Rheinmetall, le géant allemand de l’armement va construire une usine en Ukraine pour produire un « nombre à six chiffres » d'obus de calibre 155 mm

Par latribune.fr  |   |  1316  mots
(Crédits : KAI PFAFFENBACH)
Le fabricant allemand d'armement Rheinmetall a annoncé samedi un accord avec une entreprise ukrainienne pour construire des munitions d'artillerie en Ukraine, dont le pays a un besoin urgent face à l'agresseur russe.

Ce samedi, au lendemain de la signature d'un accord bilatéral de sécurité entre l'Allemagne et l'Ukraine, Rheinmetall, le fabricant allemand d'armement, a annoncé un accord avec une entreprise ukrainienne pour créer une coentreprise de construction des munitions d'artillerie en Ukraine, dont le pays a un besoin urgent face aux forces russes. Objectif : produire chaque année un « nombre à six chiffres » d'obus de calibre 155 mm, y compris les propulseurs correspondants. Pour des raisons de sécurité, ni le nom du partenaire ukrainien, ni le lieu de la future usine, ni la date de début de production, n'ont été communiqués.*

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Coentreprise

Détenue à 51% par Rheinmetall et 49% par le partenaire ukrainien, cette coentreprise apportera une « contribution significative à la capacité de défense de l'Ukraine et servira ainsi la sécurité en Europe », a déclaré Armin Papperger, le patron de Rheinmetall. Selon lui, les projets en cours avec l'Ukraine portent sur une valeur de « plusieurs milliards d'euros, et leur nombre augmente presque chaque jour ».

Pour Rheinmetall, il s'agit de la deuxième co-entreprise en Ukraine, après celle signée en octobre dernier avec l'entreprise publique ukrainienne UDI, anciennement Ukroboronprom, dédiée à la réparation de véhicules militaires, première étape avant de les fabriquer directement sur place.

Produire jusqu'à 700.000 obus d'artillerie par an en 2025

Lundi dernier, le premier coup de pioche d'une future usine de munitions a, par ailleurs, été donné au sein du principal complexe industriel de défense de Rheinmetall en Allemagne, à Unterlüss (nord), en présence du chancelier Olaf Scholz. Cette unité produira à partir de 2025 des munitions d'artillerie de 155 millimètres, munitions d'artillerie standard de l'Otan, utilisée dans de nombreux canons et obusiers, en visant progressivement une capacité de 200.000 obus par an. Au total, Rheinmetall veut produire, sur l'ensemble de ses sites en Europe, jusqu'à 700.000 obus d'artillerie par an en 2025, contre 400 à 500.000 cette année. Avant l'invasion russe de l'Ukraine, il n'en produisait que 70.000.

Malgré les milliards d'euros d'armes livrées par les pays de l'UE à l'Ukraine depuis le début de l'invasion russe, ceux-ci sont encore loin d'avoir atteint une capacité suffisante pour soutenir durablement le pays et reconstituer leurs propres stocks. L'Allemagne a longtemps été un mauvais exemple, a reconnu récemment Olaf Scholz, car la politique d'armement « a été menée comme s'il s'agissait d'acheter une voiture » , alors que les industries de défense ont besoin de planification à long terme pour investir dans de nouvelles capacités.

A l'avenir, « les Etats-Unis voudraient produire un million d'obus par an et l'Europe deux à trois millions grâce à une union entre partenaires européens », expliquait récemment Armin Papperger Les Européens n'auront fourni fin mars que la moitié du million d'obus promis à l'Ukraine l'an dernier.

Le complexe Rheinmetall d'Unterlüss produit déjà des obus de 120 mm destinés aux chars Leopard 2, utilisés sur le front ukrainien. De 60.000 pièces produites par an avant 2022, la cadence est montée à 240.000. Mais à raison de milliers de tirs quotidiens, les troupes ukrainiennes ont des besoins très élevés, et urgents, pour tenter de repousser l'invasion russe.  Et les armées des pays européens ont leurs propres manques à combler. Après des années de sous-investissement, les stocks de l'armée allemande sont vides et ses besoins en munitions sont estimés à environ 40 milliards d'euros par Rheinmetall.

L'appel de Zelensky

Cette annonce intervient alors que le président ukrainien Volodymyr Zelensky a lancé samedi un appel pressant à ses alliés occidentaux pour qu'ils livrent plus d'équipements militaires au pays, en insistant sur les armes de longue portée, après l'une des victoires russes les plus significatives dans l'est de l'Ukraine. Si le dirigeant a été sonné par le retrait forcé de l'armée, annoncé dans la nuit, de la ville ukrainienne d'Avdiïvka, il n'en a rien laissé paraître lors de son intervention samedi à la Conférence de Munich sur la sécurité, en Allemagne.

Mais son message est clair : « Nos actions ne sont limitées que par la quantité et la portée de l'éventail de nos forces - ce qui ne dépend pas de nous », a-t-il lancé aux responsables réunis pour cette grand-messe de la diplomatie mondiale, alors que l'Ukraine va entrer dans sa troisième année de guerre.

« Nous pouvons récupérer nos terres. Et Poutine peut perdre. Cela s'est déjà produit plus d'une fois sur le champ de bataille », a-t-il fait valoir.

Il a déploré que l'Ukraine soit « maintenue dans un déficit artificiel d'armes, en particulier d'artillerie et de capacités à longue portée ». Ce manque « permet à Poutine de s'adapter à l'intensité actuelle de la guerre ». Kiev réclame depuis des mois à ses alliés des armes de longue portée capables de toucher plus en profondeur les troupes russes.

Une problématique que le chancelier allemand Olaf Scholz a soigneusement éludée samedi. « Pas à pas, nous décidons toujours de la bonne chose à faire au bon moment », a-t-il répondu, signifiant que la livraison de ces armes n'était pas à l'ordre du jour.

Kiev veut des Taurus

Kiev souhaite que Berlin l'équipe avec des Taurus, l'un des missiles les plus modernes et les plus efficaces de l'armée de l'air allemande. Le gouvernement allemand y rechigne, de crainte que le territoire russe soit également touché par ces armes de précision, entraînant potentiellement une escalade du conflit. Olaf Scholz a rappelé que l'Allemagne - deuxième contributeur en valeur absolue après les Etats-Unis -était un soutien clé de la défense de l'Ukraine et venait encore de le prouver en signant, vendredi un accord de sécurité bilatéral ancrant dans la durée l'aide à l'Ukraine. Volodymyr Zelensky a signé un document similaire avec la France, lors d'un déplacement à Paris, où Emmanuel Macron a également promis à Kiev « jusqu'à trois milliards d'euros » d'aide militaire « supplémentaire » cette année.

L'Allemagne a prévu sept milliards de soutien à l'Ukraine pour 2024 dont un nouveau paquet de livraisons d'armes pour un montant de 1,1 milliard d'euros détaillé vendredi. Mais la situation est toujours bloquée aux Etats-Unis : Kiev espère depuis des mois le vote d'une aide cruciale de quelque 60 milliards de dollars décidée par le gouvernement de Joe Biden et entravée par une opposition républicaine sous influence de Donald Trump. La vice-présidente américaine Kamala Harris a tenté de rassurer Volodymyr Zelensky, lors d'entretiens à Munich, là même où elle l'avait déjà rencontré, il y a deux ans, « cinq jours avant l'invasion russe », a-t-elle rappelé.

Sur l'aide à l'Ukraine, « il existe un soutien bipartisan. (...) nous sommes inébranlables. Et cela n'a rien à voir avec un cycle électoral », a affirmé Kamala Harris qui a mis en garde contre « les jeux politiques » en pleine campagne pour l'élection présidentielle de novembre aux Etats-Unis.

L'aide américaine est  « vitale »

Le président ukrainien a qualifié de « vitale » l'aide américaine en suspens. Sa tournée européenne a été assombrie par l'annonce de la mort en prison d'Alexeï Navalny, l'opposant numéro un à Vladimir Poutine, éteignant un peu plus tout espoir d'ouverture à Moscou. Si l'Ukraine est de nouveau au cœur des débats à la Conférence de Munich, le conflit meurtrier entre Israël et le Hamas, la catastrophe humanitaire dans la bande de Gaza et la menace d'escalade au Moyen-Orient, occupent aussi les participants. Des négociations complexes sont en cours en vue d'une trêve incluant de nouvelles libérations d'otages du Hamas et de Palestiniens détenus par Israël. Le Premier ministre et ministre des Affaires étrangères du Qatar Mohammed ben Abdelrahmane Al-Thani, dont le pays est l'un des principaux médiateurs dans les négociations en vue de la libération des otages, doit s'exprimer samedi.