9 septembre 2004 : Logan, le pari fou de Renault

Par Alain-Gabriel Verdevoye  |   |  853  mots
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C'est en 1998 que Louis Schweitzer, PDG du constructeur français, évoque l'idée d'un modèle simple, fiable, économique pour pays émergents, deux fois moins cher qu'une Clio. La Dacia Logan et ses dérivés deviendront un succès intercontinental.

«Marchera pas », « gagnera jamais d'argent » ! Le pari était osé et personne ou presque n'y croyait. Pourtant, elle existe depuis sept ans, donnant même naissance à une gamme entière, et c'est l'un des meilleurs contributeurs aux profits de Renault ! Alors... Elle ? La fameuse Dacia Logan, bien sûr. Le constructeur auto français aura du coup produit 750 à 800.000 voitures de sa gamme à bas coûts « Entry » cette année, visant le million vers 2013. Une incontestable réussite qui a ouvert à Renault des marchés où il n'était pas !

À l'origine : un voyage de Louis Schweitzer en Russie. Le PDG de Renault note à la fin des années 1990 que le marché local est dominé par des voitures de conception obsolète mais pas chères, adaptées au pouvoir d'achat local. Germe alors dans son esprit l'idée de proposer une voiture moderne, mais au prix limité à 5.000 dollars... qui deviendront 5.000 euros. C'est moitié moins à l'époque qu'une Renault Clio, beaucoup plus petite. Rude gageure. Quand le patron évoque pour la première fois ce véhicule, en 1998, il se heurte au scepticisme général. Il faut dire que la plate-forme n'existe pas, l'usine susceptible de produire un tel modèle non plus.

 

Fort de cette intuition, le groupe français reprend, en juillet 1999, 51 % de Dacia, le constructeur roumain en déshérence avec son usine géante de Pitesti (à 120 kilomètres de Bucarest). Pour moins de 50 millions d'euros. À ce moment, le groupe au losange s'engage toutefois à investir plus de 200 millions d'euros à travers deux augmentations de capital. La prise de contrôle de Dacia signe en tout cas une belle revanche de Renault sur... son échec de 1990, quand il avait raté la reprise du tchèque Skoda, soufflé par Volkswagen.

Dacia n'est pas un inconnu pour Renault. La firme avait été créée en effet par le dictateur Nicolae Ceaucescu au milieu des années 1960 pour produire des... Renault sous licence, R8 en 1968 puis surtout R12 au début de la décennie suivante sous le nom de Dacia 1300. À l'expiration du contrat de licence, à la fin des années 1970, la firme roumaine poursuit seule la fabrication avec de multiples dérivés. Le hic : ce véhicule est bon marché (4.000 euros en 2000) mais d'une qualité déplorable.

En 1999, dix ans après la chute du communisme, l'entreprise automobile balkanique n'est guère attirante : modèles surannés et peu fiables, installations vétustes, fournisseurs médiocres, productivité archi-faible - 26.000 salariés pour 55.000 voitures produites en 2000 ! -, corruption, vol de pièces... Du coup, les premières années de l'ère Renault sont ultra-déficitaires : ? 68 millions d'euros en 2000, ? 77 en 2001, ? 86 en 2002. Mais, face aux critiques et sarcasmes de l'interne ou des concurrents, Louis Schweitzer tient bon, et la Dacia Logan est commercialisée en septembre 2004. Le succès de cette voiture emblématique, simple, familiale, économique et fiable est... immédiat, obligeant même la firme de Boulogne-Billancourt à la diffuser en Europe occidentale où elle n'était pas prévue initialement. Devant un tel engouement, dès 2005, on avoue chez Renault que le programme est aussi rentable que celui de la Clio ! Dacia atteint en conséquence l'équilibre financier au milieu des années 2000... Comme prévu dans le projet originel !

Aujourd'hui, Renault produit ses modèles de la gamme Entry en Roumanie, où le site de Pitesti tourne à plein régime, mais aussi à Moscou (Russie), Téhéran (Iran), Curitiba (Brésil)... Il a certes échoué en Inde, mais il va inaugurer début 2012 un site géant à Tanger, au Maroc, pour fabriquer un quatrième modèle, le monospace Lodgy et son dérivé utilitaire, après la Logan (berline, break, fourgonnette, pick-up), la Sandero (une Logan restylée à cinq portes) et le 4x4 Duster. La Logan elle-même devrait être renouvelée fin 2012, suivie de la remplaçante de la Sandero. Et Renault planche sur une petite citadine. En outre, un break Logan revu commence à être assemblé chez le premier constructeur automobile russe Avtovaz, pour un lancement en février-mars 2012 sous le nom de Lada Largus. La plate-forme « B Zéro » de la Logan servira, d'ailleurs, à d'autres produits de la gamme Lada, mais aussi à... Nissan. Le partenaire japonais de Renault va produire en effet chez Avtovaz, sur cette même base, une berline familiale de 4,60 mètres de long. Et ce, à partir de la fin 2012.

 

Cet immense succès ne va pas sans inconvénient... pour l'image de Renault ! La présence dans les mêmes concessions des Dacia et des Renault en Europe (hors Russie), ou carrément des véhicules sous la même marque (Renault) hors du Vieux Continent, ne peut que contrecarrer tous les efforts du groupe pour monter en gamme. On ne vend pas, en effet, une voiture à 40.000 euros au même endroit qu'un modèle à 7 ou 8.000. De même, maint acheteur hésite-t-il entre une Sandero et une Clio de même gabarit, qui partagent en partie les moteurs mais affichent un écart de tarif supérieur à 4.000 euros (en diesel). Renault est en quelque sorte victime de sa réussite. C'est là tout son problème.