Renault face aux politiques : cause toujours, tu m'intéresses...

Par Alain-Gabriel Verdevoye  |   |  1194  mots
Le PDG de Renault et Nissan Carlos Ghosn. Copyright Reuters
Quoi que fasse la firme au losange, les politiques se croient obligés de donner leur avis ou de mettre en garde. Mais le PDG Carlos Ghosn n'en fait finalement qu'à sa tête. Renault ne fabrique plus que 17,5% de ses véhicules en France!

Rien à faire. Même si Renault n'est plus une Régie depuis longtemps, tout gouvernement a les yeux braqués sur le constructeur automobile français. Et, le ministre du Travail, Michel Sapin, a ainsi déclaré mercredi qu' « il ne devait pas y avoir de chantage » dans la négociation entre la direction de Renault et les syndicats sur un éventuel accord de compétitivité. Les discussions doivent être « loyales » et « tous les moyens ne sont pas bons » pour négocier, a estimé le ministre sur la radio RTL. Mardi, trois syndicats avaient affirmé que la direction du groupe menaçait de fermer deux sites en France si aucun accord de compétitivité n'était trouvé avec les partenaires sociaux. « Ce que nous attendons de Renault, c'est qu'il y ait deux lignes rouges qui ne soient pas franchies: (...) qu'il n'y ait pas de licenciements et, deuxièmement, qu'il n'y ait pas de fermeture de sites », a pour sa part rappelé Pierre Moscovici, ministre de l'Economie, sur BFMTV-RMC, à propos du plan de suppression de 7.500 postes en France d'ici à 2016.

Renation incestueuse

Une relation intime, voire incestueuse, qui n'empêche pas Renault de faire quand même ce qu'il veut... Pour preuve la réflexion désabusée d'un ancien Premier ministre, lequel reconnaissait officieusement que « Renault avait délocalisé en douce », sans que personne ne s'en rende compte. Le comble pour une entreprise, dont l'Etat détient 15% du capital.

Chute de la production en France

Sous l'impulsion de l'ex-PDG, le haut fonctionnaire autoproclamé de gauche Louis Schweitzer, relayé par Carlos Ghosn, Renault ne fabrique plus aujourd'hui que 17,5% de ses véhicules en France (contre 35% pour PSA), selon le CCFA (Comité des constructeurs français d'automobiles). C'est d'ailleurs quasiment un record mondial... dans le mauvais sens. Volkswagen, Toyota, Ford, produisent en effet bien davantage sur leur territoire national. La production du groupe Renault dans l'Hexagone a, en outre, dégringolé de plus de moitié depuis 2007.

Transferts progressifs

La firme a transféré sa petite Twingo de Flins vers la Slovénie lors du passage de la première à la deuxième génération. Aujourd'hui, 60% de la production des Clio est assurée en Turquie. La totalité des berlines compactes Mégane sont désormais fabriquées en Espagne. Le tout dernier (faux) petit 4x4 Captur sort aussi des chaînes de la péninsule ibérique. Et l'internationalisation des marchés n'a rien à voir avec ces choix. Les Twingo et Clio sont en effet essentiellement destinées aux clients d'Europe de l'ouest. Carlos Ghosn a, en outre, inauguré en grande pompe, au début de l'année dernière, le site géant de Tanger, au Maroc, dont la plus importante part de la production est destinée au Vieux continent. Presque une provocation, même si ce site marocain se justifie économiquement pour des véhicules à bas coûts.

Sur la sellette

Il n'empêche. Carlos Ghosn est exaspéré de cette tentative permanente d'intrusion, du moins verbale, des politiques. L'homme, qui est aussi le PDG de Nissan, avait très mal vécu la convocation à l'Elysée en janvier 2010, suite à un article de La Tribune évoquant la production de la Clio IV en Turquie. Et il a encore plus mal supporté les pressions dont il a fait l'objet, suite à la malencontreuse (fausse) affaire d'espionnage, durant le premier semestre 2011, quand bien des voix s'étaient élevées au sein même du gouvernement pour avoir sa peau. Mais, finalement, le double PDG s'en est tiré, sacrifiant du coup son bras droit de l'époque, Patrick Pélata, remplacé fin mai 2011 par Carlos Tavares. Incarnant dans sa propre personne le délicat équilibre entre Renault et Nissan, Carlos Ghosn était impossible à remplacer !

Usines préservées en principe

Certes, l'influence des pouvoirs publics n'est pas nulle sur Renault. On peut en effet supposer que Renault aurait volontiers fermé une ou deux usines en France, notamment le site normand de Sandouville, s'il avait eu complètement les mains libres. Dernièrement, le groupe s'est aussi engagé à produire en France des véhicules de ses alliés, notamment Nissan, en cas d'accord avec les syndicats sur la compétitivité. Le ministre du Redressement productif Arnaud Montebourg semble s'attribuer les mérites de cet engagement. Toutefois, il n'est pas sûr du tout que les pouvoirs publics aient joué un rôle. Tout simplement, Nissan a besoin de capacités en Europe, son usine de Sunderland, outre-Manche, étant saturée. Au final, et malgré les gesticulations régulières des politiques, Renault agit comme il l'entend. Exemple: l'usine de Flins, en région parisienne, n'emploie-t-elle pas aujourd'hui 3.000 salariés pour un potentiel de 125.000 véhicules annuels environ, contre 22.000 personnes pour 400.000 unités annuelles à la fin des années 1970 ? Evidemment, le site n'a pas été fermé. Mais, quelle dégringolade !

Gamme "Entry" en plein boom

Le pire c'est que la délocalisation de Renault, et donc sa « défrancisation », semble inéluctable. Spécialisé de plus en plus dans les véhicules d'entrée de gamme où le facteur prix est l'élément déterminant d'achat, le constructeur de Boulogne-Billancourt voit ses ventes de véhicules de gamme moyenne ou supérieure chuter progressivement, tels les Espace ou Laguna, fabriqués exclusivement, eux, à Sandouville. Et ce, alors même que sa gamme « Entry » (Sandero, Logan, Duster...) produite hors d'Europe occidentale représente plus du tiers de ses ventes mondiales aujourd'hui ! Un pourcentage qui grimpe régulièrement. Renault réalise d'ailleurs d'excellentes marges sur cette gamme, alors qu'il perd de l'argent sur les petites Twingo et Clio ou sur les Laguna-Espace. Renault n'est toutefois pas le seul responsable de son fiasco dans les gammes moyenne et haute "made in France". La politique traditionnelle des pouvoirs publics français en termes de fiscalité, avec en prime le dernier malus prétendument écologique, défavorise les modèles produits encore... dans l'Hexagone.

Ventes en  recul sur l'Europe

Au delà de la structuration des gammes, la firme tricolore voit globalement ses ventes s'effondrer en Europe. Le groupe au losange y a affiché l'an dernier le plongeon le plus catastrophique de tous les grands constructeurs, avec des immatriculations de voitures en recul de 19% dans l'Union européenne à un million d'unités à peine, voire de 22,5% pour la marque Renault  (sans la filiale roumaine à bas coûts Dacia). La part de marché du groupe atteint 8,5% à peine dans l'Union, voire 6,6% sans le label roumain... contre 10,7% pour Renault seul il y a dix ans. La crise des marchés français et espagnol, où Renault est traditionnellement bien implanté, n'explique pas à elle seule cette chute.

Plongeon dramatique

Le plongeon en Europe est d'autant plus dramatique que c'est quasiment dans cette seule région que la firme vend les voitures de sa gamme traditionnelle, dont une partie est encore localisée en France (une fraction des Clio, les monospaces Scénic, le ludospace Kangoo...). Ailleurs, il n'écoule pratiquement  que des modèles de sa gamme « Entry », sous la marque Dacia (en Afrique du nord et Turquie) ou  sous son propre label du losange (Russie, Amérique latine, Iran...). Et les incantations des politiques n'y peuvent rien.