Pourquoi la France ne signera pas le traité d'interdiction des armes nucléaires de l'ONU

Par Michel Cabirol  |   |  1197  mots
Ces dernières semaines, la France a montré son attachement à la dissuasion nucléaire à l'image du rapport sénatorial sur "la nécessaire modernisation de la dissuasion nucléaire", et surtout du discours du président de la République qui a réaffirmé lors du Congrès de Versailles que la dissuasion nucléaire était "la clé de voûte de la sécurité en France".
La France estime que le traité d'interdiction des armes nucléaires adopté aux Nations unies est un "texte inadapté au contexte sécuritaire international, caractérisé par des tensions croissantes et la prolifération des armes de destruction massive, dont témoigne notamment la menace nucléaire nord-coréenne".

C'est non. La France ne signera pas le traité d'interdiction des armes nucléaires adopté aux Nations unies le 7 juillet à New York. Un traité d'interdiction des armes nucléaires a été adopté vendredi aux Nations unies après des mois de discussions mais le texte a été  boycotté par les États-Unis, la France ou le Royaume-Uni, puissances nucléaires, qui le jugent inadapté. Le traité, qui entrera en vigueur une fois ratifié par 50 pays, a été approuvé par 122 États membres, soit près des deux tiers des pays appartenant à l'Onu. Seul un pays a voté contre, un autre s'est abstenu.

L'Assemblée générale des Nations unies avait adopté en décembre dernier une résolution (113 voix pour, 35 voix contre et 13 abstentions) pour "négocier un instrument légalement contraignant afin d'interdire les armes nucléaires, et conduire à leur élimination totale". Un vœu pieu dans un monde de plus en plus dangereux.

Pourquoi la France n'a pas participé aux négociations

Pourquoi la France ne signera pas ce texte. "Il s'agit d'un texte inadapté au contexte sécuritaire international, caractérisé par des tensions croissantes et la prolifération des armes de destruction massive, dont témoigne notamment la menace nucléaire nord-coréenne, a expliqué vendredi le ministère des Affaires étrangères. La France n'a pas participé aux négociations de ce traité et elle n'entend pas y adhérer". Ce traité ne lie pas la France et "ne crée pas de nouvelles obligations", a fait valoir le ministère des Affaires étrangères.

Au cours de ces derniers jours, la France a d'ailleurs montré son attachement à la dissuasion nucléaire à l'image du rapport sénatorial sur "la nécessaire modernisation de la dissuasion nucléaire", et surtout du discours du président de la République qui a réaffirmé lors du Congrès de Versailles que la dissuasion nucléaire était "la clé de voûte de la sécurité en France". Emmanuel Macron s'est en outre rendu mardi dernier à l'Île Longue, en Bretagne, où il a effectué une plongée de quatre heures à bord du sous-marin nucléaire Le Terrible.

"La politique de sécurité et de défense de la France, tout comme celle des alliés et d'autres partenaires proches, repose sur la dissuasion nucléaire, a expliqué le Quai d'Orsay. La dissuasion vise à protéger notre pays de toute agression d'origine étatique contre ses intérêts vitaux, d'où qu'elle vienne, et quelle qu'en soit la forme. Le contexte international n'autorise aucune faiblesse. Un traité d'interdiction des armes nucléaires risque à cet égard d'affecter la sécurité de la région euro-atlantique et la stabilité internationale. Ce traité est également susceptible de fragiliser le traité sur la non-prolifération des armes nucléaires, pierre angulaire du régime de non-prolifération".

En outre, fait observer le Quai d'Orsay, "la décision d'un grand nombre d'États, dotés, possesseurs ou non d'armes nucléaires, de ne pas participer aux négociations, en Europe et en Asie notamment, illustre avec force ce décalage". Des dizaines États membres de l'ONU ont effectivement boudé les négociations. Au total, 37% des États membres de l'ONU n'ont pas signé ce traité.

Désarmement ?

"Le désarmement nucléaire ne se décrète pas, il se construit", a par ailleurs affirmé le ministère des Affaires étrangères. La France demeure déterminée à mettre en œuvre "les prochaines étapes concrètes du désarmement nucléaire, conformément à ses engagements au titre du traité sur la non-prolifération des armes", a-t-il rappelé. Quelles sont les prochaines étapes prioritaires du désarmement nucléaire ? C'est notamment la négociation d'un traité interdisant la production de matières fissiles pour la fabrication d'armes nucléaires et l'entrée en vigueur rapide du traité d'interdiction complète des essais nucléaires. La réduction des arsenaux nucléaires russes et américains, qui représentent 90% du stock mondial d'armes nucléaires, est un autre objectif important, selon le Quai d'Orsay.

Pour sa part, Paris a déjà pris des "mesures concrètes et substantielles de désarmement nucléaire, notamment en réduisant de moitié son arsenal nucléaire, en arrêtant les essais nucléaires, en ratifiant le traité d'interdiction complète des essais nucléaires, et en fermant de manière irréversible ses installations de production  de matières fissiles pour des armes nucléaires". La France assure qu'elle poursuivra également ses efforts en faveur de la sécurité et de la stabilité internationales, y compris dans la lutte contre la prolifération des armes de destruction massive.

Une victoire pour les opposants aux armes nucléaires

Après plus de dix ans d'efforts de la Campagne internationale pour l'abolition des armes nucléaires (ICAN) et 72 ans après la première utilisation d'une arme atomique, les Nations Unies ont adopté un traité qui interdit catégoriquement les armes nucléaires, s'est félicité l'ICAN. "Il s'agit d'un instrument juridiquement contraignant très fort, dont nous sommes satisfaits", a pour sa par estimé Initiatives pour le Désarmement Nucléaire (IDN), dont le président est l'ancien ministre de la Défense Paul Quilès. Tout simplement, pour IDN, "il s'agit d'un évènement historique". Cette organisation estime que l'adoption de ce traité par 122 pays est "remarquable, compte tenu des fortes pressions exercées par les États-Unis, le Royaume-Uni et la France sur leurs alliés, notamment africains".

"Jusqu'à présent, les armes nucléaires étaient les seules armes de destruction massive qui n'étaient pas couverte par un traité d'interdiction, malgré les conséquences humanitaires et catastrophiques en cas de détonation intentionnelle ou accidentelle, a rappelé l'ICAN. Les armes biologiques furent en effet interdites en 1972 et les armes chimiques en 1992.

Pour Alexia Berny, membre de l'ICAN France, "l'adoption de ce traité par l'ONU marque le début de la fin de l'ère nucléaire. Il est incontestable que les armes nucléaires violent les lois de la guerre et constituent un danger manifeste pour la sécurité mondiale". Un message très optimiste (trop?)... Selon l'ICAN, l'adoption de ce traité indique clairement que la majorité des États du monde n'accepte plus les armes nucléaires et ne les considère pas comme des outils de guerre légitimes.

Cette association a regretté que la France ne participe pas à ce traité. L'évolution des normes internationales conduit à des changements concrets dans les politiques et les comportements militaires, même dans les États qui ne sont pas parties au traité. Toutefois, selon elle, "l'objection répétée et le boycott des négociations par les États ayant des armes nucléaires démontrent que ce traité a un impact significatif sur leur politique. L'Histoire nous a montré que cela a été le cas avec les autres traités d'interdiction d'armes (mines antipersonnel, sous-munitions)".

"Il est très décevant de constater que la France s'entête à poursuivre sa doctrine de dissuasion nucléaire, à moderniser son arsenal, et à ignorer l'avancée majeure que représente ce traité", a déploré Patrice Bouveret, membre du CA d'ICAN France.