"Il n'y a pas à choisir entre essence et diesel" Carlos Tavares

Par Propos recueillis par Dorian Perron  |   |  1550  mots
"Je crois au formidable potentiel du génie français" a insisté le président du directoire de PSA Peugeot-Citroën Carlos Tavares, mardi, devant les étudiants de grandes écoles parisiennes.
2014, année de Carlos Tavares ? Arrivé à la tête de PSA Peugeot-Citroën en mars, l’ancien numéro deux de Renault était l’invité mardi 16 décembre des "Mardis de l’Essec", une manifestation ouverte au public, qui réunissait ce jour plus de 200 étudiants de grandes écoles et universités parisiennes. Lors de cette conférence-débat, le nouveau patron du 2e constructeur automobile européen a abordé des sujets aussi divers que les performances de PSA en 2014, la problématique du diesel, le développement du groupe à l’international et sa stratégie pour les années à venir. Entretien.

En cette fin d'année, quel bilan tirez-vous de la stratégie menée par le groupe PSA pour se relancer ?

Carlos Tavares. La priorité est d'abord la restructuration économique du groupe, et sa performance, point central du plan « Back in the race » lancé en avril 2014. Ce plan s'articule autour de trois axes : réduction des frais fixes, amélioration du « pricing power » et optimisation des coûts variables. J'ai fixé des objectifs ambitieux pour le Groupe. D'abord, un free cash-flow positif et récurrent au plus tard d'ici à 2016. Ensuite, un free cash-flow cumulé de 2 milliards d'euros sur la période 2016-2018. Enfin, une marge opérationnelle de 2 % pour la division automobile à l'horizon 2018. Quand ces trois objectifs seront atteints, les fondamentaux du groupe seront à nouveau solides. À ce moment-là, nous pourrons décréter que le redressement du groupe est réalisé.

Le CAC 40 est-il un objectif ?

PSA doit d'abord rétablir les fondamentaux pour embrasser sereinement l'après-restructuration. Le CAC 40 sera une conséquence naturelle de la réussite de notre stratégie et de l'engagement de nos équipes dans l'atteinte des objectifs fixés. Mais je me méfie des éléments de satisfaction qui concernent plus l'ego que l'entreprise. Le véritable objectif, c'est de parvenir à actionner les trois leviers que j'ai énoncés pour redresser la situation économique de PSA.

Si l'objectif est la réduction des coûts, qu'en est-il de l'investissement et de l'innovation ?

À l'évidence, les chiffres montrent que nous avons une part de dépenses en R&D relativement plus faible que nos concurrents, d'environ 7,5% contre entre 8% à 10% pour les autres constructeurs. Le décalage est là, mais il s'agit d'une vision simpliste de la situation. Car ce n'est pas la valeur de l'investissement qui compte, mais sa rentabilité, qui témoigne de la capacité d'une organisation à dépenser mieux, et non simplement plus. Nous avons un fort potentiel d'amélioration sur le rendement des investissements engagés.

Où en est PSA sur le développement de ses marques à l'étranger ? Le groupe veut-il, comme Renault, produire en Afrique ?

PSA est fort de trois marques avec l'ambition de devenir un grand constructeur mondial, capable d'opérer de manière efficiente sur tous les grands marchés de la planète. Dans le monde d'aujourd'hui, les barrières douanières, les coûts de transport et le risque de change imposent aux constructeurs de produire au plus près des marchés où ils sont implantés afin d'être plus efficients. 80% des véhicules vendus dans une région sont produits dans cette même région. De la même manière, chaque fois que les volumes de ventes de PSA deviendront significatifs dans une région, il est souhaitable que l'entreprise produise des automobiles localement pour cette région. Nous sommes à l'affût de ces opportunités sans pour autant nous fixer de délais qui pourrait sortir de l'analyse objectif des tenants et aboutissants. À terme, l'Afrique sera, entre autres, concernée par cette stratégie de production.

PSA réunit deux et même trois marques désormais, avec l'émancipation de DS en tant que marque premium. Comment définiriez-vous le positionnement de chaque marque sur le marché ?

Peugeot est la parfaite convergence entre la rigueur et la conception d'un côté et l'émotion latine de l'autre. C'est une marque élégante, non ostentatoire, idéalement placée pour concurrencer une marque allemande à deux lettres bien connue. Citroën, c'est le confort et l'innovation, l'expression d'un sentiment « feel good » et toujours dans un but d'utilité. DS, c'est tout simplement la dimension automobile qu'il manque au luxe à la française. La marque met l'accent sur l'esthétique, un service "premium" et une utilisation différente des matériaux, tout en donnant plus de place à la créativité.

Le diesel étant de plus en plus décrié par l'opinion et les autorités publiques, le groupe PSA compte-t-il réorienter sa stratégie vers les véhicules à essence en priorité ?

Non. Il y a, à ce sujet, un déficit d'information. Depuis septembre, la réglementation européenne concernant le diesel, qui est une des plus sévères au monde, est passée de Euro 1 à Euro 6 pour toutes les voitures. Les constructeurs automobiles ont du réaliser des progrès énormes, et nous avons souvent été précurseurs. Cette réglementation nous a amenés à un niveau de quasi neutralité entre l'essence et le diesel en matière d'émissions de particules. La nouvelle règlementation prévoit également la diminution des émissions de dioxyde de carbone. Et, sur ce point, force est de constater que le diesel a une efficacité 15% supérieure à celle de l'essence.

Lors d'une audition devant l'Assemblée Nationale avant l'été 2014, j'ai demandé solennellement la création d'une commission de scientifiques indépendants qui analyseront tous les résultats de nos études et de nos tests dans ce domaine, afin d'en tirer des conséquences objectives. Nous nous sommes par ailleurs engagés à une totale transparence de nos résultats auprès de cette commission. La vraie problématique n'est pas de choisir entre essence et diesel, mais de moderniser le parc automobile. Notre proposition est de travailler sérieusement à établir une définition de ce qu'est un véhicule propre, plutôt que de choisir de privilégier tel ou tel carburant. Nous souhaitons par ailleurs continuer à être des acteurs de la mobilité durable en proposant des solutions de plus en plus efficaces en termes de motorisation notamment.

Après avoir effectué toute votre carrière chez Renault et chez Nissan, a-t-il été difficile de reprendre la tête de PSA Peugeot-Citroën, ou considérez-vous toujours, comme vous l'avez précédemment déclaré, qu'il n'y a pas de culture d'entreprise ?

PSA, Renault et Nissan sont très différents. La culture est souvent citée comme une lourdeur qui s'oppose à la capacité de changement. Or, dans un tel contexte, il faut bien comprendre que la culture, ce sont les êtres humains qui la portent et la façonnent. Ce que j'ai trouvé extraordinaire chez PSA après plusieurs années de résultats compliqués, c'est l'humilité sportive des personnes qui y ont énormément travaillé et reconnu qu'il y avait un problème dans la méthode. Par ailleurs, la transition entre Philippe Varin et moi-même s'est déroulée avec un professionnalisme exemplaire.

Après la difficile période de fermeture de l'usine d'Aulnay-sous-Bois, PSA a annoncé se lancer dans un plan de modernisation de ses sites français. Pourquoi n'avoir pas choisi de délocaliser ?

Les handicaps de nos usines en France, sont essentiellement dus à une conception ancienne qui n'est plus adaptée aux processus actuels de fabrication des automobiles et empêchent de produire de la qualité à coût viable. Nous avons concentré nos efforts sur la modernisation et l'efficience de ces usines plutôt que de les délocaliser car nous croyons au formidable potentiel du génie français. Quand on donne une responsabilité sur le coût total de la voiture aux directeurs d'usines, on enrichit et ennoblit la tâche du comité directeur de l'usine en question. Ceux-ci sont plus à même d'innover et de faire remonter des idées intéressantes jusqu'au comité exécutif du Groupe.

Vous qui avez effectué toute votre carrière dans le secteur automobile mais avez « atterri » chez PSA en 2014, pensez-vous comme Pierre Gattaz, le patron des patrons, que la promotion interne manque à la France ?

Une entreprise doit pouvoir recourir à cette alternative : promotion interne et engager des managers d'autres entreprises. La responsabilité première du management est de faire éclore des talents et donc créer les conditions qui permettent d'atteindre cet objectif. Mais il y a des situations où l'urgence du problème à traiter conduit à recourir à une personne venue de l'extérieur, afin de prendre du recul, d'apporter un regard neuf et des méthodes. L'essentiel du pilotage d'une entreprise se trouve dans trois capacités : maîtriser les grands équilibres de l'entreprise, chiffrés ou non ; connaître le produit et les technologies ; savoir aligner l'énergie de ses collaborateurs pour « tirer l'équipe vers le haut ». La performance se situe là. Quand on ne peut garantir la convergence de ces trois aspects à la direction des entreprises, il est nécessaire d'y remédier.

Quel avenir envisagez-vous pour le groupe, et vous-même ?

Nous avons d'ores-et-déjà décidé de plusieurs orientations de rupture, notamment en ce qui concerne le business des pièces détachées et l'entrée sur des marchés où nous ne sommes pas implantés pour l'instant. Mais vous comprendrez que nous devons garder certaines informations confidentielles afin de ne pas les communiquer à nos concurrents. Je préfère vous laisser deviner la suite de « Back In The Race ». Elle témoignera quoiqu'il arrive de notre ambition retrouvée. En ce qui me concerne, PSA n'est pas là pour permettre à mon égo de s'exprimer. Ce sont les résultats qui comptent et non les décisions spectaculaires que je pourrai prendre. Et j'escompte bien que les résultats soient excellents !

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Les Mardis de l'ESSEC est une tribune étudiante, fondée en 1961 par les étudiants de l'ESSEC Business School.