Voiture autonome : la stratégie de la France tient-elle la route ?

Par Nabil Bourassi  |   |  1079  mots
Près de 200.000 km de routes en voiture autonome ont déjà été effectuées en France entre 2015 et 2018. (Crédits : PSA)
Le gouvernement veut s'appuyer sur le rapport d'Anne-Marie Idrac pour créer les conditions d'un ancrage de la technologie de la voiture autonome sur le territoire français. Dans un contexte de concurrence mondiale exacerbée, les mesures du gouvernement se bornent toutefois à un aspect très réglementaire. Il se trouve que les industriels français ont déjà posé les jalons d'une stratégie R&D très ambitieuse.

Une véritable révolution d'innovation en France ? Le gouvernement a sorti lundi 14 mai sa feuille de route pour faire de la voiture autonome une priorité nationale. Anne-Marie Idrac a mené une réflexion afin de faire évoluer le droit français de manière à accueillir la R&D de la voiture autonome sur le territoire national.

L'Hexagone n'est pas en retard

En réalité, cette R&D existe déjà puisque tous les constructeurs automobiles français, et pas seulement, puisque les équipementiers automobiles travaillent sur le sujet depuis fort longtemps, ont posé les jalons d'une stratégie sur la voiture autonome.

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"Nous ne sommes pas en retard, mais il y a une concurrence mondiale et il ne faudrait pas que nous nous mettions en retard", nuance un porte-parole du Comité des constructeurs français d'automobiles (CCFA).

Ainsi, si le gouvernement transpose dans la loi les recommandations du rapport Idrac, les constructeurs et autres équipementiers pourront obtenir des autorisations dès le début 2019 afin de faire rouler des véhicules totalement autonomes sur le territoire national. Selon Solën Guezille, avocate associée au cabinet Chatain & Associés, "la France irait alors plus loin que ce qui est désormais autorisé en Allemagne en admettant une expérimentation des véhicules de niveau 5, c'est-à-dire en l'absence de conducteur, là où l'Allemagne a autorisé le conducteur a retiré ses mains du volant et à regarder ailleurs que sur la route".

Une administration déjà bienveillante

Chez les constructeurs, on se félicite également de la perspective de mener ses expérimentations y compris dans les agglomérations, là où il y a le plus d'enjeux de recherche. Solën Guezille rappelle néanmoins que si jusqu'ici, la réglementation portant sur les autorisations à des fins expérimentales de circulation des véhicules à délégation de conduite était tatillonne, dans les faits, l'administration s'est montrée plutôt ouverte sur les délivrances d'autorisation, relativisant ainsi le préjudice d'un hypothétique retard français. Effectivement, les industriels ont déjà cumulé près de 200.000 km de parcours en voiture autonome entre 2015 et 2018, d'après le rapport Idrac.

Pour les industriels, le nombre de kilomètres parcourus est essentiel puisqu'il permet de confronter la partie logicielle à l'infinitude des mises en situation, et ainsi rôder l'intelligence artificielle à prendre les décisions les plus adéquates.

"Il était important de localiser cette expérimentation sur le territoire national, défend-on au CCFA, si on veut conserver les équipes d'ingénieurs de recherches qui travaillent sur ces projets, l'expérimentation grandeur nature est une brique essentielle pour ancrer la voiture autonome comme une technologie 100% française".

Une concurrence mondiale exacerbée

Car la guerre est totale et sans merci sur la voiture autonome. Il n'est pas une puissance industrielle mondiale qui ne s'intéresse à cette technologie. La Chine et les États-Unis ont posé des ressources réglementaires colossales pour prendre le leadership de la voiture autonome. "La Chine réserve des tronçons de 300 km d'autoroutes entièrement dédiés à des voitures totalement autonomes (...) en termes de retour d'expérience industrielle c'est essentiel, mais la Chine frappe les esprits à l'échelle mondiale avec de telles initiatives, il ne faut pas négliger cet aspect de communication", souligne Olivier Ezratti, consultant et auteur de l'ebook "Les usages de l'intelligence artificielle".

"Lancer des projets délirants, c'est là la vraie marque des innovateurs, et la voiture autonome est tout à fait propice à davantage d'audace que ce soit de la part des autorités publiques que de la sphère privée", ajoute le consultant.

Les industriels français sont effectivement confrontés à un déficit de ressources intellectuelles pour la voiture autonome, or c'est le nerf de la guerre. Valeo a fondé un campus de recherche fondamentale afin d'attirer les meilleurs talents.

Sur cet aspect-là, le rapport Idrac est plutôt discret. Il évoque toutefois la nécessité de "renforcer les collaborations" entre les entreprises et les académies et universités "qui ont donné d'excellents résultats". Le rapport suggère néanmoins de créer de nouveaux pôles "pour relever les défis technologiques et scientifiques" à travers "des incitations et des soutiens à des programmes de recherche". Rien de révolutionnaire !

Pas de planification colbertiste !

Sur cet aspect, Bruno Le Maire, le ministre des Finances, s'est contenté d'avoir une approche financière en confirmant que le financement de cette recherche pourra se faire à travers le programme des investissements d'avenir.

Pour Olivier Ezratty, le rapport laisse chaque acteur se débrouiller avec tous ces dispositifs :

"L'État ne prévoit pas du tout d'organiser une filière ou de construire un écosystème qui réunirait les différents acteurs de la filière notamment les startups".

Olivier Ezratty observe également que la question de la 5G n'est pas suffisamment abordée par le rapport. Or, ce réseau télécom est fondamental pour le développement de la voiture autonome.

Pour Anne-Marie Idrac, le rapport ne consiste pas à faire de la planification industrielle colbertiste, mais bien de construire un environnement réglementaire favorable au développement de la voiture autonome. Pour Solën Guezille, ce rapport remplit sa mission au moins pour la phase d'expérimentations :

"Le rapport Idrac pose parfaitement les termes des enjeux juridiques que va poser la voiture autonome. Elle dresse un bilan complet, lequel montre l'ampleur du chantier juridique pour le législateur français en vue de la mise en circulation des véhicules pour le grand public", explique l'avocate.

Un cadre réglementaire appelé à encore évoluer

Car si le rapport Idrac répond à la problématique de la phase expérimentale, l'adaptation réglementaire pour une mise en service légale du grand public sera beaucoup plus complexe.

"Les textes internationaux vont nécessairement évoluer du fait des travaux en cours de la Commission économique pour l'Europe des Nations Unies (CEE-ONU) et notamment la Convention de Vienne à laquelle doit se conformer le Code de la route qui impose, pour l'heure, la présence d'un conducteur en état de reprendre à tout moment le contrôle du véhicule."

Et d'ajouter :

"Il s'agit cependant d'un processus très long, l'Union européenne est donc invitée à établir à court terme un régime transitoire pour que la réglementation ne soit pas un facteur bloquant pour la compétitivité."