Plateformes offshore : pourquoi la règlementation doit changer

Par Marie-Caroline Lopez  |   |  1092  mots
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François Hollande s'est engagé ce jeudi, s'il était élu, « à encadrer très strictement les activités d'exploration et de production d'hydrocarbures off shore ». Jacques Beall, qui vient de boucler un rapport sur le sujet pour le Conseil économique social et environnemental (CESE), explique à La Tribune les failles de la réglementation actuelle. Il détaille ses propositions, notamment pour renforcer le principe du pollueur-payeur, largement inopérant en mer.

 - Vous venez de terminer, avec Alain Feretti, un rapport sur « la sécurité des plateformes pétrolières en mer » pour le CESE. Que vous inspire la fuite du gaz en cours sur la plateforme de Total en Mer du Nord ?
- Lors de notre audition d'un responsable de Total, il s'était montré confiant à la fois dans la technologie et dans les pratiques du groupe en matière de sécurité. Total se considère comme un bon élève sur ce sujet avec des référentiels très complets, des normes très exigeantes. Par ailleurs, Le Royaume Unis est doté des règles les plus contraignantes et les plus avancées au monde en matière de sécurité des plateformes offshore. Force est de constater que même l?un des opérateurs à la pointe de l?innovation, dans la région la plus strictement réglementée, n'est pas à l'abri d'un accident. Dans une zone peu profonde de surcroît (moins de 100 mètres d'eau). Il y a de quoi se poser des questions. Et surtout ne plus se contenter, sur la sécurité, de discussions strictement entre experts et industriels. Cet accident nous rappelle aussi que le gaz est beaucoup plus inflammable que le pétrole, et fait courir un risque très grand au personnel et à l'installation.

- Total vient de localiser la fuite à 4.000 mètres sous le fond de la mer, dans un puits désaffecté depuis plus d'un an. Comment peut-on expliquer cette fuite ?
- La production d'Elgin (où s'est produit l'accident) se déroule dans des conditions très particulières : le gaz et le pétrole extraits sont à « haute température et haute pression ». Le gisement avait été découvert il y quinze ou vingt ans et personne, avant Total en 2001, ne se sentait la capacité de l'exploiter en raison de ces caractéristiques. C'était une première mondiale. A ces très fortes températures (jusqu'à 190°C), certains capteurs ne fonctionnent pas. D'où une très grande difficulté pour maitriser les fluides. Un tuyau à 4.000 mètres sous la terre ne peut pas être soudé. Il a du être cimenté. Mais la pression à cette profondeur, jusqu'à 1.100 bars, exerce une force considérable qui fragilise le ciment le plus épais. On ne sait pas encore. On peut aussi penser qu'une jonction s'est révélée défectueuse, à moins que le tuyau lui-même n'ait cédé. Sans compter que dans ce champ, le mélange d'hydrocarbures est particulièrement corrosif.

- Le parlement européen commence l'examen d'un règlement qui va encadrer, pour la première fois, la sécurité des plates-formes. Ce texte vous semble-t-il suffisant ?
Il faut d?abord noter qu?il n?existe pas de convention internationale sur l?offshore, donc chaque pays peut mettre en place les règles et les contrôles qu?il souhaite. Ce règlement, dont le projet a été déposé en octobre 2011, ne sera certainement pas opérationnel avant fin 2013, début 2014. Il vise à harmoniser par le haut les différentes réglementations. Ce sera utile en Mer du Nord, où des plates-formes distantes de quelques kilomètres sont soumises à des normes différentes, ce qui est une difficulté pour les opérateurs. Ce règlement va aussi permettre la prise en compte des risques majeurs dès le début d?un projet. Ce qui n?est pas le cas aujourd?hui dans un certain nombre de pays européens où des projets de plateformes ne sont pas soumis à une déclaration préalable, contrairement à une ferme avec une centaine de vaches.

Nous demandons qu?en France, indépendamment du règlement européen, les installations pétrolières se voient appliquer au moins les exigences des ICPE (installations classées pour la protection de l?environnement), au niveau le plus haut dit Seveso.

- L'offshore pétrolier concerne peu le territoire français ...
La question se pose en France en Guyane avec la découverte récente de pétrole par Shell et Total ainsi que la demande d'exploration au large de Marseille sur laquelle l'administration doit statuer le mois prochain. Avec un statut comparable à l'ICPE, une étude de danger serait exigée au préalable. Ce qui obligerait les industriels à étudier toutes les combinaisons de risques et à y apporter des réponses. C'est plus adapté à chaque site qu'une liste de points théoriques (nombre d'issues de secours, procédures en place ,...) à cocher.
J'ajoute qu'il ne reste que deux spécialistes de l'offshore dans l'administration française, l'un en Guyane, l'autre à Bordeaux.  Il faut renforcer les moyens de l'Etat, pour instruire les dossiers et contrôler, de préférence par deux organismes distincts. Car, que quel que soit le niveau d'exigence, le contrôle est très important.
En Norvège, une plate-forme de Statoil a été fermée à l?automne 2010 suite à une inspection, en raison du nombre d?écarts avec les règles en place. Cette plateforme avait évité de peu l?explosion. En Grande-Bretagne, après l?accident de BP dans le Golfe du Mexique, les autorités ont décidé de doubler le nombre de leurs inspecteurs. Ce qui leur permet de contrôler les plateformes les plus sensibles une fois tous les deux ans, contre trois à cinq ans avant ! Il serait à cet égard intéressant de savoir à quand remonte la dernière inspection d? Elgin...

- Ce texte européen n'aborde pas la couverture financière des risques ....
C'est une des grandes lacunes de ce projet de règlement. La facture pour BP de l'accident dans le Golfe du Mexique pourrait atteindre 50 milliards de dollars. Or, les pétroliers ne peuvent pas s'assurer pour plus de 1 à 1,5 milliard. Nous demandons l'extension du Fipol (Fonds internationaux d'indemnisation pour les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures) qui couvre uniquement les dégâts causés par les bateaux, aux plateformes offshore.

Avec le Fipol, l'armateur est responsable jusqu'à 80 millions d'euros puis des fonds complémentaires abondés par les différents industriels couvrent le reste. Un seuil à 5 milliards d'euros serait un minimum pour couvrir les accidents de plateforme offshore. Aux Etats-Unis, il existe un système de ce type mais si la négligence de l'opérateur est établie, sa responsabilité est sans limite. Il faudrait en outre étendre le principe du pollueur payeur à des zones maritimes plus vastes. Aujourd'hui, seules les zones proches des côtes sont couvertes, et encore uniquement pour les espèces et les espaces protégées.