Bientôt des médicaments "made in Europe" ?

Par Audrey Tonnelier  |   |  579  mots
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Les industriels tricolores voient dans cette "localisation" un moyen de sauvegarder leurs usines. Un "crédit d'impôt industrie" serait à l'étude.

Ce pourrait être la mesure-phare du Conseil stratégique des industries de santé (CSIS), qui doit réunir laboratoires et pouvoirs publics fin janvier. Selon nos informations, plusieurs fabricants et sous-traitants pharmaceutiques, emmenés par Sanofi, planchent depuis des semaines sur un projet d'ampleur : faire apparaître sur les médicaments leur lieu de production. « Il faut récompenser le fait de produire en Europe si l'ont veut y conserver une industrie forte », explique Fabien Riolet, directeur de Polepharma, qui regroupe 55 % de la production nationale de médicaments (plus de 51 milliards d'euros au total en 2010) en Île-de-France, Normandie et Centre. « Nous souhaitons une traçabilité du médicament qui ferait apparaître sa valeur ajoutée européenne, y compris environnementale et sociale », détaille Sébastien Aguettant, le président du Spis, syndicat de sous-traitants à l'origine du projet. L'initiative est d'actualité : 80 % des principes actifs sont produits en Chine et en Inde. Or la loi impose aux médicaments vendus en Europe d'être validés localement. Résultat : le « fabricant » qui apparaît sur la notice d'un médicament n'a parfois fait que relire un dossier conçu à l'autre bout du monde. « Les médecins et les patients n'ont aucun moyen de savoir si le médicament est importé ou produit en Europe » s'insurge Sébastien Aguettant. Avec toutes les questions de suivi sanitaire que cela pose.

Le temps presse

De plus, « l'écart de coûts de production entre pays développés et émergents est passé de 30-35 % à 10-15 % en quelques années. À ce prix, on obtient une meilleure maîtrise de la qualité et la possibilité de ne pas dépendre d'un seul pays » fait valoir David Simonnet, le président d'Axyntis, l'un des cinq derniers producteurs français de principes actifs. Le label pourrait prendre la forme d'un classement alphabétique, à l'image de la performance énergétique des logements ou de l'électroménager, pour les trois étapes clefs de la production d'un médicament : le principe actif, la mise en forme et l'emballage. Un temps censée figurer sur les boîtes, la mention se retrouverait, plus discrètement, sur la notice.

Car dans ce dossier, les industriels marchent sur des oeufs. En pleine période post-Mediator, « certains dans les ministères ne veulent plus entendre parler des labos » lâche l'un d'eux. À Bercy, en charge du dossier, on jure que « les oreilles sont grandes ouvertes ». Mais ni Sanofi ni le Leem, syndicat du secteur, n'ont souhaité nous répondre. D'autant que la profession ne parle pas d'une seule voix. « Les multinationales étrangères, qui produisent largement en Amérique centrale, ne voient pas le projet d'un bon oeil », glisse un proche du dossier.

Pourtant, le temps presse. « Les tensions sur les prix rognent les marges, notamment dans les génériques » s'inquiète Sébastien Aguettant. Et si peu d'usines ferment dans l'Hexagone, le mouvement est plus insidieux. Pfizer vient de céder discrètement au génériqueur américain Mylan une technologie de médicaments à inhaler qui devait servir à relancer sa dernière usine française, à Amboise (Indre-et-Loire).

Reste à savoir comment valoriser les médicaments « made in Europe ». Un remboursement différentiel posant problème, c'est un mécanisme de crédit d'impôt industrie, sur le modèle du crédit d'impôt recherche, qui est à l'étude. Alors que le thème de la réindustrialisation revient dans la campagne électorale, les labos semblent avoir une carte à jouer.