Qui peut acheter l'Airbus A380 aujourd'hui ?

Par Fabrice Gliszczynski  |   |  1022  mots
Lancé en 2000, l'avion a enregistré seulement 319 commandes. (Crédits : <small>DR</small>)
Le processus de baisse de production à 1 seul A380 par mois à partir de 2018 commence cet automne. L'objectif est de lisser la production en attendant de nouvelles commandes, assure Airbus. Question, l'A380 peut-il vraiment rebondir? Décryptage.

Après la décision prise cet été de réduire les cadences à un seul appareil par mois à partir de 2018, contre 2,5 aujourd'hui, le processus de baisse de la production commence dès cet automne. Pour certains observateurs, ce repli, qui correspond au minimum requis pour conserver les compétences, est synonyme d'un arrêt du programme à terme. On n'en est pas encore là. Surtout pas Airbus.

"Cette décision nous permet de lisser nos livraisons en attendant de nouvelles commandes", explique Alain Flourens, directeur du programme A380, au Figaro.

Une partie du carnet de commandes est fragile

Avec cette réduction de cadences, Airbus a désormais devant lui (sur le papier en tout cas) environ dix ans de production. A fin septembre 2016, il restait 124 superjumbos à livrer sur les 319 appareils commandés depuis son lancement commercial en 2000. Pour autant, le carnet de commandes est moins flatteur dans la mesure où de nombreuses commandes sont pour le moins fragiles (pour ne pas dire sûres de ne pas être honorées pour certaines d'entre elles).

Certaines sont en effet toujours recensées alors que les compagnies ont déjà indiqué qu'elles ne les honoreraient pas (les 2 derniers exemplaires d'Air France, par exemple) ou qu'elles réfléchissaient à ne pas les recevoir dans leur flotte (Qantas pour ses 8 derniers appareils). D'autres contrats sont également considérés comme fragiles par de nombreux experts. Il s'agit des 20 exemplaires d'Amedeo, des 10 dont l'identité de l'acheteur n'a pas été mentionnée (en fait ceux de Hong Kong Airlines), les 3 d'Air Accord, (anciennement ceux commandés par la russe Transaero), ou encore les 6 de Virgin Atlantic, dont le plan de flotte passe plus par l'A350-1000 que par l'A380.

Au final, une cinquantaine d'A380 sont concernés. En retirant du carnet ces commandes considérées comme incertaines, il reste grosso modo un peu moins de 80 appareils à livrer. Dont plus de la moitié à Emirates.

"Si l'on nettoie le carnet de commandes et en tenant compte de la baisse de cadences annoncée, la chaîne de production est alimentée jusqu'en 2021", explique un expert.

Sauf en cas de nouvelle baisse de cadences ou, au contraire, de la signature de nouveaux contrats, comme l'espère Airbus.

Marché compliqué

Pour autant, aujourd'hui, peut-on s'attendre à de nouvelles commandes alors qu'elles sont quasi inexistantes depuis plusieurs années? Qui peut aujourd'hui acheter l'A380 ?

Iran Air? Sa commande de 12 exemplaires est toujours bloquée. Turkish Airlines? Certes, la compagnie a souvent jeté un œil sur l'A380, mais elle affronte aujourd'hui de sérieux vents contraires et planche au contraire sur un éventuel report de ses livraisons. Les compagnies chinoises? Elles ne semblent pas plus intéressées par l'avion aujourd'hui qu'elles ne l'étaient hier (seuls 5 exemplaires de l'A380 ont été commandés).

« Franchement, je ne vois pas », reconnaît un expert.

Frilosité des candidats potentiels

Certes, rien n'est impossible (notamment avec un client comme Emirates, capable de prendre le contrepied à tout moment). Mais la concurrence des gros bimoteurs plus performants que l'A380, comme le B777-300ER (demain l'A350-1000 et le B777-X) ne plaide pas en faveur du superjumbo d'Airbus (sauf à casser les prix éventuellement). La surcapacité sur le réseau long-courrier non plus. Surtout, les mauvais signaux envoyés par certains opérateurs (Emirates, qui a longtemps demandé une remotorisation; Air France, qui ne prend pas ses derniers exemplaires; Singapore Airlines, qui ne conservera pas son premier A380 arrivant en fin de leasing; Malaysia, qui cherche à vendre la totalité de sa flotte A380...) ne peuvent que refroidir de nouveaux clients potentiels.

Stop ou encore? Le test du marché de l'occasion

En outre, ces derniers peuvent se dire qu'ils trouveront prochainement des appareils sur le marché de l'occasion à très bon marché. Pour Airbus, le marché des A380 d'occasion représente "une chance" pour de nouveaux-venus avec de nouveaux "business models" de commencer l'exploitation de l'A380.

«Ce sera un bon test. Si l'A380 rencontre un certain succès sur le marché de l'occasion, cela peut inciter des compagnies à franchir le pas. L'année 2017 permettra d'observer ce marché. En fonction des campagnes remportées ou pas, Airbus devra trancher en 2019 : soit l'arrêt du programme, soit l'amélioration de l'appareil », explique un analyste.

Remotorisation

La décision sera très difficile à prendre. Une amélioration passant par une remotorisation coûtera près de 3 milliards de dollars (la remotorisation implique par exemple de modifier plusieurs points, la voilure notamment et un ajout de pièces en matériaux composites pour alléger l'avion). Une remotorisation que certaines compagnies souhaitent accompagnée d'un allongement de la taille de l'avion. Un chèque énorme pour un marché que l'on imagine certes toujours important chez Airbus mais qui risque d'être toujours aussi compliqué à pénétrer.

Concurrence du B777X

Car, même si le doublement du trafic aérien tous les 15 ans va déboucher sur un plus grand nombre d'aéroports congestionnés dans le monde, la problématique de la concurrence des très gros biréacteurs, beaucoup plus performants que les quadrimoteurs comme l'A380, n'a pas changé. La concurrence du B777 qui joue pour beaucoup dans la faiblesse des ventes d'A380 jusqu'ici sera toujours présente. Elle va même s'intensifier avec la mise en service au cours de la prochaine décennie du B777-8X d'une capacité de 365 sièges et du B777-9X, de plus de 400 sièges. Pis, le groupe américain pourrait aller encore plus loin puisqu'il planche sur une version encore plus grande (450 sièges), le B777-10 X, qui pourrait tuer dans l'œuf un A380neo, même si ce dernier affichait de belles améliorations.

     >Lire ici : La fabuleuse histoire du B777

Aujourd'hui, l'heure est à l'amélioration de l'A380 actuel. "Nous pourrions développer d'autres versions, mais aujourd'hui la demande des compagnies porte sur l'optimisation de l'avion actuel. Nous allons améliorer sa productivité, en optimisant la cabine et en offrant plus de flexibilité et de liberté dans l'aménagement de celle-ci par nos clients", a  indiqué Alain Flourens.

     >Lire ici : A380 : pourquoi ça ne marche pas