Quand Arianespace flirte avec une perte colossale

Par Michel Cabirol  |   |  715  mots
L'Agence spatiale européenne aurait déjà donné des garanties sur le lancement institutionnel de six, voire sept satellites supplémentaires avec Ariane 6. (Crédits : CHRISTIAN HARTMANN)
Selon plusieurs sources concordantes, sur la période 2018-2023, la perte cumulée pourrait atteindre 500 millions d'euros pour Arianespace. La société de services de lancement et son actionnaire principal ArianeGroup remuent ciel et terre pour échapper au scénario du pire.

Jusqu'ici tout va bien. Mais les temps pourraient être durs pour Arianespace, détenu à 73,69% par ArianeGroup. Très dur même sur le plan financier. Car si la société européenne de services de lancement n'obtient pas, entre autre, un nouveau plan de soutien des pouvoirs publics, elle va droit dans le mur. Ou plus exactement, elle devra être recapitalisée au plus vite. Car certaines prévisions - les plus cauchemardesques - ne sont pas rassurantes du tout pour Arianespace, et, au-delà pour la filière lanceur en Europe. Selon plusieurs sources concordantes, sur la période 2018-2023 (soit jusqu'à la fin de la période de transition entre Ariane 5 et Ariane 6), la perte cumulée pourrait atteindre 500 millions d'euros pour Arianespace. C'est beaucoup pour une entreprise, qui a réalisé 1,3 milliard d'euros de chiffre d'affaires en 2017.

Pour autant, rien n'est perdu pour Arianespace. Tout dépendra des solutions mises en place pour limiter les dégâts, voire rester à l'équilibre comme en 2017. Résultat, Arianespace et son actionnaire principal remuent ciel et terre pour échapper au scénario du pire. "Ce n'est pas l'hypothèse que l'on retient", assure-t-on d'ailleurs à La Tribune. La priorité des deux entreprises est de programmer le plus finement possible la fin d'Ariane 5. Ce qui implique de connaître parfaitement un marché qui n'est pas toujours... linéaire et/ou rationnel. Une fois la prévision arrêtée, Arianespace pourra alors ajuster le nombre d'Ariane 6 à commander dans le cadre du premier lot. Mais le cauchemar pour Alain Charmeau et Stéphane Israël serait de se retrouver sur les bras avec des lanceurs prêts mais sans commandes.

Ventes à perte

Pourquoi une telle dégradation des comptes? Arianespace vend à perte son lanceur star, Ariane 5, en raison de l'agressivité commerciale de la concurrence sur le marché des lancements, ont expliqué plusieurs sources croisées au moment de la conférence "World Satellite Business Week" organisée à Paris du 10 au 14 septembre par le cabinet de conseil, Euroconsult. Résultat, au lieu de vendre 130 millions de dollars un lancement double sur Ariane 5 pour équilibrer ses coûts comme en 2017 - ce qui tenait déjà compte d'un soutien de l'Agence spatiale européenne (ESA) -, Stéphane Israël est contraint en 2018 d'offrir un vol à 110 millions de dollars pour Ariane 5. La situation est également très compliquée pour Ariane 6. Arianespace doit s'aligner sur les prix de SpaceX pour vendre (60 millions de dollars). Et qui dit vente à perte, dit provisions, comme la loi oblige toutes les sociétés.

Que peut faire Arianespace et ArianeGroup?

Toute la question est de savoir si Arianespace va pouvoir limiter les dégâts. Et comment. ArianeGroup a jusqu'à fin octobre pour trouver une solution et la présenter à l'ESA lors d'un conseil standard. Les deux entreprises travailleraient sur trois axes : un nouveau plan de soutien pour Ariane 5 de la part de l'ESA pour compenser les ventes à perte, réduction du prix de fabrication de 10% et réduction du nombre de lanceurs commandés en début d'année (lot PC). Ce dernier lot concerne en principe 10 nouveaux lanceurs, qui seront mis en œuvre depuis Kourou entre 2020 et 2023, date à laquelle Ariane 6 devrait atteindre sa pleine capacité, trois ans après son vol inaugural. Passer de dix à huit Ariane 5 pourrait être un pari risqué lors de la période de transition entre les deux lanceurs. S'agissant de la réduction des prix du lanceur Ariane 5, le pari reste encore à gagner. Et ArianeGroup pense déjà à une réduction du prix des Ariane 6.

En outre, selon nos informations - et c'est une bonne nouvelle - l'ESA a déjà donné des garanties sur le lancement institutionnel de six, voire sept satellites supplémentaires avec Ariane 6. A confirmer bien sûr. Des vols qui se rajoutent aux deux lancements remportés auprès d'Eutelsat (quatre satellites et non pas cinq pour Ariane 64, selon nos informations), le satellite d'observation militaire CSO-3 pour le compte de la direction générale de l'armement (Ariane 62) et le lancement de quatre nouveaux satellites de la constellation Galileo avec deux Ariane 62. L'ESA a visiblement déjà donné des gages avec les prochaines commandes pour maintenir Arianespace à flot. "Il est probable que le soutien étatique pour Ariane 5 soit confirmé", explique-t-on à La Tribune.