"Le vieillissement de nos infrastructures est très préoccupant" Bruno Cavagné, FNTP

Par Propos recueillis par Mathias Thépot  |   |  1218  mots
Selon Bruno Cavagné, président de la FNTP, le secteur prévoit une croissance de 2,5 % qui sera en grande partie liée à un effet de cycle : les maires et les présidents d'intercommunalités arrivent à mi-mandat, traditionnellement la période où ils lancent leurs investissements dans les infrastructures. Par ailleurs, la réduction de 1 milliard d'euros de la baisse des dotations, accordée par François Hollande aux communes en 2017, permet de débloquer des opérations.
Bruno Cavagné, le président de la Fédération nationale des travaux publics (FNTP), tire la sonnette d’alarme : selon lui, il est temps de rééquiper les territoires en infrastructures et de relancer l’investissement public. Quitte à recourir à l’endettement.

LA TRIBUNE - Comment l'activité des entreprises des travaux publics s'est-elle portée ces derniers mois, et que prévoyez-vous pour 2017 ?

BRUNO CAVAGNÉ - Elle ne baisse plus, ce qui est déjà un soulagement car, depuis 2008, l'activité de notre secteur a chuté de 27 % ! Ce fut d'ailleurs la période la plus noire depuis trente ans dans les travaux publics. En 2016, notre activité s'est établie en légère hausse de 3,5 %, dont un point peut être attribué au seul projet du Grand Paris. Et pour 2017, nous prévoyons une croissance de 2,5 % qui sera en grande partie liée à un effet de cycle : les maires et les présidents d'intercommunalités arrivent à mi-mandat, traditionnellement la période où ils lancent leurs investissements dans les infrastructures. Par ailleurs, la réduction de 1 milliard d'euros de la baisse des dotations, accordée par François Hollande aux communes en 2017, permet de débloquer des opérations.

Comment ne plus revivre ces années noires ?

Je pense qu'il faut faire de la pédagogie auprès des différents acteurs publics et privés sur la nécessité d'investir dans le renouvellement et la rénovation de nos infrastructures en France. Le but d'une telle démarche ne serait pas de se focaliser sur des intérêts particuliers, mais d'élaborer collectivement une vraie doctrine des infrastructures dans notre pays [voir ci-contre les 12 propositions de la FNTP, ndlr]. C'est un enjeu de compétitivité pour la France, mais aussi de cohésion sociale et territoriale, bref un enjeu d'intérêt général. C'est l'intérêt de notre économie, de nos entreprises, et donc de nos emplois.

Il faut agir vite car les infrastructures vieillissent...

Oui, le vieillissement de nos infrastructures est très préoccupant. Les réseaux de distribution d'eau potable présentent des pertes par fuites de 25 % en moyenne ; nos routes nationales - dont l'entretien est en chute libre depuis trente ans - se dégradent ; et que dire du ferroviaire... notamment en Île-de-France. Pourtant nous y consacrons des moyens. Mais à force de trop attendre, les infrastructures se sont dégradées et le coût de remise à niveau est devenu exorbitant. Enfin, il faut aussi noter que les zones rurales sont très mal équipées en numérique. Résultat, sur la qualité de ses infrastructures numériques, la France ne pointe qu'au 44e rang mondial.

Bref, ce qui faisait la force de la France, ses infrastructures, n'est plus. Pour redevenir performant, il faut donc prendre le risque de réinvestir. Au risque de choquer, disons-le : l'endettement n'est pas toujours une mauvaise chose. Cela dépend de quelle dette nous parlons. Si elle permet d'améliorer le patrimoine national que nous céderons à nos enfants, elle a de vraies vertus. Plusieurs études indiquent ainsi qu'il faudrait entre 8 milliards et 10 milliards d'euros supplémentaires par an pour retrouver un niveau de qualité satisfaisant pour nos infrastructures. Reste à savoir qui paiera...

Qui, selon vous, devra payer ces efforts supplémentaires ?

Il y a plusieurs solutions : usager, contribuable, ou les deux. À notre sens, dès que c'est possible, il est préférable de faire payer l'usager à condition, bien sûr, de ne pas le faire payer une deuxième fois en sa qualité de contribuable. Nous pourrions aussi imaginer un système hybride avec quelques centimes de hausse sur des impôts locaux destinés à financer la mobilité ou les réseaux d'eau.

Comment y arriver, sachant que les collectivités locales, le principal moteur de l'investissement public, voient déjà leurs ressources s'assécher...

Dans l'absolu, nous pouvons accepter que pour l'équilibre des finances publiques, l'exécutif décide de couper les vivres aux collectivités locales. Le problème, c'est que jusqu'ici, les réductions de dotations aux collectivités locales ont eu un impact désastreux sur leurs investissements, et donc sur notre activité. Il faut donc changer de méthode. Nous faisons notre l'idée d'Alain Juppé : travailler sur un système de bonus-malus qui permettrait aux collectivités locales qui font le plus d'efforts en matière d'investissement de conserver leur dotation globale de fonctionnement (DGF). Car plus on laisse la place aux investissements, plus on crée de la richesse. À l'inverse, celles qui ne réduiraient pas leur train de vie supporteraient les coupes budgétaires.

Le phénomène de métropolisation des territoires semble inéluctable. Comment les villes moyennes ou les zones rurales peuvent-elles lutter ?

Par la volonté politique. Il faut que les maires aient des visions à la fois d'aménageur et d'entrepreneur pour leur territoire. Le tout dans le but d'attirer des investissements. En effet, une entreprise ne s'implantera pas dans une ville dépourvue d'infrastructures. Ce sujet est majeur car aujourd'hui, ce sont les métropoles qui tirent l'activité des travaux publics. Le monde rural est à la peine. Or, tout le monde n'a pas envie de vivre dans une métropole. Il faut respecter ce choix et réindustrialiser le monde rural.

Nous ne sommes évidemment pas contre le développement des métropoles, mais nous pensons qu'il faut aussi réinvestir la France dans sa globalité.

Du point de vue des métropoles justement, le Grand Paris est-il un modèle à suivre ?

Oui, car autour du projet du Grand Paris, on a su construire  un environnement favorable grâce à une volonté politique, à la création d'une société pilote (la Société du Grand Paris), au déblocage d'emprunts à long terme (auprès de la Caisse des dépôts et de la Banque européenne d'investissement), et à l'instauration d'une mixité dans l'aménagement des zones autour des gares entre les secteurs public et privé.

Au total, ce sont entre vingt-cinq ans et trente ans de chantiers qui ont été engagés, preuve d'une vraie vision de long terme. On revient en fait à ce qui a fonctionné auparavant : financer sur plusieurs décennies des infrastructures qui serviront à plusieurs générations.

C'est tout à fait logique, et ces ingrédients gagneraient à être repris par d'autres métropoles. Car ces dernières années, on a trop pensé à court terme, et s'agissant des grands projets, avoir une vision à long terme est indispensable.

Que pensez-vous des différentes propositions des candidats, concernant les infrastructures ?

Certains candidats proposent par exemple de nationaliser les autoroutes. C'est une décision politique mais qui ne me semble pas être la meilleure, compte tenu de l'état de nos routes nationales et autoroutes non concédées. Et qui plus est, ce serait une solution coûteuse. Mais si la décision était prise, il faudrait pour ce faire une taxe affectée pour l'entretien et les travaux, afin d'assurer leur financement. Sinon, nos autoroutes souffriront d'un manque d'entretien et se retrouveront dans un piteux état.

Par ailleurs, beaucoup de candidats évoquent une nouvelle réforme territoriale. Mais je voudrais préciser qu'à chaque fois qu'une réforme de ce type est mise en œuvre, les investissements chutent. C'est pourquoi nous disons : attention à ne pas créer un système récessif par des réformes d'ampleur trop brutales qui stopperaient la bonne dynamique économique enclenchée ! Car si l'on ferme tous les robinets de l'économie, on se retrouvera à nouveau dans une situation catastrophique.

Propos recueillis par Mathias Thépot