Carlos Ghosn au Liban, une épine de plus dans le pied de Nissan

Par Etienne Balmer, AFP  |   |  799  mots
Désormais libre de s'exprimer sans contraintes, Carlos Ghosn n'a pas hésité à mettre le peid dans le plat s'agissant de Nissan. (Crédits : Miho Ikeya)
La parole libérée et vengeresse de Carlos Ghosn depuis le Liban est un problème supplémentaire pour le constructeur automobile japonais Nissan alors que le groupe peine déjà à restaurer son image.

Nissan est amer. La fuite de Carlos Ghosn vers le Liban, alors qu'il était assigné à résidence au Japon, n'est pas une sinécure pour le constructeur automobile nippon. De fait, maintenant que M. Ghosn a rallié Beyrouth pour échapper à la justice japonaise qui le poursuivait pour malversations financières présumées, "il peut dire ce qu'il veut, il n'a plus de contraintes ", constate une source proche de Nissan. Tout le contraire de Nissan, qui continue de faire face à ses propres responsabilités dans l'affaire Ghosn, que le groupe avait lui-même enclenchée en dénonçant son emblématique président au parquet japonais fin 2018.

Car Nissan, en tant qu'entité morale, est également poursuivi au Japon comme M. Ghosn sur deux chefs d'inculpation liés aux rémunérations différées passées sous silence dans ses anciens rapports boursiers. A défaut d'un "procès Ghosn", un procès contre Nissan et Greg Kelly - l'ancien bras droit de Ghosn arrêté en même temps que lui - devrait donc bien se tenir. "Nissan doit montrer patte blanche. Nous, on a des responsabilités, on doit respecter la loi, on a des obligations. Cela va être pénible, mais on le fera", commente une source interrogée par l'AFP.

"Pour l'instant il n'y a rien de neuf dans les déclarations de M. Ghosn contre Nissan (...). Mais s'il persiste dans sa campagne négative, cela pourrait faire douter les marchés du redressement fondamental de l'entreprise et de son image de marque", estime Koji Endo, analyste automobile chez SBI Securities interrogé par l'AFP. Sans parler de la lassitude des salariés du groupe, qui "en ont ras-le-bol" de voir leur entreprise faire tous les jours la Une des médias, confie-t-on en interne. La fuite des cerveaux continue par ailleurs au sein du groupe, notamment parmi ses jeunes ingénieurs, selon M. Endo.

Impact financier conséquent

L'affaire Ghosn a déjà coûté cher à Nissan, pas seulement en termes de réputation. Depuis son arrestation en novembre 2018, sa valorisation en Bourse "a baissé de plus de 10 milliards de dollars", a pointé mercredi Carlos Ghosn, même si la chute du titre est aussi liée à la crise du marché automobile qui a entre-temps fait fondre ses résultats. En outre, Nissan aurait déjà englouti plus de 200 millions de dollars en frais d'avocats, d'enquêteurs et détectives privés dans l'affaire Ghosn, selon l'agence d'informations financières Bloomberg.

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"Ce chiffre est ridiculement exagéré, il faudrait probablement enlever un zéro", assure la source interne de l'entreprise interrogée par l'AFP. Mais il y a d'autres frais: en septembre dernier, Nissan a dû payer une amende de 15 millions de dollars pour éviter des poursuites du gendarme boursier américain, la SEC, sur le volet des rémunérations différées absentes de ses anciens rapports financiers.

Le constructeur a aussi accepté en décembre de payer une pénalité de 2,4 milliards de yens (près de 22 millions de dollars) requise par l'Agence japonaise des services financiers sur la même partie de l'affaire. Le groupe doit par ailleurs répondre prochainement aux questions du TSE, l'opérateur de la Bourse de Tokyo, sans quoi il risque d'être radié de la cote, et il fait aussi face à des plaintes d'actionnaires aux Etats-Unis.

Conseil d'administration mardi prochain

Nissan a péniblement fait le ménage dans sa gouvernance ces derniers mois pour en finir avec l'ère Carlos Ghosn. En septembre dernier, celui qui était alors directeur général, Hiroto Saikawa, l'un des critiques les plus acerbes de son ancien mentor, a notamment pris la porte après avoir reconnu avoir lui aussi touché des primes en excès par le passé.

"Je n'ai pas de temps à perdre avec quelqu'un qui joue un drame écrit par lui-même, après avoir fui un pays en violant la loi", a sèchement répliqué jeudi Masakazu Toyoda, un administrateur extérieur de Nissan également dans le viseur de M. Ghosn. La nouvelle direction du groupe, arrivée aux commandes début décembre, a en effet d'autres fers au feu: selon des informations de l'AFP, elle doit exposer mardi prochain sa stratégie au conseil d'administration pour redresser au plus vite les bénéfices, tombés à leurs plus bas niveaux depuis dix ans.

L'alliance Renault-Nissan semble quant à elle être repartie du bon pied, après un an d'incertitudes sur son avenir. Mais là encore, Carlos Ghosn ne s'est pas privé mercredi de décocher quelques flèches assassines, dénonçant une "mascarade d'alliance" et balayant la stratégie du consensus, qui ne "fonctionne pas".