Logement : comment lutter contre l'exclusion ?

Par Mathias Thépot  |   |  1207  mots
Depuis plusieurs décennies, il devient de plus en plus ardu d'obtenir un logement dans les zones à très forte demande. On comprend mieux pourquoi les ménages ayant obtenu un logement social y restent pour continuer à bénéficier d'un loyer modéré.
Inclure les populations dans les villes nécessite en premier lieu de leur donner accès aux logements qu'elles demandent. Mais dans les grandes villes françaises, les blocages sont nombreux.

Il ne peut y avoir de ville « inclusive » sans logements abordables pour ses habitants. Cela coule de source. Pourtant, dans les grandes villes, trop de familles sont prises à la gorge par le prix trop élevé de leur habitation. En 2013, les ménages français consacraient 27,1 % de leurs dépenses de consommation au logement (allocations comprises), contre 21 % en 1984, selon l'Insee. À titre de comparaison, c'est deux fois plus que la part allouée à l'alimentation ou aux transports. Et au sein de la « dépense logement », les loyers (réels et imputés) représentent près des trois quarts, contre 18 % pour l'énergie et l'eau, et 10 % pour les charges. Nombre de familles sont donc obligées d'accepter des conditions de logement insatisfaisantes, voire de s'installer en périphérie. Pire, dans certaines zones, les ménages ne peuvent plus faire face et se retrouvent en situation d'exclusion.

Au niveau national, on considère ainsi qu'il manque près de 900 000 habitations salubres à des prix abordables. Ce qui correspond, selon les données de la Fondation Abbé Pierre, au nombre de personnes qui se trouvent sans domicile fixe, qui vivent dans des habitations de fortune, qui sont en hébergement « contraint » chez des tiers et dont la résidence principale est une chambre d'hôtel. Plus globalement, 12,1 millions de personnes sont touchées à des degrés divers par la crise du logement, toujours selon les indications de la Fondation Abbé Pierre. Nos villes ont donc un lourd passif vis-à-vis des conditions de logement de leurs habitants. D'un point de vue pragmatique, il faudrait donc augmenter la construction de logements sociaux de qualité, afin de lutter au mieux contre les phénomènes d'exclusion, d'autant que 60 % des ménages français sont éligibles au logement social, selon le ministère du Logement et de l'Habitat durable.

Mais ce secteur dans lequel vivent 17,6 % des ménages est bloqué, et le parcours résidentiel des ménages avec. Le délai d'attente pour accéder à un logement social peut atteindre dix ans ! En effet, alors que près de 18 % des habitations du parc privé sont libérés chaque année, seuls 10 % des logements sociaux le sont. Pire, ce taux s'établit à 6 % en Île-de-France, et à 4,5 % à Paris ! En réalité, plus les zones sont tendues, plus le taux de rotation des appartements sociaux est faible. Il faut dire que sur ces territoires, les ménages ont subi la hausse des prix de l'immobilier par rapport à leurs revenus. Depuis 2000 à Paris, les tarifs ont augmenté deux fois et demie plus vite que les revenus des ménages. En Île-de-France, ils ont crû deux fois plus vite, et, sur le reste du territoire, la hausse est de 1,56, selon un rapport du Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD).

1,2 million de demandes en attente

En proportion de leurs revenus, ceux qui paient le plus fort tribut de cette folle augmentation des prix sont les locataires du secteur privé (20 % d'entre eux consacrent plus de 40 % de leurs revenus pour se loger), ainsi que les propriétaires accédants, ceux qui empruntent massivement pour acquérir, même s'ils peuvent toujours revendre leur bien en cas de pépin. Autre preuve que l'accès au logement est difficile : une récente étude de l'Institut d'aménagement et d'urbanisme (IAU) montre que six étudiants sur dix en Île-de-France habitent toujours chez leurs parents ! Un taux nettement supérieur à celui observé dans les autres régions, notamment en raison du coût élevé des loyers dans la région.

Depuis plusieurs décennies, il devient de plus en plus ardu d'obtenir un logement dans les zones à très forte demande. On comprend mieux pourquoi les ménages ayant obtenu un logement social y restent pour continuer à bénéficier d'un loyer modéré. « Devant la flambée des prix du marché privé, le logement social est désormais envisagé à la fois comme un logement pérenne et comme un recours en cas d'accident de la vie », confirme l'Union sociale pour l'habitat. Mais de ce fait, la machine est grippée et la file d'attente pour accéder à ce type d'habitat devient immense et exige de se montrer patient : en 2014, quelque 1,2 million de personnes était en attente d'attribution, dont plus du tiers pour la seule région Île-de-France !

Pour remédier à cette situation, des solutions sont régulièrement avancées : durcir la politique des surloyers pour les ménages dont les revenus augmentent et dépassent les plafonds de ressources, limiter le nombre de logements « sousoccupés » par des ménages vieillissants qui n'ont plus leurs enfants à charge, ou encore remettre en question le principe de « maintien dans les lieux » des locataires HLM. Mais en cette forte période de crise, il serait politiquement dévastateur de détricoter des dispositifs qui protègent les ménages modestes des aléas de la vie. Charge donc aux bailleurs sociaux de mieux organiser la mobilité au sein de leur parc locatif.

L'une des solutions avancées pour fluidifier le marché du logement et réduire la pression sur les prix est d'accroître l'offre. De ce point de vue, l'optimisme est de mise, car les chiffres de la construction en France sont en forte hausse en 2016 : les mises en chantier grimpent de 8,1 % sur douze mois à 370 000 logements, et les permis de construire ont augmenté de 14,3 %, à 432 300 unités. De quoi converger progressivement vers la barre symbolique des 500000 logements mis en chantier.

L'accès à la propriété favorisé

Toutefois, considérer la politique du logement à travers le seul prisme de l'offre serait une erreur, surtout dans les zones tendues où les déséquilibres entre l'offre et la demande sont structurels. Une politique visant à soutenir la demande doit donc être aussi mise en oeuvre. Là aussi, le gouvernement a déjà pris des mesures allant dans ce sens afin notamment de favoriser l'accession à la propriété. L'élargissement du prêt à taux zéro dans le neuf et dans l'ancien depuis le 1er janvier dernier est en l'exemple le plus connu. Une autre possibilité innovante pour détendre les marchés immobiliers serait de proposer un plus grand nombre de biens locatifs à des loyers dits « intermédiaires » pour les classes moyennes, c'est-à-dire à des prix 15 à 20 % inférieurs à ceux du marché. La Ville de Paris expérimente ainsi deux dispositifs de ce type : d'une part, l'encadrement des loyers qui déplaît à certains mais qui, dans une zone aussi recherchée, pourrait redonner du pouvoir d'achat aux classes moyennes. D'autre part, afin de satisfaire davantage les propriétaires et les professionnels de l'immobilier, la capitale a instauré une mesure financièrement incitative nommée « Multiloc' » qui remet sur le marché locatif des biens vacants à des loyers 20 % inférieurs à ceux du marché, et sous conditions de revenus du locataire.

Enfin, la colocation et la cohabitation intergénérationnelle (un jeune logé par un senior) sont deux pratiques déjà anciennes qui se démocratisent de plus en plus. Elles restent néanmoins des solutions de fortune pour des personnes ne pouvant assumer seules le prix d'un loyer. Autant d'exemples qui pourraient, mis bout à bout, permettre à terme de déverrouiller les marchés les plus tendus et ainsi inclure davantage les foyers les plus modestes.