense, Igor Konachenkov, qui a annoncé ce matin que « les aérodromes militaires de Lutsk et d'Ivano-Frankivsk (ouest), ont été mis hors service ».

Côté ukrainien, la destruction du site militaire de Loutsk a été confirmée, via la messagerie Telegram, par le responsable de l'administration régionale de Volhynie, Youriy Pohuliayko:

« À 05h45 (03h45 GMT), quatre roquettes ont été tirées, selon nos informations, par un bombardier de l'armée russe sur la base aérienne de Loutsk », a-t-il indiqué, précisant le bilan humain: « deux militaires tués et six blessés ».

(avec AFP et Reuters)