"Parler de supprimer 10.000 pharmacies, c'est de la provocation gratuite"

Par Jean-Yves Paillé  |   |  700  mots
Lætitia Hible veut "replacer le pharmacien en maillon fort de la chaîne de santé". Elle estime qu'aujourd'hui "le pharmacien est mis de côté", contrairement aux autres acteurs de santé.
Fin septembre, Lætitia Hible, présidente du groupement de pharmacies Giphar a pris la tête de Pharma Système Qualité, une organisation visant à améliorer les pratiques des officines et à anticiper les évolution du métier de pharmacien. Elle déplore un manque de reconnaissance du gouvernement pour la profession, dénonce les critiques de la Cour des comptes sur le secteur, et prône une participation des officines à la prise en charge des patients. Interview.

LA TRIBUNE - Qu'attendez-vous de la présidence d'Emmanuel Macron ?

LAETITIA HIBLE - Une reconnaissance du pharmacien comme acteur de santé. Nous voulons replacer le pharmacien en maillon fort de la chaîne de santé. Aujourd'hui, on constate une montée en puissance des autres acteurs de santé, tandis que le pharmacien est mis de côté. Regardez ce qu'il s'est passé pendant l'affaire du Levothyrox : la ministre de la Santé n'a pas consulté les pharmaciens avant la commercialisation de la nouvelle formule. Nous sommes pourtant sur le terrain et interpellés par les patients des dizaines fois par jour dans chaque officine. Je voudrais qu'on fasse participer le pharmacien à la prise en charge du malade. Nous sommes des professionnels de santé reconnus, avec un diplôme, et nous sommes présents sur tout le territoire, il n'y a pas de désertification dans le secteur des pharmacies.

Par ailleurs, le pharmacien est en avance dans l'évolution des professions médicales. On a, par exemple, été les premiers à s'informatiser puis à constituer un réceptacle de données avec le dossier pharmaceutique. On est également les premiers à entrer dans la certification, et on pourrait entraîner d'autres professions.

Vous souhaitez donc sortir de votre dépendance aux ventes de médicaments ?

Les ventes de boîtes de médicaments représentent 75% du chiffre d'affaires des pharmaciens. On a une faible quantité de notre chiffre d'affaires lié aux services. On veut les développer, et trouver le moyen de les rémunérer. Certains de ces services pourraient être pris en charge par des mutuelles ou les patients eux-mêmes. La certification garantirait la qualité et la traçabilité de ces services.

Le pharmacien, de par sa proximité et sa disponibilité, est un acteur de santé de premier recours. Mais aujourd'hui, il est limité par l'organisation de son travail autour de la dispensation des médicaments, et il n'a pas le droit de faire un pré-bilan de l'état de santé du malade. Le pharmacien est l'interlocuteur idéal pour les régions où il y a une carence en médecins pour accueillir les patients ayant un problème. Cela pourrait se faire dans un espace de confidentialité, pour ensuite passer, si besoin, à une étape de téléconsultation. C'est pour moi le rôle rêvé pour un pharmacien. On pourrait aller vers une réflexion sur une telle évolution.

En tant que pharmacienne, j'estime en outre qu'un pharmacien devrait pouvoir prendre en charge la vaccination, et nous pourrions étendre la liste au-delà de la grippe, sans pour autant prendre en charge tous les vaccins à l'officine.

Donner un rôle accru à la pharmacie nécessite plus de masse salariale...

Il est évident que sortir des personnes du comptoir du pharmacien crée une carence. Dans le modèle actuel, il y a deux pharmaciens en moyenne par officine: le titulaire et son associé ou le titulaire et son adjoint. Dans la plupart des cas, le pharmacien ne sera pas disponible pour établir des pré-bilans et des entretiens pharmaceutiques.

Néanmoins, on constate aujourd'hui un mouvement de concentration, et donc des équipes de plus en plus étoffées dans les pharmacies. Mais cela met du temps à se mettre en place, les délais d'endettement grimpent, atteignant à présent souvent les quinze ans pour une pharmacie.

Justement, la Cour des comptes juge dans son rapport sur la Sécurité sociale publié fin septembre qu'aujourd'hui il y a deux fois trop de pharmacies en France...

97% de la population vit à moins d'un quart d'heure d'une pharmacie. Que va-t-il advenir de ces gens-là si on divise par deux le nombre de pharmacies ? Le raisonnement de la Cour des comptes est d'ordre mathématique. Il extrait complètement l'humain. Pourtant, il s'agit du côté indispensable du maillage.

Il est vrai que dans certaines grandes villes, il y a une forte concentration. Des pharmacies se sont ouvertes en dépit du bon sens dans les années 1980-1990, et sont en surnombre. Mais je mets au défi la Cour des comptes de me montrer le surnombre de pharmacies en Corrèze, par exemple. Parler de supprimer 10.000 pharmacies, c'est de la provocation gratuite.