Carlos Ghosn a réussi chez Nissan, mais chez Renault...

Par Alain-Gabriel Verdevoye  |   |  1194  mots
Carlos GHosn, PDG de Renault et Nissan Copyright Reuters (Crédits : Carlos Ghosn - Photo Reuters)
En 1999, au moment de l'Alliance Renault-Nissan, les deux constructeurs étaient de taille à peu près équivalente. Aujourd'hui, le japonais pèse deux fois plus que son actionnaire français. Il est beaucoup plus rentable, dispose d'une gamme complète avec des technologies avancées et une présence quasiment mondiale. Le double PDG, Carlos Ghosn, dont la rémunération est beaucoup plus importante au titre de Nissan que de Renault, a -t-il privilégié l'un aux dépens de l'autre?

Alors que Nissan s'apprête à publier ses résultats financiers annuels (2012-2013) la semaine prochaine, la question mérité d'être à nouveau posée: Carlos Ghosn a-t-il oui ou non privilégié la firme automobile japonaise au détriment de Renault? Patron opérationnel de Nissan depuis quatorze ans et PDG de Renault depuis 2005, l'homme s'en défend, évidemment. Il n'empêche. Le double dirigeant, qui gagne d'ailleurs beaucoup plus d'argent coté japonais (rémunération record dans l'automobile nippone de 7,7 millions d'euros pour l'exercice fiscal 2011-2012) que coté français  (2,89 millions d'euros l'an dernier) aurait-il trop bien réussi chez l'un, échoué chez l'autre?

Disproportion flagrante entre les deux constructeurs

Un rappel indispensable: au moment du mariage Renault-Nissan, en 1999, les deux constructeurs étaient à peu près de taille équivalente. Aujourd'hui, le groupe nippon est globalement deux fois plus gros que l'ex-Régie et bien plus rentable. L'an dernier, Nissan a écoulé 4,94 millions d'unités (+5,8% grâce notamment à un rebond au Japon et aux Etats-Unis) et Renault - qui détient 43,4% du capital du nippon - 2,55 millions seulement (-6,3% à cause du plongeon des marchés européens). Le japonais écoule aujourd'hui deux fois plus de véhicules que son actionnaire. Certes, on pourra bientôt consolider le russe Avtovaz (610.900 unités en 2012, -5,5%) dans les volumes du constructeur français. Renault détient en effet 25% des parts du fabricant des Lada et en prendra prochainement le contrôle. Mais, même ainsi,  la disproportion n'en demeure pas moins flagrante. En 1998, dernier exercice avant l'alliance Renault-Nissan, les ventes des deux constructeurs étaient proches : 2,2 millions pour Renault, 2,6 millions pour Nissan.

Des profits de Renault imputables à Nissan

Sur l'ensemble de l'exercice fiscal (1er avril 2012 au 31 mars 2013), Nissan prévoyait en février dernier de dégager un chiffre d'affaires en progression de 4,3% à 9.815 milliards de yens (96,5 milliards d'euros) et un bénéfice net de 320 milliards de yens (3,14 milliards d'euros), en recul de 6,3%. Il s'attendait en outre à un profit d'exploitation annuel en progrès de 5,3% à 575 milliards de yens (5,65 milliards d'euros). Rappelons que, sur l'année 2012,  Renault a affiché un chiffre d'affaires de 41,28 milliards d'euros à peine, soit 42% de celui de Nissan. Son bénéfice net atteignait 1,73 milliards d'euros, représentant 55% de celui du japonais. Mais, dans le résultat de Renault, il y a... 1,23 milliards générés par les profits de Nissan.

Un résultat huit fois inférieur

Quant au résultat opérationnel de l'ex-Régie,  il est huit fois inférieur aux prévisions de profit de son allié. La marge opérationnelle atteint  1,8% chez Renault, contre près de 6% pour Nissan, et encore s'agit-il d'un piètre exercice pour le japonais qui a fait nettement mieux dans un passé récent. Juste avant le mariage Renault-Nissan, le chiffre d'affaires de Renault équivalait à 75% de celui de Nissan. Et Renault affichait un bénéfice net de 1,35 milliards d'euros, alors que Nissan en perdait 110 millions. Question effectifs, la disproportion est éclairante. Renault emploie aujourd'hui dans le monde 127.000 personnes, Nissan 248.000. En 1998, les effectifs étaient les mêmes pour les deux entreprises, autour de 138.000 personnes.  Renault a donc perdu environ 10.000 personnes sur la période, tandis que Nissan a accru ses effectifs de 80% dans le même temps.

L'envergure mondiale de Nissan

On peut certes avancer quelques explications objectives. Stratégiquement, Nissan était, historiquement, présent dans toutes les régions du monde - sauf l'Amérique latine -, comme d'ailleurs ses compatriotes Toyota ou Honda - ce qui n'était pas le cas de Renault. Facteur aggravant: Renault demeure centré par ses racines sur l'Europe, un continent où le marché automobile est en panne depuis plusieurs années, et où les japonais sont  logiquement moins exposés. Par ailleurs, Renault pâtit des problèmes de compétitivité globaux intrinsèques à l'économie française... Mais, après tout, Nissan souffre pour sa part d'un yen nettement plus fort aujourd'hui que naguère, même s'il a tendance à redescendre. Toutes ces constatations n'expliquent donc pas à elles seules le différentiel croissant entre les deux entreprises.

Nissan à la rescousse

Puissant en Amérique du nord, Nissan s'est également implanté en Chine et en Inde. Or, Renault n'est toujours pas présent outre-Atlantique, ni en Chine où il attend le feu vert des autorités chinoises pour un projet industriel qui n'est donc pas pour tout de suite. Et encore, la firme hexagonale s'est-elle associée en Chine au... partenaire de Nissan! En Inde, Renault est aussi à la traîne, installé dans l'usine de Chennai créé par le japonais. Le constructeur est pour sa part "chef de file" chez Avotovaz en Russie et en Amérique du sud, où Nissan est en train de progresser fortement grâce à l'implantation d'une usine au Brésil. Mais, les volumes réalisés par Nissan en Amérique du nord ou en Chine sont largement supérieurs à ceux de Renault en Russie et en Amérique latine.

Nissan est géographiquement mieux placé que son partenaire. Même en Corée, où Renault a fait oeuvre de pionnier en reprenant les activités automobiles de Samsung - qui produisaient du reste des modèles d'origine Nissan -, le Français est obligé d'appeler son allié à la rescousse pour remplir l'usine de Busan chroniquement surcapacitaire. Nisan va d'ailleurs également voler au secours des usines de Renault en France en leur confiant sa future petite Micra, histoire de pallier - partiellement - le sous-emploi de l'outil industriel hexagonal.

Gamme complète chez le japonais

Technologiquement, si Renault est "leader" dans les diesels, Nissan l'est dans les moteurs à essence. Hors, à l'échelle mondiale, la place des diesels est  réduite, puisque quasiment cantonnée à l'Europe. Le spectre des moteurs Nissan est impressionnant, du trois cylindres au V8! A tel point que quand Renault veut faire rouler un véhicule sportif de marque Alpine - un label bien français -, il doit recourir à ... une mécanique nippone. Nissan est aussi le maître d'oeuvre en matière de voitures électriques. 

Enfin, la gamme du japonais, extrêmement étendue, couvre tous les créneaux, ce qui n'est absolument pas le cas de Renault, globalement concentré sur les modèles de bas de gamme, les petites voitures et les compactes... Nissan fait aussi bien des "minis" que des limousines, des pick-ups, des gros 4x4, des monospaces, des coupés sportifs. Et, si sa marque de haut de gamme Infiniti a du mal à percer hors des Etats-Unis, elle lui assure une présence. Renault, lui, n'a rien pour rivaliser avec Mercedes, BMW, Audi.

Un bilan mitigé pour Carlos Ghosn chez Renault

Dire que Carlos Ghosn a volontaiement privilégié une entreprise plutôt qu'une autre est dfficile à démontrer. Il n'en reste pas moins que le redressement de Nissan, grâce notamment à l'aide de Renault, est globalement réussi. Ce qui n'est malheureusement pas du tout le cas de Renault, dont les positions relatives par rapport aux concurrents  se sont même plutôt affaiblies depuis une dizaine d'années. Le bilan de Carlos Ghosn, qui a échoué dans ses prévisions de volumes et de rentabilité, est donc pour le moins ténu chez Renault.