Le successeur de l’A380 sera-t-il une aile volante ?

Par Fabrice Gliszczynski  |   |  844  mots
Aux États-Unis, en Europe, l'intérêt pour ce concept ne dément pas. En France, après avoir mené en 2013 une étude prospective mettant en avant le potentiel de l'aile volante, l'Onera, le centre français de recherche aérospatiale, travaille sur ce concept qui pourrait voir le jour à l'horizon 2050 sur le créneau du transport aérien de masse.

Alors qu'Airbus s'est donné du temps pour plancher sur l'avenir de l'A380, son successeur peut-il être à l'horizon 2050 une aile volante ? L'idée qui peut paraître farfelue pour le grand public n'est pas du tout exclue par les chercheurs.

Un intérêt certain

En effet, la configuration dite "tube-and-wings", sur laquelle reposent tous les avions depuis le Boeing 707 à la fin des années 50 étant quasiment allée jusqu'au bout en terme de formule aérodynamique, les chercheurs estiment que seules de nouvelles configurations permettront de nouveaux sauts technologiques dans ce domaine. Et parmi les nouvelles architectures évoquées, le concept d'aile volante suscite un intérêt certain, notamment pour le transport de masse.

Il fait en effet l'objet d'études et de recherches soutenues aux États-Unis, en Europe et en France en particulier, où l'Onera, le centre français de recherche aérospatiale, poursuit de front des recherches sur plusieurs concepts d'ailes volantes.

"Nous avons commencé par une étude prospective au terme de laquelle le concept d'aile volante est apparu intéressant pour du transport de masse en particulier", expliquait récemment Antoine Guigon, directeur du centre de prospective aérospatiale à l'Onera, lors d'une rencontre avec des membres de l'AJPAE (l'association des journalistes professionnels de l'aéronautique et de l'espace).

Réalisée en 2013, cette étude a non seulement  permis d'analyser  le champ des possibles en termes de solutions technologiques, mais aussi d'identifier les points durs et d'évaluer le potentiel et les performances du concept.

Transporter 400 passagers sur 8.000 miles nautiques à mach 0,85

Mais, l'évaluation des performances étant entachée d'incertitudes très critiques qui jetaient un doute sur son intérêt véritable, l'Onera est passée à la vitesse supérieure. En janvier 2015, l'Onera a lancé un projet de recherche d'une durée de 4 ans, CICAV (conception intégrée d'une configuration d'aile volante), dans lequel il s'est notamment intéressé à un concept d'aile volante de type BWB, (blended wing body), un aéronef disposant d'une forme évolutive (ce n'est pas un boomerang), capable de transporter près de 400 passagers sur une distance de 8.000 miles nautiques à une vitesse de mach 0,85).  Le tout avec une taille et une forme respectant un carré de 80m2 (comme pour l'A380) permettant d'éviter des modifications des infrastructures aéroportuaires. Airbus garde un œil très attentif à ces travaux notamment pour tout ce qui touche les domaines des formules aérodynamiques et de motorisation.

"Ce qui nous intéresse dans ce projet, c'est d'évaluer un certain nombre de technologies clés que sont les architectures structurales, propulsives, le contrôle de l'avion, et la problématique acoustique", expliquait Antoine Guigon.

La tenue structurale de l'avion est cruciale. Elle passe par le renforcement de la structure pour assurer la pressurisation de l'avion. Une telle configuration semble rendre nécessaire une propulsion répartie sur l'ensemble de la structure avec des moteurs enterrés dans la cellule "pour accroître l'efficacité aérodynamique en créant un effet de succion ou de soufflage de l'écoulement autour de l'aile, augmentant ainsi la sustentation". Par ailleurs, l'enfouissement des moteurs devrait également permettre de réduire les émissions sonores.

 Intégration des couplages interdisciplinaires

"La problématique dominante du concept d'aile volante est que les disciplines (aérodynamique, propulsion, structure, contrôle, acoustique...) y sont étroitement couplées du fait de la configuration intégrée cabine-aile, de l'intégration motrice (jusqu'à moteurs enfouis), de la disparition de certaines surfaces de contrôle (dérive). Par conséquent, l'évaluation des performances impose de prendre en compte beaucoup plus d'interactions disciplinaires que pour les "tube-and-wings" classiques.

De surcroît, l'aile volante étant un concept de rupture, personne n'a encore suffisamment de recul pour extrapoler les acquis comme on sait le faire sur un concept classique. C'est pourquoi l'Onera s'attache à étudier ces interactions et à développer des méthodes et outils spécifiques qui permettent d'intégrer ces interactions très tôt dans un processus de conception. C'est nécessairement beaucoup plus complexe que pour un concept classique", fait valoir Antoine Guigon.

La Chine tirera-t-elle la première?

Changer de configuration nécessite des investissements très lourds. Et Airbus et Boeing se regardent en chiens de faïence pour voir qui franchira le pas le premier vers une nouvelle configuration.

"Les Américains s'intéressent énormément à l'aile volante", constate Antoine Guigon, qui cite plusieurs projets comme le démonstrateur X48C de Boeing, l'aile volante de Lockheed Martin pour le transport de troupes et le ravitaillement en vol, ou encore le projet de bombardier furtif de Northrop Grumman.

Mais, la Chine pourrait très bien être la première à tirer. Ayant plusieurs trains de retard dans l'aéronautique classique, elle pourrait en effet être tentée de vouloir prendre le leadership sur les avions de demain. Auquel cas, "il faudrait être capable de pouvoir répondre", explique Antoine Guigon.

Si d'une manière générale l'Onera travaille beaucoup sur l'automatisation du transport aérien, ses travaux sur l'aile volante n'excluent pas les pilotes des cockpits.