Qui se partagera le gâteau de la voiture connectée ?

Par Nabil Bourassi  |   |  946  mots
La voiture connectée doit permettre de proposer de nouveaux services aux automobilistes. L'enjeu sera de savoir lesquels seront monétisables.
L'automobile est à la veille d'une double révolution entre la voiture autonome et la voiture connectée. Si une étude du BCG Group évalue à 42 milliards de dollars le marché de la voiture autonome à horizon 2025, en revanche, c'est le marché de la connectivité qui aujourd'hui nourrit les ambitions des constructeurs automobiles. Mais de nouveaux acteurs devraient aussi profiter de ces évolutions.

"L'automobile va plus changer dans les dix prochaines années qu'elle n'a changé pendant les 90 dernières années", résumait il y a peu le cadre d'un grand groupe automobile mondial. Il ajoutait n'avoir qu'une seule certitude : "C'est que la voiture de demain aura encore quatre roues". Et il est vrai que l'automobile est en train de vivre une double révolution : la connectivité et l'autonomie. Tout le monde y va de son chapitre pour tenter d'imposer sa technologie ou encore son standard.

42 milliards de dollars en 2025

Pour l'instant, la voiture autonome en est encore au stade de la prospective. Le Boston Consulting Group (BCG) estime que ce marché pourrait représenter un chiffre d'affaires de 42 milliards de dollars à horizon 2025. Il devrait néanmoins atteindre sa maturité dans plus de 20 ans. Mais les constructeurs et équipementiers ont développé des technologies opérationnelles qu'ils comptent déployer progressivement. La réglementation devrait rester encore longtemps réticente à laisser le conducteur à baisser son attention sur la route. A court terme néanmoins, il est possible d'envisager la mise en service de technologies d'assistance à la conduite.

La bataille de la connectivité a déjà commencé

En attendant, l'industrie automobile est déjà entrée dans l'ère de la voiture connectée, et une véritable économie est en train de se mettre en place. Elle va voir deux mondes radicalement différents se rencontrer : l'automobile et internet. L'enjeu pour eux est de trouver de nouveaux relais de croissance en imaginant de nouvelles frontières à leurs métiers respectifs. Deux enjeux toutefois : élaborer des services monétisables, et comment se partager ce marché.

"Trois acteurs d'univers totalement différents doivent apprendre à travailler ensemble : l'écosystème constructeurs et équipementiers, les géants de la High Tech et les opérateurs télécoms. Il s'agit là d'acteurs qui ont l'habitude d'être leader dans leur domaine d'imposer leurs standards au reste du marché", observe Guillaume Crunelle associé chez Deloitte et spécialiste de l'industrie automobile.

Le monde de l'électronique et de l'internet est déjà à pied d'œuvre. Il n'y a qu'à voir la brutale transformation du Consumer Electronics Show de Las Vegas en janvier dernier. Ce salon consacré aux innovations électroniques était presque entièrement consacré à des produits destinés à l'automobile. "On reste encore dans le domaine de la prospective. Peu d'innovations présentées au CES sont opérationnelles à court terme", relativise néanmoins Guillaume Crunelle. "Pour l'instant, nous n'avons encore rien vu de vraiment concret en matière de nouveaux services qui puissent créer de la valeur monétisable", poursuit-il.

La monétisation, la condition pour un modele

Tout l'enjeu des prochaines années sera donc de trouver le modèle qui permettra de monétiser les services de connectivité. Pour Guillaume Crunelle, le consommateur ne se fait aucune illusion : "quelle que soit la classe d'âge et le pays, le consommateur a compris que la voiture de demain va coûter plus cher ne serait-ce que pour les motorisations plus efficaces". D'après lui, l'automobiliste n'a pas "d'opposition de principe à payer un service à condition que celui-ci apporte quelques choses".

Côté constructeurs, il est également impératif de se positionner sur la connectivité. "Les constructeurs tentent de bâtir un environnement autour de la connectivité afin de renforcer leur image de marque avec des offres Premium dans tous les segments", analyse Hadi Zablit. Ainsi, la connectivité deviendrait l'argument différenciant des voitures classées haut-de-gamme.

Le Big Data attirera toutes les convoitises

Mais, le véritable enjeu pourrait en réalité se dissimuler derrière l'économie dite du Big Data. "Sur le modèle économique, le vrai enjeu sera de savoir de quelle manière les données seront récoltées, par qui, et à quelle fin", avance Hadi Zablit.

"Une grande entreprise qui dispose d'une importante flotte de voitures aurait un grand intérêt à optimiser la gestion de son parc en termes de maintenance, d'approvisionnement en carburant... Cela peut être possible avec la connectivité car celle-ci permet de récolter ce type d'informations et de les traiter", explique Hadi Zablit.

"Sur la clientèle particulière, les constructeurs vont tenter de renforcer la fidélisation et affiner la connaissance client, c'est stratégique pour eux", poursuit-il.

Le sujet crucial sera de savoir qui aura pris la main sur ce big data et les candidats ne manquent pas. Les constructeurs seront ralentis par le souhait des entreprises de disposer de logiciels multimarques, ce qui ouvre un espace pour d'autres acteurs en provenance du monde de l'internet.

Des intérêts divergents mais complémentaires

Dès lors, peut-on imaginer que les constructeurs voient cette valeur leur échapper au profit de start-ups spécialisées ou encore des GAFA (Google, Amazon, Facebook, Apple) ? Pas nécessairement puisque les deux parties ont des intérêts divergents. Ainsi, même s'ils sont intéressés par le Big Data, le monde de l'internet n'a aucune compétence pour mettre en place des protocoles de diagnostics de réparation automobile. A l'inverse, les constructeurs automobiles n'ont pas de légitimité à vendre des services de contenus (musique, mails...). Hadi Zablit penche donc pour une forme de "cohabitation" entre les deux univers. "Les constructeurs qui ont mis en place des interfaces connectées fermées à des acteurs extérieurs se retrouvent avec des offres peu riches", observe l'analyste.

Ainsi, l'univers automobile devrait être le théâtre d'une bataille économique qui se jouera à coup d'innovations, d'acquisitions et verra peut-être apparaitre un nouvel écosystème de start-ups spécialisées. Une nouvelle page de l'histoire économique s'ouvre aujourd'hui, et la prime sera aux premiers arrivants.